Quand l’appétit va, tout va!

Combien de fois avons-nous entendu cet adage très populaire.

«Mange-t-on par plaisir ou par obligation?» Parfois les deux, direz-vous.

Qu’arrive-t-il quand le besoin naturel de manger ne se fait plus sentir?

Il ne faut surtout pas mélanger deux concepts : l’appétit est un désir, une sensation de vouloir manger par besoin et qui apporte habituellement du plaisir. Dans le premier cas (besoin spontané), il sera générateur de plaisir et d’espoir; dans l’autre cas (se forcer ou forcer l’autre), il deviendra source de malaise physique et psychologique pour le malade et pour sa famille.

Il faut faire une différence entre «désirer manger» et «vouloir désirer manger à tout prix».

La nutrition obligée, rationnelle et imposée est perverse en ce sens qu’avec l’intention bonne d’améliorer un état pathologique, on provoquera des sensations désagréables et  des risques bien réels de pneumonie et d’étouffement dans certaines situations qui n’aideront en rien la maladie sous-jacente tout en raccourcissant la durée de vie. Il en va souvent de même avec une hydratation artificielle forcée qui peut augmenter des oedèmes périphériques, des ascites et des oedèmes pulmonaires.

Représentations et valeurs symboliques de l’alimentation

  1. L’alimentation est source de vie, symbole de croissance, de force, d’énergie.
  2. Nourrir le patient peut être considéré par les proches et les soignants comme un devoir de solidarité, un acte d’humanité, de compassion.
  3. L’alimentation est un besoin fondamental; en fin de vie elle peut être l’une des dernières sources de plaisir ou de déplaisir.
  4. Elle est également une composante importante de la vie sociale. Du fait des différentes cultures, religions, croyances, il est important de prendre en compte la singularité de chaque patient. 

L’arrêt de l’alimentation

  1. Peut inspirer au patient un sentiment d’abandon.
  2. Peut évoquer le dépérissement, la mort prochaine et inéluctable.

L’acharnement nutritionnel

La pression insistante des «il faut que tu manges pour aller mieux» peut entraîner une satiété précoce, un dégoût de toute nourriture, un profond désarroi, de la nausée et des vomissements.

Rechercher et cerner les représentations et valeurs de la nourriture du patient et de ses proches peut expliquer certaines difficultés, certains conflits ou divergences de vues quant à la prise en charge adoptée ou proposée.

Du point de vue de la médecine en général

L'anorexie, l’asthénie et l’amaigrissement sont les trois signes et symptômes pour parler d’une altération de l'état général. L’anorexie peut être causée par différentes maladies organiques telles que les cancers, les infections bactériennes ou virales, les troubles du métabolismes, etc.

Elle peut aussi avoir des causes psychologiques : dépression, anxiété, thématique de certaines psychoses et névroses, choc émotionnel.

Ce peut être aussi un effet indésirable induit par un certain nombre de médicaments ou d'autres produits actifs : chimiothérapie, amphétamines et apparentés, antidépresseurs, antibiotiques, différents stimulants, ou, a contrario, par le sevrage de certains autres : cannabis, corticoïdes.

Lorsqu'elle est d'origine organique, elle fait généralement partie des réactions naturelles de défense du corps menant à une auto-guérison. Elle est alors bénéfique si elle est de courte durée.

Quelle que soit l'origine, lorsqu'elle dure trop longtemps, elle est source de dénutrition, éventuellement compliquée de malnutrition, avec toutes les conséquences graves, à moyen ou long terme, irréversibles ou fatales.

Parler d’appétit, c’est parler d’inappétence et d’anorexie.

L’anorexie ou «absence de désir» en grec est un symptôme qui correspond à une perte de l'appétit. La perte d'appétit peut être partielle ou complète. Le terme est également souvent employé lorsque l'individu conserve son appétit mais ne peut pas manger en raison de sensations de type nausée ou de dégoût de la nourriture. L'anorexie est fréquemment accompagnée de telles sensations nauséeuses en raison des nombreuses causes communes à ces deux états.

Parler du syndrome
d’altération de l’état
général (AEG),
c’est réunir ces 3
signes et symptôme
s.
Trois symptômes Causes Conséquences

1. Anorexie

Cancers

Infections

Chimiothérapies

Troubles du métabolisme

Troubles psychiatriques

Dénutrition

Malnutrition

2. Asthénie

3. Amaigrissement

 

Lorsque l’anorexie survient, peu importe la cause, il existe des étapes communes chimiques et biologiques qui s’enclencheront pour la défense de l’organisme. Si le processus de défense n’est pas performant, l’anorexie aura pour conséquence une progression vers des états de dénutrition, de cachexie, de marasme et de mortalité.

Physiopathologie commune au niveau des métabolismes

La dénutrition peut avoir de multiples origines. L'étiologie en est variée et peut associer une affection organique, psychiatrique ou sociale. La dénutrition est dite primaire lorsque celle-ci est induite par une cause directe, et secondaire lorsqu'elle découle des suites d'une autre affection. On distingue deux mécanismes physiopathologiques :
A) l'hypermétabolisme
B) la carence d'apports,
ou
C) les deux simultanément.
Toutes les voies métaboliques sont touchées : glucides, gras et protéines.

A) Dénutrition par hypermétabolisme

En cas d'agression de l'organisme (brûlures étendues, souffrance cérébrale aiguë, intervention chirurgicale lourde, états infectieux sévères, défaillance d'organe aiguë, etc.), le métabolisme de base, la dépense énergétique au repos, va augmenter.

B) Dénutrition par carence d'apports

En cas de carence d'apports, s’initie un état de jeûne qui évolue en plusieurs étapes. Les sources d'énergie dans le jeûne sont, pour le métabolisme glucidique, l'utilisation du glycogène hépatique ainsi que la synthèse de glucose et, pour le métabolisme lipidique, l'utilisation des acides gras et la cétogenèse.

  1. Jeûne immédiat 
    L’adaptation à la prise discontinue de nourriture depuis moins de douze heures met en branle un mécanisme qui allie une diminution de la sécrétion d'insuline et une augmentation de la sécrétion de glucagon. Ce jeu hormonal entraîne une stimulation de la lipolyse et de l'oxydation des acides gras, puis une cétogenèse. Afin de maintenir la glycémie, la glycogénolyse est stimulée, de manière exclusive.
  2. Jeûne court
    Adaptation à l'absence de prise alimentaire sur une durée de douze heures à trois ou quatre jours. La sécrétion d'insuline diminue encore. L'épuisement des réserves de glycogène entraîne une baisse de la glycémie. La seule source de glucose de l'organisme devient la néoglucogenèse qui fabrique du glucose à partir des acides aminés des protéines musculaires en produisant de l'urée comme déchet. L'excrétion de l'urée augmente donc. La cétogenèse se poursuit.

  1. Jeûne prolongé
    Après cinq jours environ jusqu'à plusieurs semaines. Les corps cétoniques plasmatiques augmentent, tandis que l'excrétion d'urée se stabilise à 50 mg/kg/j. Cette stabilisation est en rapport avec une stabilisation de la protéolyse à visée d'épargne protéique. De nouvelles modifications hormonales se produisent, avec une diminution de la production des hormones thyroïdiennes. Cette phase de jeûne prolongé aboutit à l'état de marasme.

  2. Phase terminale
    Lorsque les réserves lipidiques sont épuisées, les taux plasmatiques d'acides gras et de corps cétoniques s'abaissent, tandis que la glycémie remonte. En effet, on observe alors un surcroît de mobilisation des protéines des muscles squelettiques pour la néoglucogenèse. Cette dernière entraîne un accroissement de l'excrétion d'urée et d'azote et se solde par une forte morbi-mortalité.

Du point de vue du psychiatre

L'anorexie mentale se différencie des autres formes par le caractère volontaire de la privation de nourriture afin d'éviter la prise de poids et dans le but de maigrir, impliquant une lutte contre la faim ou l'absorption des aliments, sans perte d'appétit initiale. C'est une maladie grave, fréquemment mortelle ou source de séquelles irréversibles.

Il existe d'autres anorexies d'origine psychologique : dépressives, anxieuses, émotionnelles, et tout particulièrement les anorexies psychotiques et névrotiques qui peuvent elles aussi inclure des arguments cherchant à justifier la privation volontaire de nourriture mais sans dysmorphophobie ni désir de perte de poids.

Du point de vue de l’oncologue et en soins palliatifs

Il existe un syndrome d’anorexie singulier lié aux particularités de certains cancers.

Beaucoup de chercheurs s’intéressent au syndrome ainsi prénommé de «anorexie-cachexie», qu’on pourrait définir comme un syndrome d'affaiblissement impliquant une perte de masse musculaire et lipidique directement causé par des facteurs tumoraux cancéreux, ou indirectement causé par une réponse aberrante de l'hôte à la présence de tumeur.

Ainsi défini, ce syndrome anorexique se particularise par une étiologie à la fois tumorale et humorale et pourrait s’apparenter aux syndromes paranéoplasiques que l’on retrouve avec certains cancers.

La pathogenèse de la cachexie cancéreuse est complexe. L'anorexie joue un rôle central, mais d'autres facteurs sont tout aussi importants. Difficile de dire si l’anorexie est responsable de la cachexie ou si la cachexie est pour une part responsable de l’anorexie. Probablement les deux! L’anorexie est primaire, conséquence directe du cancer, ou secondaire, résultant des traitements oncologiques.