DÉPORALISATION ET ACTIVATION

LE PHENOMENE DE DEPOLARISATION "MEMBRANAIRE" ET LE SEUIL D'ACTIVATION
 
Le processus de dépolarisation membranaire se déroulant au moment de la transduction d'un type quelconque de stimulation en signal électrique tel qu'introduit plus avant (Voir: LES NOCICEPTEURS: LEURS LOCALISATIONS) revêt une importance fondamentale puisqu'il touche l'essence même du mécanisme physiologique à l'origine de tout influx électrique dans un neurone et donc de tout influx douloureux. Par ailleurs, il est non seulement fondamental pour comprendre la "naissance" d'un influx douloureux mais il est aussi à la base des effets pharmacologiques de plusieurs médicaments utilisés en visée co-analgésique parmi lesquels se retrouve les anticonvulsivants et les antiarythmiques. Ces notions seront abordées dans le manuel III de la présente série (La gestion analgésique avec les co-analgésiques).
 
Qu'en est-il donc du processus de dépolarisation membranaire?
 
À l'état normal, toute cellule vivante est porteuse d'une charge électrique qui est différente de la charge électrique présente dans son environnement. Cette différence entre ces deux charges électriques, intra et extra cellulaire, peut être mesurée par un voltmètre. A l'état normal, cette lecture indique une charge positive pour l'environnement extra-cellulaire et une charge négative pour l'intérieur de la cellule. Cette différence de charges électriques s'observe de part et d'autre de la membrane cellulaire qui sépare, dans les faits, les milieux extra et intra cellulaires.
 
Cette différence de charges électriques se définit comme étant une polarisation, on dit alors que la membrane cellulaire (neuronale ou axonale dans le cas présent) est polarisée. Cette polarisation concerne classiquement deux électrolytes, le sodium (Na+) et le potassium (K+). Le Ca++ et le Cl- jouent aussi un rôle mais plus tardivement dans la génération d'un influx. La polarisation s'explique par le fait que la concentration en ions sodiques, Na+, est plus élevée à l'extérieur de la cellule qu'à l'intérieur de celle-ci. Les ions potassiques, K+, se retrouvent en plus grande concentration à l'intérieur de la cellule qu'à l'extérieur mais ne font pas le contrepoids avec les ions Na+ pour ce qui concerne les charges électriques étant donnée l'importante différence quantitative en faveur des ions Na+. 
 
En situation de repos, la polarisation i.e. le potentiel de repos, découlant de la différence de charge ionique de part et d'autre de la membrane neuronale s'exprime en millivolts (mV). Comme la charge intérieure est négative, la polarisation est exprimée en valeur négative. Par exemple, il est ainsi fréquent de rencontrer des charges de - 40 mV à - 60 mV (moins 40 à moins 60 mV) pour une cellule.
 
Quant survient une stimulation des nocicepteurs (ou de toute structure neuronale: axone, dendrite), on observe alors une augmentation de la perméabilité de la membrane neuronale dans la région de la stimulation. Les ions sodiques Na+ qui se trouvent en abondance à l'extérieur de la cellule commencent à se déverser à l'intérieur de la cellule par des ouvertures déjà toutes créées dans les membranes cellulaires mais qui sont fermées en situation de repos i.e. lors du potentiel de repos. Ces ouvertures correspondent à des structures anatomiques spécifiques auxquelles on réfère sous le nom de "canaux ioniques". Ce phénomène s'accompagne en même temps d'un certain mouvement des ions potassiques K+ qui sont alors évacués vers l'extérieur de la cellule par le biais de certains canaux ioniques spécifiques K+. Les charges électriques de part et d'autre de la membrane cellulaire connaissent dès lors une inversion au point où les charges négatives tendent à se positiver, à titred'exemple les charges auront tendance à évoluer vers -30, -12, -4, + 6. Ce phénomène d'inversion des charges porte de nom de "dépolarisation". L'ouverture rapide de certains canaux ioniques spécifiques K+est là pour protéger au début de toute stimulation dont l'intensité pourrait être nociceptive afin que la dépolarisation ne se produise pas trop rapidement.
 
Lorsque la dépolarisation commence à se produire, l'influx nociceptif n'est pas encore créé. Il faudra que la dépolarisation atteigne un certain voltage transmembranaire pour que d'autres canaux inoniques Na+ (les canaux voltage dépendants) différents des premiers et tout particulièrement les canaux Ca++ s'ouvrent soudainement afin de laisser entrer une quantité élevée d'ions Na+ et Ca++ qui s'ajouteront aux ions Na+ déjà présents, ce qui aura pour effet de créer enfin le potentiel d'action i.e.l'influx nociceptif.
 
La valeur du voltage transmembranaire devant être atteint pour provoquer l'ouverture des canaux "voltage dépendants" correspond au "seuil d'activation". Il est important de noter que le seuil d'activation n'est pas fixe pour une terminaison nociceptive donnée, cette valeur du seuil d'activation peut augmenter ou diminuer selon certaines circonstances et selon l'environnement biochimique dans lequel les nocicepteurs se trouvent suite à certaines stimulations nociceptives (coup de soleil vs oedème par entorse).
 
Après la création d'un influx, les canaux Na+ et Ca++ se referment rapidement, certains canaux spécifiques K+ différents des premiers s'ouvrent de façon transitoire pour permettre de rétablir rapidement le potentiel transmembranaire de repos. Dans le cas des nocicepteurs, la stimulation nociceptive entrainera un train d'influx nociceptif à une fréquence donnée. En fait, les nocicepteurs ont cette double capacité d'adapter leur seuil d'activation à l'intensité du stimulus nociceptif et d'adapter ainsi leur fréquence de décharges (firing rate) à l'intensité du stimulus nociceptif bien que cette capacité soit beaucoup plus lente que celle des récepteurs non nociceptifs (fuseaux musculaires (muscle spindles), organes tendineux de Golgi (Golgi tendon organ), récepteurs spécialisés dans les tendons, les ligaments et les articulations, corpuscules de Pacini (Pacinian corpuscles), corpuscules de Meissner (Meissner's corpuscles), corpuscules de Ruffini et disques de Merkel). Ainsi, à une certaine intensité de stimulus, tel neurone nociceptif produira 60 influx par secondes alors qu'à six fois cette intensité, le même neurone produira plus d'influx mais l'augmentation n'aura pas été proportionnelle, il ne produira, à titre d'exemple, que 120 influx par secondes. Le seuil d'activation pour créer un seul influx et celui pour créer une salve de 120 influx par secondes n'est pas le même, il s'est élevé considérablement dans le second cas sinon, l'augmentation aurait été proportionnelle.
 
Dans le cas des fibres dont les terminaisons sont munies de nocicepteurs, l'influx ou le courant électrique ainsi créé transporte une information qui sera interprétée par le cerveau comme un message douloureux. On réfère à ce type de fibres comme étant des "fibres nociceptives" et on appelle ce type de transmission orientée vers le cerveau une "afférence" nociceptive. En contrepartie, les fibres motrices sont des "efférences".