Ces personnes qui ont mal

Notes personnelles dans une perspective de soins palliatifs "oncologiques" Par : Brizard, André, MD

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71 - Les récepteurs NMDA et ...les récepteurs non-NMDA: leurs rôles en situation d'hyperactivité périphérique

Les récepteurs NMDA jouent un rôle particulier lors des phénomènes d'hyperstimulation (ou hyperexcitation) nociceptive "d'origine périphérique". Cette hyperstimulation d'origine périphérique provient le plus souvent de contexte

  • inflammatoire,
  • ischémique
  • neurogène.

L'hyperstimulation d'origine périphérique mène alors à une situation d'hyperactivité dans la neurotransmission nociceptive au niveau des synapses de la corne postérieure. En fait, lorsque les neurones nociceptifs centraux de la corne postérieure reçoivent un surplus d'influx nociceptifs en provenance de la périphérie, les membranes post-synaptiques deviennent alors hyperexcitables et cette "hyperexcitabilité" se prolonge parfois plusieurs heures sans qu'il ne soit nécessaire de maintenir aucune hyperstimulation nociceptive. Les récepteurs NMDA jouent un rôle particulier autant pour ce qui est de la portion "initiation" de ces phénomènes que de la portion "maintien".

En situation d'hyperexcitation d'origine périphérique, tous les neurones nociceptifs centraux deviennent même hypersensibles à tous les types d'influx "sensitifs" qu'ils reçoivent, il n'est donc plus nécessaire d'avoir une stimulation "véritablement" nociceptive pour que les neurones nociceptifs centraux signalent de la douleur vers les régions supérieures. C'est donc dire qu'ils se mettent à réagir à plusieurs types de NTs impliqués dans la neurotransmission des influx sensitifs "non-nociceptifs". Ces mêmes neurones centraux deviennent donc en fait extrêmement faciles à activer.

Que s'est-il donc produit alors ?

Dans les circonstances d'hyperstimulation nociceptive intense et soutenue, la membrane post-synaptique est soumise à un bombardement de NTs nociceptifs de plusieurs types. En fait, les terminaisons pré-synaptiques sont capables de produire plusieurs types de NTs en situation d'hyperstimulation. Le glutamate, devenu "hyperprésent" pour sa part, s'est alors mis à déclencher une intense dépolarisation des récepteurs NON-NMDA, qui sont situés "malheureusement" à proximité des récepteurs NMDA. Ce bombardement "à haute fréquence nociceptive" produit une accentuation très nette des phénomènes de dépolarisations dans la membrane post-synaptique au pourtour immédiat des récepteurs NMDA. Lorsque le voltage transmembranaire atteint une certaine valeur de dépolarisation "cible" au pourtour immédiat des récepteurs NMDA et qu'en même temps ce dernier est soumis à un intense bombardement au glutamate, l'ion Mg++, présent dans le canal ionique (des récepteurs NMDA) et qui faisait obstruction à l'ouverture de ces mêmes canaux ioniques, est délogé de sa position. Le bouchon "vient de sauter"! Ce n'est pourtant pas le début de la fête, c'est plutôt le début de la catastrophe!

Pour que les récepteurs NMDA s'ouvrent, il aura donc fallu plusieurs conditions en même temps:

  • un "excès" de glutamate,
  • une hyperactivation des récepteurs NON-NMDA
  • un débordement de dépolarisation au pourtour des NMDA,
  • l'atteinte d'un voltage transmembranaire "cible" au pourtour des NMDA.

Les canaux ioniques munis de récepteurs NMDA sont uniques sous cet aspect. Ils doivent donc subir une double "régulation" ou "activation" pour s'ouvrir.

Lorsque les canaux ioniques munis de récepteurs NMDA sont enfin ouverts i.e. lorsque le "bouchon Mg++" est supprimé, commence alors, à travers ces canaux ioniques un flot incessant de Na+ et de Ca++ migrant vers l'intérieur des neurones centraux, le tout s'accompagnant d'un flot incessant de K+ migrant à l'extérieur. Ce flot incessant produit une dépolarisation de plus en plus massive dans les zones membranaires concernées et donc une hyperexcitabilité de plus en plus marquée et de plus en plus étendue à ces mêmes niveaux. Une fois que les récepteurs NMDA ont commencé à être activés, le phénomène d'hyperexcitabilité est long à s'éteindre étant donné certains mécanismes d'autoentretien de l'hyperexcitabilité que les récepteurs NMDA induisent. En effet, les NMDA réussissent:

  • non seulement à réduire la charge négative intracellulaire, qui peut alors passer, à titre d'exemple, de - 70 mV à - 15 mV,
  • à maintenir ce potentiel transmembranaire à ces mêmes valeurs pendant longtemps.

A des valeurs de - 15 mV toujours à titre d'exemple, il ne faut que de très faibles stimuli pour déclencher des trains d'activations d'influx et les membranes post-synaptiques des neurones centraux nociceptifs et même que de leur portion dendritique répondent alors à la moindre arrivée d'influx nociceptifs par les fibres C dans la corne postérieure.

72 - Les récepteurs NMDA et ...les récepteurs non-NMDA: leurs rôles dans le "maintien" d'une hyperactivation des dendrites centraux

Comment peut donc se faire ce "maintien" d'une hyperactivation neuronale centrale ?

Sur le plan de la biochimie neuronale, cette irritabilité membranaire "facilitée" au point de devenir "spontanée ou autodéclenchable" provient de l'arrivée massive et continue d'ions Ca++ à l'intérieur des neurones centraux ce qui a comme conséquence d'entrainer un taux anormalement élevé de Ca++. Lorsque le Ca++ migre de façon massive à l'intérieur des boutons dendritiques et du corps cellulaire des neurones nociceptifs centraux, il active une cascade d'activités biochimiques qui concourent toutes à l'accentuation des douleurs.

De nombreuses structures et de nombreux processus intracellulaires sont reconnus comme dépendants du Ca++ intracellulaire, parmi ceux-ci figurent:

  • le réticulum endoplasmique, responsable entre autre d'assurer les réserves de Ca++ intracellulaires et qui sous l'influence d'une augmentation de Ca++ en provenance de l'ouverture des NMDA inonde l'espace intracellulaire d'une plus grande quantité de Ca++ encore ce qui a pour effet de contribuer à un effet de cercle vicieux en regard de l'activation des différentes cascades biochimiques dépendants du Ca++ déjà en cours,
     
  • l'augmentation de l'activité de la Phospholipase A qui se trouve nettement accentuée, ce qui entraîne une augmentation de production et de libération d'acide arachidonique. Cet acide arachidonique migre par la suite à partir du corps cellulaire de la cellule centrale vers le bouton présynaptique où il fait ensuite son entrée. Il deviendra le substrat de la cyclo-oxygénase activée à son tour par le NO ce qui entraînera l'augmentation de production de prostaglandine (PG),
     
  • l'augmentation de l'activité du complexe mGLU-R - ProtG ce qui augmente l'activation de la Phospholipase C qui augmente alors sa production de DAG (diacylglycérol) et IP3 (inositol triphosphate). L'augmentation d'IP3 active à son tour le Réticulum endoplasmique qui inonde encore plus l'espace intracellulaire d'une plus grande quantité de Ca++ encore et l'effet de cercle vicieux ne fait que s'accentuer,
     
  • l'augmentation de l'activité de la Protein kinase C, ce qui a pour effet d'augmenter la phosphorylation des canaux AMPA, Q/K, NMDA et donc l'activité de ces mêmes récepteurs ce qui aura pour effet d'amener encore plus de Ca++ dans le corps cellulaire du neurone central et donc d'augmenter encore plus l'activité de la NO synthétase,
     
  • l'augmentation de l'activité de la Protein kinase dépendant de l'enzyme Ca++/Ca-Modulin (CaM) ce qui aura pour effet d'augementer encore plus l'activité de la NO synthétase,
     
  • l'augmentation de l'activité de l'Ornithine decarboxylase (ODC) ce qui aura pour effet d'augmenter la production de bioamines (polyamines). Tout comme pour l'acide arachidonique, ces bioamines (polyamines) seront libérées en dehors du corps cellulaire du neurone central et migreront vers l'espace synaptique où ils se fixeront sur les canaux NMDA sur un site qui leur est spécifique,
     
  • l'activité de certaines Protéases et Endonucléases présentes dans le noyau. L'hyperactivation de ces différents enzymes aura pour effet d'accélérer la dégénérescence cellulaire et de mener à la mort cellulaire (apoptose) de certains neurones centraux et de certains interneurones,
     
  • l'augmentation de l'activité des mitochondries ce qui aura pour effet de mener à une accélération de la dégénérescence mitochondriale et donc à la mort cellulaire (apoptose) de certains neurones centraux et de certains interneurones,
     
  • l'augmentation de l'activité de la NO synthétase ce qui aura pour effet d'entraîner à l'intérieur du corps cellulaire des neurones centraux une importante production d'une substance gazeuse, le monoxyde d'azote (NO), qui agira comme substance "facilitatrice" ou "amplificatrice" pour de nombreuses réactions biochimiques.

 

Il ne sera donc pas étonnant que l'ensemble de ces réactions mènent à un épuisement cellulaire et à une mort cellulaire (apoptose) à plus ou moins court terme tellement l'hyperactivation est intense et continue. On assistera alors au dérèglement complet d'une partie de l'architecture des différentes structures nociceptives et cela touchera autant les neurones nociceptifs que leurs constituants intra-cellulaires, autant les neurones modulateurs que leurs constituants intra-cellulaires. Ces différentes transformations concoureront aux changements dits de plasticité dont il sera fait mention ultérieurement. (Voir: LES LESIONS NERVEUSES: LES DIFFERENTES ANOMALIES PATHOPHYSIOLOGIQUES A MOYEN ET LONG TERME / LESIONS NERVEUSES: PROCESSUS DE REGENERATION NEURONALE ET CONCEPT DE PLASTICITE NEURONALE)

A travers ces processus, il se trouve deux enzymes "kinase" qui sont particulièrement impliquées dans l'hyperactivation des différents métabolismes. Ces kinases ont pour effet d'augmenter la production de substances dites "seconds messagers" (NO, cGMP et autres) dont l'effet, "en excès" devient toxique pour la cellule. En fait, ces deux enzymes (Ca++/Calmodulin kinase et kinase C) viennent faciliter le travail des récepteurs NON-NMDA en aidant à la conservation d'un voltage transmembranaire permettant de garder les récepteurs NMDA ouverts. De cette façon, l'instabilité électrique des membranes des neurones centraux nociceptifs s'en trouve accentuée "de façon excessive" et l'hyperirritabilité est ainsi créée.

Mais il y a pire encore. Lorsque l'usine métabolique fonctionne à plein régime et que l'effet facilitateur est acquis au niveau post-synaptique, les neurones centraux se mettent à produire de façon effrénée du monoxyde d'azote (NO) ce qui aura pour conséquences d'augmenter des nombreuses réactions biochimiques. Le NO agit à l'intérieur même du corps cellulaire où il a été produit mais il est aussi libéré à l'extérieur du corps cellulaire des neurones nociceptifs centraux où il vient agir "à rebours" sur les terminaisons pré-synaptiques et les cellules gliales. Cette substance gazeuse agit alors un peu comme un NT mais "avec effet rétrograde". Lorsque le NO se trouve en présence des différentes substances et structures sur lesquels il agit, il active une intense cascade métabolique. Les substances et structures sur lesquels le NO exerce ses effets mobilisateurs sont nombreuses et témoignent de l'ubiquité de cette substance. Ainsi, le NO provoque

  • une activation accrue de la cyclo-oxygenase intra-neuronale autant au niveau du corps cellulaire de la cellule centrale qu'au niveau du bouton pré-synaptique ce qui a pour effet d'entraîner une augmentation de la production de PG intra-neuronale,
     
  • une modification de certains gènes dans le noyau de même que l'expression de ceux-ci,
     
  • une activation très marquée de l'activité de la Guanine cyclase-S,
     
  • une augmentation aussi très marquée de l'activité des Ez et des structures dépendant du c-GMP à la fois dans le corps cellulaire, le bouton pré-synaptique et à la fois dans la cellule gliale.

En fait, un des effets très importants du NO dans les trois structures soient le corps cellulaire des neurones centraux, les boutons pré-synaptiques et les cellules gliales s'exerce par une augmentation marquée de l'activité de la Guanylyl cyclase-S menant à un accroissement proportionnel de formation de c-GMP. La cascade biochimique se poursuivant, ce seront les Ez et les structures dépendant du c-GMP qui seront ensuite activés dans les trois structures soient le corps cellulaire des neurones centraux, les boutons pré-synaptiques et les cellules gliales. Dans le bouton pré-synaptique, cette activation mènera à l'augmentation de la production et de la libération de GLU, sP et d'au moins un autre NT nociceptif soit le CGRP et donc à une plus grande accentuation de la neurotransmission nociceptive donc à plus de douleur.

Les conséquences à l'intérieur du bouton pré-synaptique sont d'accentuer, de prolonger et pire encore de maintenir la libération accrue de glutamate. Or, l'hyperlibération de glutamate est responsable de l'hyperactivation des membranes post-synaptiques. En langage imagé, un processus infernal vient de prendre place. Le cercle vicieux est ainsi "bouclé" parce que l'hyperactivité du neurone central concourt à l'hyperactivité du bouton pré-synaptique qui est aussi "fouetté" dans ses fonctions par les cellules gliales présentes dans l'environnement immédiat des boutons pré-synaptiques et qui sont elles aussi soumises à une hyperactivation par le NO; le tout accentue encore plus l'hyperactivité du neurone central qui accentue encore plus l'hyperactivité du bouton pré-synaptique qui ... et la spirale inflationniste s'enfonce de plus en plus.

L'activation des récepteurs NMDA se fait surtout par les stimulations nociceptives en provenance des fibres C mais les récepteurs NMDA peuvent aussi répondre aux stimulations en provenance des autres fibres en autant bien sûr que celles-ci libèrent du glutamate comme NT. En fait, une large proportion des fibres sensitives périphériques A bêta et A delta possèdent la capacité d'émettre du "glutamate" et de "l'aspartate" comme NT en situation d'"hyperactivité". En situation d'hyperstimulation nociceptive les stimulations non-nociceptives, génératrices de glutamate, peuvent alors concourir au processus de neurotransmission nociceptive puisque leurs contributions deviennent alors suffisantes pour déclencher des douleurs.

Un grand nombre de neurones intermédiaires (interneurones et cellules pédonculées (Stalk Cells) au niveau de la corne postérieure peuvent aussi libérer du glutamate parmi leurs NTs. Leur contribution ne peut être commentée plus en détail actuellement.

73 - Le "maintien" d'une hyperactivation des dendrites centraux: le phénomène de "wind-up" et l'hyperalgésie "centrale"

L'activation progressive des neurones centraux à la suite de stimulations intenses et soutenues par les fibres C porte le nom de phénomène de "wind-up". Seules les fibres C peuvent provoquer le wind-up. Ce phénomène de "wind-up" des neurones nociceptifs centraux devenus de plus en plus "facilement irritables" est en fait un phénomène d'amplification de la réponse par rapport au stimuli. Ce phénomène peut prendre des proportions telles qu'une activité "spontanée" peut devenir observable dans ces neurones. On pourrait alors avancer que les NMDA, "d'amplificateur" des messages nociceptifs périphériques qu'ils étaient sont devenus des "pacemaker" des neurones nociceptifs centraux. (Voir LES LESIONS NERVEUSES: LES DIFFERENTES ANOMALIES PATHOPHYSIOLOGIQUES). En laboratoire, le phénomène de "wind-up" commence déjà à se produire à la suite de stimulations douloureuses répétées dans un même site avec une fréquence dépassant 2-3 stimuli par secondes pendant quelques heures. La définition "laboratoire" du wind-up Le wind-up se définit en laboratoire comme une augmentation progressive dans le nombre de décharges évoquées par un seul et unique stimulus en réponse à des stimulations répétées des fibres C.

En clinique, lorsque l'hypersensibilité post-synaptique aura pris toute sa dimension au point où les neurones centraux seront devenus comme des équivalents de "pacemakers nociceptifs", les douleurs seront souvent qualifiées de réfractaires et seront telles que les personnes qui les éprouveront exprimeront leur désarroi et leur souffrance par ce court énoncé trop souvent entendu.

"Ne me touchez pas, cela me fait trop mal, tout me fait mal!".

De douleurs intenses, les douleurs seront alors devenues des douleurs intenses "perpétuelles". Malheureux phénomène que ce "wind-up". Etrange adaptation que celle de provoquer une douleur hyperintense et hyperintolérable lorsque la douleur de base possède déjà tous ces caractères!

Cette étrange adaptation, c'est l'hyperalgésie "centrale" qui est ainsi créée.

On peut alors comprendre en partie pourquoi et comment l'intensité des douleurs ressenties ne semble pas toujours en concordance avec les mécanismes que l'on croit responsables de l'intensité du ou des stimuli douloureux. Les personnes "qui ont mal" depuis longtemps deviennent ainsi de moins en moins crédibles. Il faudrait peut-être encore rappeler ici que "La douleur est toujours subjective; elle est ce que le malade affirme et non ce que les autres croient qu'elle devrait être." (Voir LE PRINCIPE DES PRINCIPES).

Les explications actuelles ont porté sur les récepteurs NMDA au niveau de la corne postérieure, il convient de souligner que des récepteurs NMDA existent aux étages supérieures du cerveau. Il en existe par exemple dans certains noyaux du thalamus.

74 - Hyperexcitation et hyperexcitabilité des récepteurs NMDA: les changements anatomiques qui en résultent au niveau de la corne postérieure

L'hyperexcitation biochimique (glutamate) et électrique (voltage-dépendant) des récepteurs NMDA et l'hyperexcitabilité qui en découle vont entraîner des changements anatomiques au niveau des neurones où ces événements se produisent. Ces changements anatomiques découlent en bonne partie de l'intense activité biochimique qui se déroule à l'intérieur des neurones centraux.

Dans un premier temps, des changements sont observables au niveau des récepteurs opiacés. Ces changements se caractérisent par

  • une altération de la configuration tridimensionnelle des récepteurs opiacés,
  • une internalisation des récepteurs opiacés dans la membrane neuronale,
  • un découplage entre la protéine G et le récepteur opiacé membranaire.

Pas étonnant alors que les opiacés offrent moins de soulagement, leurs récepteurs sont devenus moins fonctionnels. Ils sont soumis au mutisme!!! L'activation des NMDA entraîne donc une réduction de la réponse des récepteurs opiacés.

Dans un deuxième temps, ces changements se caractérisent par

  • de l'oedème au niveau du corps cellulaire du neurone central,
  • des dépôts brunâtres dans les régions témoins de l'hyperactivité
    et
  • une réduction du volume de ces mêmes neurones subissant l'hyperactivité.

Ces changements du deuxième temps sont les reflets des dommages à long terme pour les neurones concernés, dommages qui vont souvent aboutir à une "mort neuronale".

Dans les deux cas, on réfère à ces changements en terme "d'excitotoxicité".

Ces changements s'observent à deux niveaux,

  • dans la portion spinale i.e. intra-médullaire des neurones périphériques
    et
  • chez les interneurones.

La présence de ces changements est lourde de conséquence, elle marque alors la réduction de la capacité d'inhiber le transfert des influx nociceptifs dans la corne postérieure. C'est à partir d'ici que "l'éveil" de ces récepteurs est porteur de conséquences majeures pour "les personnes qui ont mal".

Il semble qu'un point tournant ait été atteint à partir du moment où l'hyperexcitabilité a été initiée et maintenue pendant suffisamment longtemps. En effet, comme il a été proposé prédécemment, tout concourt à ce que cette hyperexcitabilité puisse se maintenir "en permanence" et "de façon autonome" par le simple apport de quelques influx nociceptifs "réguliers" sur une base relativement continue. Un autre drame découle de ce point tournant car à partir de ce moment, les approches pharmacologiques régulièrement utilisées pour le soulagement de la douleur ne peuvent apporter que très peu de résultats et cela est autant vrai pour ce qui est des co-analgésiques que des analgésiques opiacés

D'autres substances sont nécessaires et elles existent: les antagonistes NMDA.

75 - Les antagonistes NMDA comme thérapeutique possible

Plusieurs raisons militent actuellement, sur une base théorique, en faveur d'antagoniser les récepteurs NMDA pour le soulagement des douleurs neurogènes (et des douleurs chroniques):

  • le fait d'antagoniser les NMDA permet d'abolir le phénomène de "wind-up" alors que les opiacés à eux seuls ne réussissent qu'à le ralentir,
     
  • le fait d'antagoniser les récepteurs NMDA permet de rétablir une partie de l'effet analgésique des opiacés car en "ramenant au silence" une partie des récepteurs NMDA, les récepteurs opiacés peuvent recommencer à répondre à la médication administrée. Bloquer les NMDA élimine donc une partie des effets "anti-analgésiques" résultant de leur stimulation,
     
  • la combinaison d'antagonistes de NMDA et d'opiacés entraîne un effet analgésique synergique et permet d'administrer les deux substances à plus faible dose puisque des effets bénéfiques sont produits à la fois par la stimulation des récepteurs opioïdes (pré et post-synaptiques) et à la fois par le blocage des récepteurs NMDA au niveau des membranes post-synaptiques. (Voir: HYPEREXCITATION ET HYPEREXCITABILITE DES RECEPTEURS NMDA: LES CHANGEMENTS ANATOMIQUES QUI EN RESULTENT AU NIVEAU DE LA CORNE POSTERIEURE)

Pour le moment, trois substances commercialement disponibles sont reconnues pour contribuer à réduire les douleurs découlant de la chaîne d'événements produite par l'activation des NMDA (hyperactivation, hyperexcitabilité, hyperalgésie centrale):

  • la kétamine
  • le dextrométorphan
    et
  • la méthadone

La kétamine semble apporter d'assez bons résultats analgésiques et des résultats encore meilleurs lorsque combinée aux opiacés. Il a été démontré que la kétamine, par voie épidurale, est efficace pour réduire les douleurs neurogènes. Logique en fait, puisque dans les douleurs neurogènes, les dendrites nociceptifs centraux au niveau de la corne postérieure continuent d'être bombardés sans cesse par des influx originant des régions lésées, ce qui entraîne l'activation et le maintien de l'activation des récepteurs NMDA. La kétamine, bien qu'utilisées dans certains milieux, n'est pas encore passée à l'usage courant. Les nombreux effets secondaires, particulièrement les symptômes psychiques tels de la confusion, des cauchemars "éveillés", de l'agitation psychomotrice, des hallucinations désagréables, des distorsions de la réalité génératrices de réactions de panique en limitent particulièrement l'usage. Quant au dextrométorphan, son usage apporte plus de déception que de bénéfice. La méthadone est en voie de devenir la substance désirée pour le traitement des douleurs où l'activation NMDA est suspectée être en cause. Pour le moment, la méthadone est le seul médicament connu jouant le double rôle recherché soit d'être en même temps un opiacé et un bloqueur NMDA. En laboratoire, la phencyclidine et le MK-101 sont aussi des bloqueurs des NMDA. Par ailleurs, toujours en laboratoire, l'administration d'AINS par voie épidurale ou intra-thécale empêche l'hyperalgésie "centrale" découlant du phénomène de wind-up de se produire, cet effet est dû à l'inhibition des cyclo-oxygénases intra-neuronales et non pas à l'inhibition des NMDA.Les AINS n'ont malheureusement pas cet effet lorsqu'administrés par voie systémique ou encore, si l'effet se produit, il est insuffisant pour entrainer une réduction de ces mécanismes et donc des douleurs qui en découlent.

76 - Hyperexcitation et hyperexcitabilité des récepteurs NMDA: les provenances possibles dans un contexte de soins palliatifs oncologiques

Mais d'où peut provenir cette accentuation continue d'influx nociceptifs ?

Dans un contexte de soins palliatifs oncologiques, elle peut provenir des sources multiples. Un surplus d'influx nociceptifs peut ainsi trouver origine à partir:

  • de certaines régions dans le tissu nerveux (nerf, plexus, racine) qui subissent ou ont subi des agressions découlant d'un processus tumoral ou d'un traitement relié au cancer et qui présentent alors une nette augmentation de l'instabilité électrique dans ces régions,
     
  • de certaines régions des réseaux cutanés, musculo-squelettiques ou viscéraux qui subissent des dommages tissulaires découlant d'un processus tumoral ou d'un traitement relié au cancer et qui deviennent alors le lieu d'une hyperstimulation des nocicepteurs,
     
  • d'une zone d'ischémie tissulaire provoquée directement par un processus tumoral faisant obstacle à la vascularisation ou indirectement par un état d'hypercoagulabilité (thrombophlébite et embolies artérielles).

Toutes ces situations peuvent concourir à activer les NMDA. Et comme si cette activation n'était pas suffisante en soi, une telle hyperstimulion nociceptive entraîne souvent une participation du système nerveux autonome sympathique qui entrant en jeu à son tour provoque une hypersensibilisation des nocicepteurs de la région où de la douleur est ressentie ce qui ouvre la porte à un cercle vicieux indésirable puisque le tout vient rehausser considérablement l'intensité des douleurs. (Voir: LE SYSTEME "SYMPATHIQUE" ... QU'IL NE FALLAIT PAS OUBLIER!).

77 - Éparpillement multi-étage, multi-convergence, douleur irradiée et douleur référée

Que le contexte clinique soit celui d'une douleur "sans" activation des récepteurs NMDA ou que le contexte clinique soit celui d'une douleur "avec" activation des récepteurs NMDA, les notions qui suivent et cela jusqu'à la fin du présent chapître s'appliquent toujours

Il a été fait mention, plus avant, de l'éparpillement multi-étagé des fibres nociceptives au niveau de la corne postérieure, éparpillement particulièrement marqué pour les fibres nociceptives d'origine viscérale, et de la multi-convergence. Il a été suggéré que l'éparpillement multi-étagé et la multi-convergence permettaient de mieux comprendre la douleur "référée".

Cependant en clinique, deux situations se rencontrent fréquemment: la douleur "référée" et la douleur "irradiée". Douleur "référée" et douleur "irradiée" sont deux réalités différentes.

La douleur "irradiée" décrit la zone d'un dermatome où est ressentie une douleur quand un nerf est soumis à un stimulus nociceptif quelconque, souvent une compression. Ainsi, la douleur ressentie au "gros orteil" en raison d'une hernie discale L5 en est un exemple. Il est bien entendu qu'à partir du moment où le multi-étagement de l'éparpillement augmente comme cela est susceptible de se rencontrer en situation d'ouverture des NMDA et de contribution du système nerveux autonome sympathique, la zone où est ressenti la douleur irradiée s'élargit tout autant.

La douleur "référée" pour sa part est celle qui est ressentie dans la zone d'un

  • dermatome
    ou
  • myotome
    ou
  • sclérotome
    ou
  • viscérotome

alors qu'il n'existe pas de stimulations nociceptives dans le dermatome ou myotome ou sclérotome ou viscérotome où la douleur est ressentie.

La nomenclature dermatome ou myotome ou sclérotome ou viscérotome provient de l'époque embryologique et se rattache au développement de l'embryon autour du 26e jour. L'origine embryologique des afférences et les liens de ces afférences avec leur segment médullaire aussi appelé métamère remonte à cette époque.

Chaque étage ou segment médullaire (pex.: C5, D11, L4) reçoit des afférences des 4 entités trouvant origine au niveau embryologique: la peau, les muscles, les structures osseuses / cartilagineuses et les viscères. Le segment médullaire innervant telle région ou structure s'appelle un métamère.

Les structures cutanées possèdent des métamères ou segments médullaires habituellement assez bien définis, ainsi il est assez facile d'attribuer un segment médullaire pour les surfaces cutanées et ce segment cutanée est généralement assez clairement délimité sans chevauchement avec une autre surface cutanée. Cette surface cutanée rattachée à un segment médullaire particulier correspond aux dermatomes auxquels on fait référence si souvent.

En regard de la surface cutanée, il est même possible d'explorer la notion de dermatome plus en détail. Ainsi chaque neurone nociceptif est connecté à une portion anatomique spécifique de la surface cutanée, cette portion s'appelle "le champ récepteur". Chaque champ récepteur constitue une toute petite portion d'un dermatome, un dermatome étant la surface cutanée dont l'innervation est associée de façon préférentielle à une racine particulière (ou nerf spinal). Chaque champ récepteur recouvre une partie d'un autre champ récepteur lui aussi nociceptif. Il existe ainsi une importante superposition de champs récepteurs pour toute surface donnée. Par ailleurs, à l'exemple des champs récepteurs nociceptifs, chaque type de perception sensorielle posséde ses propres champs récepteurs ce qui amène finalement un important chevauchement de différents champs récepteurs appartenant chacun à des afférences sensorielles différentes.

Par ailleurs, les structures autres que les surfaces cutanées possèdent elles-aussi des métamères ou segments médullaires mais qui sont habituellement un peu moins bien définis voire beaucoup moins bien définis. Les mieux définis après les dermatomes sont les myotomes et il demeure encore est assez facile de reconnaître un segment médullaire pour les différents groupes musculaires mais déjà l'étalement est plus grand et un peu moins précis que pour les dermatomes. A titre d'exemple, un problème à l'étage L5-S1 peut entraÎner une ténomyalgie au niveau des muscles fessiers, ischio-jambiers et des muscles du mollet (triceps sural: gastrocnemius et soleus). Cet exemple illustre le fait qu'un site rachidien puisse donner différentes zones de douleurs référées à la fois dans un dermatome et à la fois dans un myotome qui ne se chevauchent pas l'une et l'autre et qui pourtant originent du même métamère à l'étape embryologique.

Ensuite viennent les associations métamères - structures osseuses / cartilagineuses, ce qui correspond aux sclérotomes. Ici, les distances commencent à prendre plus d'importance et les associations entre les structures osseuses / cartilagineuses et les métamères dont ces structures originent sont parfois déroutantes de prime abord. L'exemple classique à cet égard concerne l'atteinte des articulations interapophysaires de la charnière dorso-lombaire soit D11-D12-L1 et la région fessière et/ou sacro-iliaque et/ou crête iliaque postérieure où la douleur peut être ressentie, parfois en surface, parfois en profondeur. Un autre exemple classique concerne le diaphragme et l'épaule dont l'innervation au stage embryologique origine pour chacune de ces structures des segments C3-C5. Dans le cas du diaphragme, les afférences pour mieux suivre le diaphragme ont empruntées le nerf phrénique pour faire leur migration vers le bas de sortes qu'elles se sont éloignées considérablement de leurs segments d'origine. Ainsi, une atteinte du diaphragme peut donner des douleurs référées dans le sclérotome C3-C5.

Enfin, les viscérotomes sont les plus éparpillés et ceux offrant les limites les moins précises en raison du fait que les viscères envoient leurs afférences non seulement vers plusieurs segments ou racines à la fois (étalement sur au moins quatre à six racines) mais vers des segments médullaires qui sont souvent très loin de leur localisation, ceci parce que durant l'embryogénèse, la migration de certaines structures s'est faite sur de longues distances. Ainsi, des structures aussi diverses que le tiers distal de l'oesophage, l'estomac, le grêle, le caecum, l'appendice, le colon ascendant et transverse, le foie, la vésicule biliaire, les canaux biliaires, le pancréas et les surrénales peuvent envoyer des afférences nociceptives qui transitent, sans faire de synapses (car il s'agit des fibres périphériques!) par le plexus coeliaque et ensuite le grand nerf splanchnique avant d'atteindre les métamères D6-D9 et possiblement jusqu'à D5-D10. Un exemple classique de douleur référée impliquant deux viscérotomes concerne l'appendice et l'ombilic. Il arrive souvent qu'une douleur d'appendicite soit d'abord ressentie dans la région de l'ombilic, cela parce que le segment métamérique recevant les afférences de ces deux structures est le même, soit D10. Ce n'est qu'au momemt où les nocicepteurs du péritoine pariétal qui appartiennent pour leur part au réseau somatique que la douleur commence à être véritablement perçue comme provenant de l'appendice.

En regard des douleurs référées, il peut arriver que la douleur soit ressentie en deux régions, celle où la stimulation nociceptive s'exerce véritablement et dans le dermatome ou myotome ou sclérotome ou viscérotome concerné comme il peut arriver que la douleur ne soit ressentie que dans le dermatome ou myotome ou sclérotome ou viscérotome concerné alors que la stimulation nociceptive se déroule ailleurs.

L'erreur d'interprétation par le cerveau se fait sur le site où les mécanismes nociceptifs se produisent car le cerveau avise alors qu'il se produit une stimulation nociceptive mais dans une "fausse région", la zone "référée". Le cerveau confond alors site douloureux et siège des mécanismes nociceptifs qui dans la cas des douleurs référées sont deux sites différents. Ainsi, la douleur ressentie dans le bras gauche lors d'une crise d'angine ou lors d'un infarctus en est un exemple puisqu'à ce moment, ni les nocicepteurs du bras gauche, ni les nerfs périphériques ni les racines contenant les afférences du bras gauche ne sont soumis à une stimulation nociceptive.

Deux hypothèses ont cours actuellement pour tenter d'expliquer les douleurs référées:

  • une convergence entre les afférences nociceptives vraies et les nociceptives nociceptives "non stimulées" sur les mêmes neurones centraux qui fait en sorte que la région où la douleur "référée" est ressentie correspond alors à la zone médullaire où se font les plus importantes "arrivées simultanées" entre
    • les fibres afférentes nociceptives provenant de la structure viscérale, ostéoarticulaire ou nerveuse lésée i.e. là où la stimulation douloureuse se produit
    • les afférences nociceptives de la région "donnée" i.e. de la zone où la douleur est ressentie

L'influx nociceptif provenant de la structure lésée est intégré au niveau du cerveau comme provenant du territoire non lésé: il y a erreur sur la localisation de la lésion. Le cerveau n'est pas capable de faire la différence entre les deux sites en raison de la convergence des informations au niveau de la moelle.

  • une double direction de l'influx nociceptif arrivant au neurone central soumis à la multi-convergence de sorte qu'une portion des influx subirait un revers de direction et pourrait être véhiculée de façon antidromique dans les afférences nociceptives non stimulée. Un tel influx antidromique pourrait favoriser la libération antidromique de substance P qui entraînerait à son tour la libération d'autres substances algogènes au niveau de la zone référées i.e. au niveau de la zone non stimulée.

Dans un cas comme dans l'autre, le cerveau à tendance à préférablement projeter la douleur référée sur une structure somatique. Mais l'inverse peut très bien se rencontrer à savoir une origine somatique alors que la douleur est ressentie au niveau viscéral.

Comprise de cette façon, la douleur référée peut alors s'étendre sur des zones plus ou moins larges. En référence aux éparpillements "céphalad" et "caudad" que peuvent prendre les fibres nociceptives du faisceau de Lissauer à leur entrée dans la moelle, il est possible d'en déduire certains éléments "cliniques". A cet effet, moins les afférences nociceptives en provenance d'un dermatome, d'un myotome ou d'un sclérotome sont éparpillées, plus la zone de douleur référée sera réduite et précise. Le contraire est aussi vrai. Il faut dire par ailleurs que cet éparpillement connaît des différences anatomiques individuelles d'une personne à l'autre.

Par ailleurs, il faut rappeler que "l'arrivée simultanée" des afférences de la région lésée et celles de la région référée ne concerne pas uniquement que deux fibres telle qu'on pourrait l'imaginer dans une vision simplifiée de la convergence. En fait cette "arrivée simultanée" touche

  • l'arrivée d'une fibre nociceptive périphérique sur plusieurs dendrites appartenant à plusieurs neurones nociceptifs ascendants, cette fibre transportant déjà plusieurs champs récepteur,
     
  • l'arrivée de plusieurs fibres nociceptives périphériques sur plusieurs dendrites appartenant à plusieurs neurones nociceptifs ascendants, chaque fibre transportant donc une multitude de champs récepteur d'où l'élargissement de la zone où est ressentie la douleur référée, enfin en présence d'une activation des NMDA et d'une participation du système sympathique, cette arrivée simultanée touche aussi
     
  • l'arrivée de plusieurs fibres périphériques non-nociceptives sur un même neurone nociceptif central ascendant et transportant encore chacune leurs propres champs récepteurs mais venant ajouter dans les circonstances un net rehaussement du transfert nociceptif. (Voir LE SYSTEME DE TRANSPORT DES INFLUX NOCICEPTIFS: LA PORTION CENTRALE)

Il est bien entendu que les événements décrits ci-haut s'appliquent tout autant au niveau du tronc cérébral où le noyau spinal du trijumeau se trouve l'équivalent de la corne postérieure pour recevoir les afférences nociceptives de la face (Voir: LE SYSTEME DE TRANSPORT DES INFLUX NOCICEPTIFS: LA PORTION CENTRALE).

En somme, face à ces phénomènes de multi-étagement et de multi-convergence, une conclusion s'impose de toute évidence:

  • à chaque fois qu'un neurone nociceptif est suffisamment lésé, il risque de se produire un élargissement des champs récepteurs. Plus cet élargissement s'étend, plus les zones où la douleur référée se manifeste se trouvent "déformées" par rapport à l'anatomie courante des dermatomes.

Ces transformations sont susceptibles d'ajouter encore d'autres difficultés à la personne qui a mal car en raison de l'élargissement des champs récepteurs et du dépassement des champs récepteurs habituels, l'anatomie normale de la douleur risque de ne plus se retrouver entraînant souvent un doute dans l'esprit des soignants.

Enfin, il faut aussi souligner que "l'arrivée simultanée" des afférences nociceptives de la région lésée ne concerne pas uniquement que les neurones centraux nociceptifs. En fait cette "arrivée simultanée" concerne aussi les neurones moteurs et donc

  • l'arrivée de fibres nociceptives périphériques sur plusieurs dendrites appartenant à plusieurs neurones moteurs, ce qui amène de fait un certain tonus contractil chez plusieurs fibres musculaires en même temps.

Pour la musculature du tronc et des membres, les neurones moteurs impliqués dans ces interconnexions sont localisés dans la corne antérieure de la moelle, pour la musculature du cou et de la tête ils sont situés dans les noyaux moteurs des nerfs crâniens. Il est donc possible d'observer des contractions musculaires réflexes suite à des stimulations nociceptives soutenues.

78 - Un exemple clinique de la multi-convergence

De nombreuses situations cliniques pourraient venir illustrer ces changements. L'envahissement du plexus brachial par une néoplasie au sommet pulmonaire ou par des adénopathies axillaires d'une néoplasie du sein servira d'exemple. Ces deux situations cliniques peuvent entraîner des douleurs intenses, de divers types et en divers endroits du membre supérieur.

La mise en situation suivante en offre différents aspects:

  • en certains endroits du membre supérieur atteint, des douleurs peuvent être présentes de façon constante sans provocation quelconque
    • les zones douloureuses de ces douleurs peuvent respecter certains dermatomes, mais rapidement dans l'évolution, les douleurs "déborderont" des limites anatomiques habituelles
       
  • en d'autres endroits, le moindre stimulus externe provoque la survenue de douleurs intenses parfois descriptibles, mais bien souvent indescriptibles
    • les douleurs ainsi déclenchées peuvent demeurer limitées aux régions "géographiquement logiques" où le stimulus a été appliqué mais bien souvent c'est tout l'ensemble du membre supérieur qui subit des secousses douloureuses violentes, encore ici, les douleurs "débordent" des limites anatomiques habituelles.
       

Aucune des situations cliniques ainsi décrites n'est une vue de l'esprit. "L'architecture ordonnée" des ces différentes présentations, en apparence "illogiques", se trouve pourtant bien présente au niveau de la corne postérieure où existe l'équivalent de l'homonculus cortical avec toutes les représentations anatomiques disposées dans une logique parfaite. (Voir: LE TERMINUS PERIPHERIQUE ET LE PREMIER RELAIS CENTRAL: LA CORNE POSTERIEURE ET SA CONSTITUTION EN COUCHES)

Comment comprendre que de telles présentations cliniques puisse se produire?

En fait, la multi-convergence avec ses arrivées simultanées d'influx nociceptifs provenant autant de fibres nociceptives que non-nociceptives offre la base architecturale pour une partie de la compréhension applicable à de telles situations cliniques. L'hyperexcitabilité dispersée sur plusieurs étages, au niveau de la corne postérieure, devient tellement importante que le moindre stimulus provoque alors une dépolarisation massive d'un grand nombre de dendrites centraux nociceptifs, tellement importante même que des douleurs paroxystiques originant des neurones centraux peuvent apparaître au grand déplaisir de la personne qui les ressent. La multi-convergence amène un bombardement massif des neurones centraux, il ne faut pas l'oublier.

Mais il peut finalement arriver que le moindre type de stimulus provoque, de façon stéréotypée, des douleurs souvent indescriptibles dans une toute autre région du membre supérieur que la région stimulée. C'est alors le phénomène d'allodynie qui n'est absolument pas l'équivalent d'une douleur référée.

Et à ce moment, il demeure difficile, avec la seule notion de multi-convergence, de comprendre qu'un stimulus appliqué dans une région donnée du membre supérieur puisse déclencher des douleurs dans d'autres régions du même membre, aussi bien adjacentes qu'éloignées. Cette notion semble insuffisante pour expliquer une telle situation. Les conséquences ou les répercussions de la multi-convergence dans un contexte d'hyperactivité nociceptive y sont pour beaucoup dans la génèse de telles situations cliniques. Mais il y a plus. Une autre partie des explications peut provenir des échanges "éphaptiques".

D'autres conséquences tels des connexions "erronées" entre divers types de fibres sensorielles dans les régions où se déroulent les agressions neuronales fournissent une autre part d'explications. A cet effet, il faut rappeler que les neurones dans un nerf sont organisés en faisceaux. En présence d'agression tumorale (ou autre agression suffisamment sévère), certains neurones "échangent" des influx avec d'autres types de neurones. Il devient alors possible que l'influx produit par un simple effleurement dans une région donnée soit "échangé" avec une fibre nociceptive dans la région où se produit l'agression nerveuse. Cet échange "non-synaptique" entre deux axones s'appelle une communication éphaptique. On peut facilement imaginer que plus l'agression est importante dans une région donnée, plus les phénomènes "éphaptiques" puissent être nombreux et plus l'allodynie devienne incommodante.

79 - La multi-convergence anarchique et les échanges éphaptiques

La multi-convergence ne peut expliquer à elle-seule les phénomènes d'allodynie. Les échanges éphaptiques pourraient en expliquer une partie.

Les régions soumises à des agressions neuronales tumorales ou tout autre type suffisamment sévère peuvent présenter des situations s'apparentant à des "court-circuits" entre des fibres axonales voisines. De telles connexions "erronées" entre divers types de fibres sensorielles dans les régions où se déroulent les agressions neuronales peuvent alors fournir une autre part d'explications.

A cet effet, il faut rappeler que les neurones dans un nerf sont organisés en faisceaux. En présence d'agression tumorale (ou autre agression suffisamment sévère), certains neurones "échangent" des influx avec d'autres types de neurones. Il devient alors possible que l'influx produit par un simple effleurement dans une région donnée soit "échangé" avec une fibre nociceptive dans la région où se produit l'agression nerveuse. Cet échange "non-synaptique" entre deux axones s'appelle une communication éphaptique. On peut facilement imaginer que plus l'agression est importante dans une région donnée, plus les phénomènes "éphaptiques" puissent être nombreux et plus l'allodynie devienne incommodante.

80 - La multi-convergence et ses répercussions: la douleur référée dans un dermatome

La multi-convergence peut se répercuter de différentes manières en clinique. Ainsi, la douleur

  • peut être référée dans une portion ou dans la totalité d'un dermatome
  • peut déclencher une réponse motrice réflexe "efférente"
  • peut en même temps déclencher une réponse sympathique "réflexe".

Lorsque la douleur est référée dans un dermatome, elle peut être ressentie

  • dans la totalité d'un dermatome. C'est la situation où tout se présente "comme cela devrait être", i.e. que l'anatomie "normale" est respectée.

Cependant, cette douleur peut aussi être ressentie

  • uniquement dans une portion d'un dermatome,

et plus confondant encore,

  • sur une surface recoupant plus d'un dermatome.

Chacune de ces deux situations confondantes viennent ajouter une difficulté dans l'évaluation de la douleur parce que la présentation usuelle des douleurs "irradiées" nous a habitué, le plus souvent, à retrouver l'entièreté d'un dermatome impliqué. Or dans le cas des douleurs "référées", ce n'est souvent pas la situation.