LES LESIONS NERVEUSES: LES DIFFERENTES ANOMALIES PATHOPHYSIOLOGIQUES A COURT TERME
Tel qu'expliqué précédemment, la douleur neurogène est attribuable à différents types d'agressions subies par les fibres nociceptives des voies somatiques ou viscérales.
Ces agressions peuvent être de divers types:
• chimiques,
• biochimiques,
• mécaniques.
Diverses anomalies pathophysiologiques découlant des agressions causées par le tissu néoplasique ou par les traitements "antinéoplasiques" appliqués peuvent être observées sur l'étendue du réseau nociceptif, autant à court qu'à moyen et à long terme.
A court terme:
en réponse aux dommages de plus en plus sévères exercés sur les membranes axonales, la première réaction d'un neurone est de tenter de régénérer son intégrité structurelle et fonctionnelle. Lorsqu'un dommage est produit, la tentative de régénérescence "axonale" est très rapide. En l'espace d'une heure, le corps cellulaire fournit tous les nutriments pour qu'une membrane neuronale nouvelle vienne "fermer" complètement la brèche pratiquée sur par le processus "agresseur" sur la membrane neuronale originale. Ce rapide mécanisme de réparation vise ainsi à rétablir la continuité membranaire nécessaire à l'intégrité neuronale. Les événements agresseurs avaient déjà induit une assez forte instabilité dans les membranes neuronales des fibres nociceptives lésées. Le processus de réparation amène à son tour des zones d'instabilité électrique puisque les membranes "nouvelles" connaissent beaucoup de zones focales de dépolarisation apparaissant comme spontanément. Ces zones qui sont en fait des mélanges d'agression et de regénération dans des environnement restreints deviennent de plus en plus instables sur le plan électrique, ce qui finit par provoquer des trains d'influx nociceptifs "ectopiques".
(Voir: LE PHENOMENE DE DEPOLARISATION "MEMBRANAIRE" ET LE SEUIL D'ACTIVATION)
en même temps et dans les heures qui suivent, apparaissent à la surface des membranes neuronales nouvelles et "toutes jeunes", des bourgeons de régénérescence qui sont en fait des excroissances qui s'étendent vers les régions distales dans le but que le neurone "lésé" puisse rétablir contact avec la portion de neurone distal dont il a été "séparé" en raison des brèches ou du sectionnement provoqués. Ce faisant, le neurone tente de rétablir la communication avec la structure qu'il avait comme fonction d'innerver. Ces bourgeons de régénérescence, qui sont en fait des repousses axonales, se permettent parfois de longs trajets à travers les nerfs dans le but de retrouver contact avec leur zone d'innervation d'origine.
On retrouve ainsi des tentatives de régénérescence ou de repousses axonales sous deux formes:
• de courts bourgeons de régénérescence
et
• de longs bourgeons ou prolongements parfois même très longs.
Lorsque le sectionnement s'est produit "en périphérie" chez des fibres préalablement myélinisées (A delta, A beta et A alpha), un certain nombre de ces neurones recherchent à nouveau l'abri des cellules de Schwann, productrices de myéline, afin d'acquérir l'isolement dont ils bénéficiaient auparavant. Lorsque le phénomène se produit "au niveau central", certains de ceux-ci recherchent l'abri de myéline produit par les oligodendrocytes, équivalent central des cellules de Schwann en périphérie.
Ces bourgeons, i.e. leur membrane pour être plus précis, présentent par ailleurs une sensibilité accrue à différents types de stimulation mécanique et chimique, il devient donc plus facile de faire naître des influx douloureux puisqu'ils sont plus facilement irrités à des intensité de stimulation qui normalement seraient sans effet et qu'ils sont irrités par plusieurs variétés de mécanismes.
LES LESIONS NERVEUSES: LES DIFFERENTES ANOMALIES PATHOPHYSIOLOGIQUES A MOYEN ET LONG TERME
A moyen et à long terme, des anomalies un peu plus tardives dites d'adaptation ou de plasticité deviennent observables à différents niveaux.
• Dans la région du corps cellulaire du neurone périphérique i.e. dans la région du ganglion rachidien,
• en réponse à l'hyperactivité métabolique découlant des différents processus menant aux réparations membranaires et aux tentatives de branchement des portions liées au corps cellulaire avec leur portion plus distale du même neurone, la membrane neuronale du corps cellulaire se modifie à son tour. Elle commence à développer des repousses membranaires à l'allure des bourgeons de régénérescence. Ceci se produit dans la région du renflement radiculaire (ganglion radiculaire ou rachidien) où se trouve le noyau du neurone. Les membranes nouvelles et "toutes jeunes" qui apparaissent à ce niveau présentent elles-aussi une forte instabilité électrique et une sensibilité accrue à différents types de stimulation mécanique et chimique. Il devient donc chaque fois plus risqué de voir naître des influx douloureux.
********** (Le défi de la douleur MZ Page 96) ***************
• Dans la portion synaptique de la corne postérieure,
• les terminaisons présynaptiques des neurones nociceptifs périphériques s'arborisent en de multiples nouvelles projections qui vont envahir de nouveaux territoires de la corne postérieure i.e. des nouvelles couches (laminae) et ainsi créer de "nouvelles connexions" synaptiques qui vont devenir en fait de "mauvaises connexions" puisque ces connexions se feront de façon inappropriée dans des couches et avec des cellules non désirées.
On assiste alors à l'émergence d'un élargissement des champs récepteurs
(Voir: LE TERMINUS PERIPHERIQUE ET LE PREMIER RELAIS CENTRAL: LA CORNE POSTERIEURE ET SA CONSTITUTION EN COUCHES)
tout aussi erratique que les nouvelles connexions peuvent l'être. Ainsi, des neurones centraux déjà impliqués dans les échanges nociceptifs (neurones spinothalamiques et autres) voient s'ajouter de nouvelles surfaces synaptiques à celles qu'ils possèdaient déjà et qui avaient été voulues par l'architecture physiologique normale. Mais il y a plus, des neurones centraux qui ne participaient pas aux échanges nocicepitfs avec les fibres lésées reçoivnet à leur tour un lot de "nouvelles connexions" synaptiques "indésirables". Ces nouvelles connexions indésirables se font dans les étages médullaires segmentaires déjà impliqués mais ils s'avancent aussi dans de nouveaux étages médullaires, augmentant de ce fait l'étalement multi-étagé déjà présent de par la physiologie normale. A partir de ces événements, des étages relativement plus éloignés reçoivent des influx nociceptifs dépassant largement leur champ dermatomique usuel. Les surfaces douloureuses s'élargissent en même temps.
Par ailleurs, les agressions sur le circuit nerveux ne se limitant pas aux fibres C et A delta, les fibres A beta incluses dans les zones lésées connaissent le même sort. Ainsi, certaines projections provenant d'influx sensitifs non-nociceptifs et qui participaient à la modulation des échanges nociceptifs soit directement sur les cellules centrales, soit indirectement par le biais des interneurones s'arborisent dans leur portion présynaptique. Ce faisant, elles prennent souvent en même temps une tonalité "nociceptive".
(Voir: LA DOULEUR NOCICEPTIVE: LES SUBSTANCES INFLAMMATOIRES, LA SENSIBILISATION / EPARPILLEMENT MULTI-ETAGE, MULTI-CONVERGENCE, DOULEUR IRRADIEE ET DOULEUR REFEREE / LE SYSTEME DE TRANSPORT DES INFLUX NOCICEPTIFS PERIPHERIQUES: L'EPARPILLEMENT MULTI-ETAGE / L'EPARPILLEMENT MULTI-ETAGE: LA DIFFERENCE ENTRE LES AFFERENCES SOMATIQUES ET VISCERALES)
L'élargissement des champs récepteurs et l'arrivée de nouvelles stimulations synaptiques "inappropriées" autant nociceptives que non-nociceptives produisent un débalancement dans l'équilibre habituel des différents "inputs" sensitifs arrivant au niveau de la moelle par les racines postérieures (Voir: LA CORNE POSTERIEURE: UNE "COUR DE TRIAGE" COMPLEXE).
• en même temps, les influx qui arrivaient en provenance des fibres non-nociceptives et qui s'interconnectaient avec des interneurones pour apporter la contribution segmentaire des influx "inhibiteurs" au "portillon" segmentaire disparaissent en bonne partie puisque les fibres les transportant ont aussi connu des agressions. Il se fait donc beaucoup moins d'inhibition et parfois il ne se fait plus d'inhibition par le réseau des interneurones "enképhaline, dynorphine et GABA" impliqués dans le portillon segmentaire. Il en résulte donc un effet net d'accroissement du transfert des influx nociceptifs qui ne subissent plus l'effet modulateur du "portillon". Pire encore, certaines fibres A beta ont même pris une tonalité "nociceptive", on parle alors de "conversion phénotypique".
(Voir: LA DOULEUR NOCICEPTIVE: LES SUBSTANCES INFLAMMATOIRES, LA SENSIBILISATION)
On voit alors apparaître
• une allodynie, i.e. des influx douloureux déclenchés par des stimuli qui ne sont habituellement pas nociceptifs, à titre d'exemple, effleurer de la main une surface cutanée,
et
• une hyperesthésie, i.e. des influx douloureux ressentis comme disproportionnés par rapport à la faible intensité des stimuli nociceptifs de déclenchement. A titre d'exemple, une piqûre superficielle légère sur une surface cutanée déclenchant de sévère douleur sur une large surface.
L'augmentation des influx nociceptifs ectopiques en provenance des fibres nociceptives périphériques entraînent donc un état d'hyperexcitabilité marquée dans les neurones centraux de la corne postérieure, mais il y a plus. Les fibres C provoquent une hyperexcitabilité plus profonde que les fibres A delta; par ailleurs, les influx ectopiques des fibres C en provenance des structuresmusculo-squelettiques entraînent une hyperexcitabilité plus grande et plus prolongée que ceux provenant des structures cutanées. Il n'est peut-être plus nécessaire de s'étonner que les douleurs s'accompagnant d'une hyperactivité sympathique proviennent le plus souvent de lésions du système musculo-squelettique.
La simple présence de cellules tumorales dans le voisinage du tissu nerveux est finalement très loin d'être banale. Cette présence amène plutôt une kyrielle de conséquences toutes plus importantes les unes que les autres. Le simple inconfort évolue souvent rapidement vers des douleurs neurogènes fort dérangeantes qui posent défi à la gestion analgésique.
LES ECHANGES EPHAPTIQUES
Les régions soumises à des agressions neuronales tumorales ou tout autre type suffisamment sévère peuvent présenter des situations s'apparentant à des "court-circuits" entre des fibres axonales voisines. De telles connexions "erronées" entre divers types de fibres sensorielles dans les régions où se déroulent les agressions neuronales peuvent alors fournir une autre part d'explications.
A cet effet, il faut rappeler que les neurones dans un nerf sont organisés en faisceaux. En présence d'agression tumorale (ou autre agression suffisamment sévère), certains neurones "échangent" des influx avec d'autres types de neurones. Il devient alors possible que l'influx produit par un simple effleurement dans une région donnée soit "échangé" avec une fibre nociceptive dans la région où se produit l'agression nerveuse. Cet échange "non-synaptique" entre deux axones s'appelle une communication éphaptique. On peut facilement imaginer que plus l'agression est importante dans une région donnée, plus les phénomènes "éphaptiques" puissent être nombreux et plus l'allodynie devienne incommodante.
LES LESIONS NERVEUSES: LEUR PROCESSUS DE REPARATION
La présence d'une agression "neuronale" causée par un prolifération néoplasique ou par un des multiples traitements antinéoplasiques déclenche le processus de réparation neuronale dans toutes ses étapes. Il y aura donc toujours production et accumulation progressive de tissu fibreux cicatriciel dans le pourtour des zones de réparation et de regénération. Les zones ainsi touchées sont plus particulièrement les zones où se sont déroulées:
• des fermetures des brèches
et
• des tentatives de régénération membranaire axonale ou dendritique. Dans ces régions apparaissent des repousses appelées projections ou ramifications ou excroissances ou repousses ou bourgeons de regénération dont le nombre variera selon les circonstances.
Le processus de régénération axonale menant à la production de projections multifocales vise au moins deux grands objectifs:
• redonner une intégrité neuronale à chaque neurone lésé en réparant et en fermant les brèches,
• rétablir la connexion, grâce aux projections ou aux repousses, avec les portions les plus distales des axones lésés afin de reprendre la communication avec la zone d'innervation périphérique "perdue", aussi distante soit elle. Cette zone périphérique "perdue" consiste en fait des champs récepteurs appartenant aux nocicepteurs qui ont été désafférentés. Ces processus de regénération donnent parfois, dans leur cheminement à travers le réseau nerveux lésé (nerf, plexus ou racine), de très longs prolongements "relativement ramifiés" et "passablement erratiques".
Sur le plan physiopathologique, les portions "réparées" des neurones (brèches réparées ou repousses nouvelles) sont des portions qui connaissent la plupart du temps beaucoup d'instabilité sur le plan électrique. Des influx nociceptifs de types autant continus que paroxystiques sont alors susceptibles de prendre naissance dans ces régions, influx qui deviendront des douleurs neurogènes dans la définition la plus pure de ce type de douleur.
Par ailleurs, ce processus entraîne à son tour une autre conséquence. En même temps que le processus de régénérescence et de tentative de réparation visant à reprendre contact avec la zone d'innervation d'origine se déroule, il se produit une importante réaction inflammatoire. Ce processus inflammatoire de réparation amène assez rapidement la production de tissu fibreux qui se dépose, en amas plus ou moins importants, à l'intérieur et au pourtour des nerfs touchés, selon l'intensité de la réaction.
Lorsque le processus fibreux est relativement intense, les repousses axonales se trouvent freinées et s'enchevêtrent dans un amas cicatriciel. Il arrive que cet enchevêtrement prenne des proportions macroscopiques au point où un nodule peut devenir palpable, on réfère alors à cette structure comme étant un névrome.
Les portions "réparées" finissent par baigner dans des amas de fibrose à travers lesquels la médication ne pénètre que très difficilement, les zones de fibrose étant en elles-même très peu perméables à tout type de substance. Certaines de ces régions conserveront cette "hyperexcitabilité électrique" en permanence lorsque tous les processus inflammatoires auront été terminés et qu'il ne restera que des "amas neuronaux désorganisés" intégrés dans des "paquets de fibrose" cicatricielle rigide. La gestion pharmacologique des douleurs neurogènes originant de ces conditions sera donc bien souvent malheureusement limitée.
On pourrait imaginer qu'il existe un lien entre l'intensité de l'agression, ses conséquences sur le processus de réparation et l'apparition de douleur neurogène. Ainsi, plus l'agression serait sévère, plus les conséquences seraient variées, diverses et intenses et plus la probabilité d'apparition de douleur neurogène de divers types serait élevée. C'est souvent le cas mais il arrive aussi parfois que des conséquences tout à fait démesurées apparaissent en terme de processus d'adaptations, conséquences aux répercussions tant physio-pathologiques que cliniques provoquant de sévères douleurs qui se chronicisent pour des lésions d'apparence banales. Comme message d'ordre général il faudrait peut-être insister sur le fait qu'aucune douleur ne devrait être négligée, ce qui devrait avoir comme effet de réduire le nombre de douleurs qui se chronicise. Pour ce faire, il faudrait que chaque type de douleur soit d'abord reconnu comme tel, chaque type posant en même temps un défi thérapeutique particulier, comme nous le verrons plus en détail dans les manuels III, IV et V de cette série.