Les métastases péritonéales

La carcinomatose péritonéale, soit l’implant de cellules, de nodules et même de masses cancéreuses sur le péritoine abdominal est une complication fréquente des cancers des sphères digestive et génitale, mais aussi, à une moindre fréquence, de la sphère urinaire. Cette carcinomatose se retrouve chez 3 à 15 % de tous les patients atteints de cancer, 4,4 à 24 % des patients avec un cancer colorectal et 5,5 à 42 % des patientes avec un cancer de l’ovaire 33 34.


Les trois quarts des patientes avec un cancer des ovaires se présentent d’emblée à un stade III ou IV, donc avec une atteinte péritonéale, du foie ou des intestin Cancer de l’ovaire. En effet, dans le cancer de l’ovaire, les cellules cancéreuses se déplacent avec le liquide péritonéal de façon ascendante le long du mésentère intestinal et le long des gouttières para coliques jusqu’à l’hémidiaphragme droit, donc au niveau des intestins et de la capsule hépatique, sites fréquents d’implantation cancéreuse.


Le tableau clinique d’une carcinomatose est habituellement insidieux : les symptômes d’une carcinomatose avancée sont l’augmentation de volume de l’abdomen en raison du volume des masses et de l’ascite, une anorexie et une dyspepsie avec perte de poids. Le patient présentera des douleurs abdominales variables le plus souvent vagues et non spécifiques, constantes, ou au contraire localisées ou de type colique en cas d’occlusion. On peut retrouver à l’examen physique des masses abdominales profondes ou superficielles selon la localisation des implants péritonéaux, une augmentation de volume de l’abdomen et des signes de présence d’une ascite (distension de l’abdomen, rondeur des flancs, matité déclive à la percussion). En cas de doute, une échographie ou une tomodensitométrie abdominale pourra mettre ces masses en évidence.


Exceptionnellement, dans le cas de certains cancers moins agressifs comme le cancer colorectal, des indices d’extension des implants cancéreux au niveau du péritoine sont utilisés par certains experts pour quantifier la maladie et déterminer le meilleur traitement à offrir (cytoréduction chirurgicale, chimiothérapie intrapéritonéale) à un patient en relativement bonne condition générale Statut de performance 35. Contrairement à la plupart des autres cancers, le traitement des cancers colorectaux avec carcinomatose péritonéale par une chimiothérapie palliative systémique peut prolonger la survie de façon significative Cancer colorectal.


Occlusion intestinale
Les implants cancéreux au péritoine peuvent provoquer une occlusion intestinale, le petit intestin étant plus souvent touché que le colon (61 % contre 33 %), avec, dans 20 % des cas, un blocage simultané au colon et au grêle 36 Animation occlusion intestinale. Les symptômes typiques d’occlusion sont la distension abdominale variable selon le niveau atteint (plus sévère si occlusion basse), des vomissements précoces lors d’occlusion haute, plus tardifs lors d’occlusion basse, l’absence de selles et de gaz ou au contraire, le passage de selles liquides (diarrhée paradoxale) en aval du blocage Animation occlusion intestinale 37. À noter qu’en pratique, cessymptômes sont le plus souvent intermittents et frustres, les occlusions cancéreuses étant habituellement partielles Animation occlusion intestinale et non complètes.


On pourra proposer à certains patients souffrants d’une obstruction intestinale ou urinaire sur une carcinomatose d’un cancer colorectal, une chirurgie de décompression avec cytoréduction (debulking) si le site de blocage est unique et non pas multiple, à plusieurs niveaux de l’intestin. En effet, le soulagement palliatif en amont de l’obstruction suivi d’une ré-anastomose ou d’une diversion par by-pass ou stomie peut être proposé à un patient en relativement bonne condition générale Statut de performance. Mais la cytoréduction de masses volumineuses d’un cancer colorectal est rarement effectuée : elle n’est justifiée que dans certains cas, dans le but d’améliorer la réponse à la chimiothérapie qui suivra ou pour réduire l’inconfort causé par de volumineuses masses abdominales chez un patient encore en relativement bonne condition générale. En l’absence de données suffisantes, la cytoréduction complète suivie d’une chimiothérapie hyperthermique intrapéritonéale peropératoire ne devrait être effectuée qu’en contexte de recherche, essentiellement pour un patient présentant une carcinomatose péritonéale isolée provenant d’un cancer colorectal ou d’un cancer de l’appendice, certains cancers abdominaux ayant une évolution possiblement plus lente 38


Pour la majorité des cas, les chirurgies palliatives pour occlusion intestinale sur un cancer urogénital ou gastro-intestinal ne sont pas recommandées pour les raisons suivantes : le taux de mortalité péri-opératoire est très élevé (10 à 15 %), les ré-obstructions sont fréquentes (10 à 50 %), la survie moyenne est courte (moins de 14 % de survie à un an) et dans les données dont nous disposons moins de 40 % des patients opérés semblent avoir obtenu un bénéfice de la chirurgie 39.


Des recommandations pratiques sur le traitement palliatif de l’occlusion cancéreuse chez des patients atteints de cancer en phase avancée ont donc été émises :40 41

  • Pas de recours systématique à une chirurgie en cas d’occlusion,
  • Éviter le plus possible la sonde naso-gastrique, très inconfortable,
  • Laisser les patients s’hydrater par voie orale par petites quantités, selon tolérance, sachant qu’une certaine quantité de liquide sera tout de même absorbée en amont de l’obstruction
  • Accepter les vomissements réguliers de décompression du tractus digestif comme étant une soupape à l’inconfort abdominal et non un signe catastrophique
  • Proposer des mesures pharmacologiques de confort (voir plus bas)
  • Ne proposer une gastrostomie ou une jénunostomie de dérivation qu’en cas d’occlusion complète, d’échec des mesures pharmacologiques et seulement si le patient est en bonne condition générale
  • Ne considérer l’hydratation parentérale que de façon exceptionnelle, pour fin de confort du patient, par voie sous-cutanée plutôt que par voie intra-veineuse en milieu de vie (domicile, longue durée) en raison de la surveillance accrue requise pour la voie intra-veineuse. L’hydratation SC est une technique simple : on peut administrer entre 300 et 1 000 ml par jour selon les besoins, au niveau de l’abdomen le plus souvent, en raison de l’extensibilité du réservoir sous-cutané. L’hydratation parentérale doit être cessée à l’agonie pour éviter une surcharge pulmonaire en toute fin de vie 42.
  • Favoriser la collaboration entre le spécialiste et le médecin traitant de première ligne pour offrir un traitement individualisé au patient.

Le traitement pharmacologique de l’occlusion intestinale associée à une carcinomatose péritonéale est l’option la plus souvent proposée en phase palliative : un analogue de la somatostatine, l’octréotide (SandostatinÒ) associé ou non à une molécule anticholinergique et un laxatif hyperosmolaire réussissent le plus souvent à soulager les symptômes d’occlusion, en partie ou en totalité 43 44. La publication québécoise des pharmaciens en établissements (APES), le Guide pratique des soins palliatifs, détaille ces recommandations 45. Le Mini-guide «Palli-Science»résume ces traitements ainsi que les doses recommandées 46. Guides en soins palliatifs infirmiers et médicaux, accessible par le site Palli-Science (dans la section Guides en soins palliatifs infirmiers et médicaux) détaille les recommandations de traitements pour les patients en occlusion intestinale 47.


Ascite
La carcinomatose péritonéale provoque souvent une ascite secondaire à l’implantation de cellules néoplasiques sur la surface séreuse du péritoine. Le patient se plaindra alors surtout de gonflement abdominal, de dyspnée et de satiété précoce. Une ascite volumineuse peut provoquer une distension massive très inconfortable de l’abdomen. L’ascite se développe le plus souvent en présence d’une grande charge tumorale sur le péritoine : elle est donc un facteur de mauvais pronostic et s’accompagnera le plus souvent d’une perte de poids importante malgré le poids de l’ascite. Le diagnostic d’une ascite est essentiellement clinique. Elle est visible à l’échographie ou à la tomodensitométrie, imageries le plus souvent futiles dans le contexte d’un patient en toute fin de vie : l’abdomen distendu, les flancs bombés et la percussion mate d’un niveau liquidien mobilisable en position couchée suffisent habituellement à faire le diagnostic.

L’ascite néoplasique se retrouve surtout avec les cancers de l’ovaire, de l’endomètre, de l’oesophage, du sein, colorectal, du poumon, du pancréas et des voies biliaires. La moitié des patients avec une ascite néoplasique auront cette ascite dès le diagnostic 48. Nous de disposons pas encore de suffisamment d’évidence clinique pour supporter une modalité de traitement plutôt qu’une autre (ponctions répétées, diurétiques, chimiothérapie, chirurgie, etc.) 49


La paracentèse thérapeutique Ponction d’ascite, répétée à intervalles réguliers, peut être proposée pour soulager une ascite volumineuse très symptomatique : cette avenue thérapeutique semble améliorer la qualité de vie de plusieurs patients 50. Si le patient le désire, on répète la paracentèse (aux deux semaines en moyenne) lorsque le liquide se reforme très rapidement Animation - Ponction d’ascite. De larges volumes peuvent être retirés sans risque majeur de séquelles hémodynamiques chez un patient en bonne condition générale non déshydraté, jusqu’à cinq litres par ponction 51. Par contre, il faut bien évaluer les bénéfices (confort) par rapport aux inconvénients (déplacements requis, sensation de fatigue ressentie souvent après la paracentèse, hypotension et accentuation de la déshydratation chez le patient en frêle en fin de vie). Les patients avec une ascite associée à un cancer ovarien ou du sein semblent avoir une survie plus longue que ceux avec une ascite associée à un cancer colorectal, en raison probablement des nouvelles chimiothérapies cytotoxiques offertes aux femmes avec un cancer de l’ovaire ou du sein 52.


Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la paracentèse s’accompagne d’un faible taux de complications, même en cas d’insuffisance hépatique sévère et de thrombopénie. Le risque de péritonite ou d’hémopéritoine est d’environ un patient par 1 000 paracentèses 53 54. En effet, la coagulation est habituellement normale chez les insuffisants hépatiques malgré l’élévation de l’INR (Indice normalisé de coagulation) en raison de la production persistante de pro-coagulants par le foie, éléments non mesurés par l’INR Examens de fonction hépatique 55. Il n’existe pas de seuil minimal des plaquettes au-dessous duquel la paracentèse serait non indiquée ou devrait être précédée de transfusions plaquettaires. La baisse connue du niveau d’albumine associée aux ponctions d’ascite répétées chez les cirrhotiques n’a pas fait l’objet de recommandations chez les patients en fin de vie de cancer, contrairement aux patients cirrhotiques à qui on administre au besoin des suppléments d’albumine. Par contre, la baisse de l’albumine sérique ainsi que la présence de métastases hépatiques sont des facteurs de mauvais pronostic chez les patients en fin de vie avec une ascite.


On peut effectuer la paracentèse en clinique externe, en cabinet, ou même au domicile du malade Animation - Ponction d’ascite. Mais l’idéal, surtout en présence d’une carcinomatose, demeure la paracentèse sous guidage échographique de façon à réduire le risque de saignements et de mieux localiser les multiples logettes d’ascite souvent loculées dans le cas de carcinomatose. L’évolution d’un cancer abdominal avec carcinomatose fait en sorte que les paracentèses peuvent devenir de plus en plus difficiles et relativement inefficaces en raison d’adhérences et de masses cancéreuses en croissance.


Les paracentèses répétées ne doivent pas entraîner une baisse de qualité de vie pour les patients en phase palliative : il est donc recommandé de retirer le plus de liquide possible, sans hospitaliser le patient si ces ponctions sont tolérées (pas de chute de pression, pas de fatigue accrue). On doit cesser les ponctions dès que le patient est trop faible pour se déplacer hors de chez lui ou qu’il ne ressent plus le bénéfice, surtout si la fin de vie est imminente 56. Chez certains patients en relativement bonne condition chez qui l’ascite gênante se reforme rapidement, on peut envisager de laisser en place un cathéter intra péritonéal pour éviter les paracentèses répétées; il faut néanmoins être conscient que ce dispositif augmente le risque d’infection abdominale. Il en est de même pour les shunts péritonéaux-veineux avec lesquels le risque de complications est plus élevé.


Moins de la moitié des cas d’ascite néoplasique répondront aux diurétiques, essentiellement ceux qui résultent d’une hypertension portale, mais ceci n’est pas encore démontré ni facilement applicable en clinique 57. L’ascite associée à des métastases hépatiques semble mieux répondre aux diurétiques que celui associé aux cancers ovariens et du sein 58. En l’absence de données solides sur l’efficacité comparative des ponctions d’ascite versus l’administration de diurétiques, une étude canadienne démontrait la préférence des cliniciens pour la ponction 59. La restriction hydro sodée dans ces cas semble d’une efficacité modeste tout au plus. La spironolactone associée ou non au furosémide peut être offerte à la condition de porter attention à un possible désordre électrolytique ou à une possible déshydratation. En pratique, les diurétiques semblent le plus souvent peu efficaces pour réduire de façon significative les ascites causées par une carcinomatose péritonéale et peuvent réduire la qualité de vie par l’hypotension et la déshydratation qui peut résulter de leur administration.

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