Mise en place des équipes médicales de soins à domicile : organisation pratique

Nous faisons par la présente une demande urgente aux CISSS/CIUSSS de la province pour mettre en place dès cette semaine des équipes médicales en soins à domicile dans tous leurs CLSC. En effet, lorsque nos hôpitaux déborderont des cas de Covid-19, les patients âgés atteints de conditions avancées et terminales (fin de vie insuffisance cardiaque, pulmonaire, rénale, hépatique, démence, cancer, fin de vie de Covid non hospitalisé, etc.) devront demeurer à domicile, pour leur fin de vie ou lors de leurs décompensations. Actuellement, au Québec, ces patients consultent aux urgences et sont pour la plupart hospitalisés. On doit renverser cette tendance en quelques jours à peine : il y a urgence.

Au lieu de se désoler devant l’absence de déploiement d’équipes médicales pour les patients âgés à domicile et en ressources intermédiaires visiblement oubliés des décideurs, nous avons choisi plutôt de partager une organisation efficace et simple qui pourrait être mise en place immédiatement dans tous les CLSC pour éviter aux patients de mourir à leur domicile en grandes souffrances alors que leurs infirmières cherchent désespérément un médecin prescripteur. Nous croyons qu’il est moins une : le MSSS et la santé publique devraient relayer ces informations pratiques immédiatement aux CLSC qui devront tenir compte bien sûr des variations entre les territoires.

Nous vous soumettons ci-dessous des propositions concrètes et rapides de travail médical en urgence « épidémie Covid-19 » pour les grands malades à domicile. Ces solutions sont inspirées du travail acharné des Dr Éveline Gaillardetz et Dr Élise Royer-Perron du SIAD Verdun avec les gestionnaires du CLSC de Verdun et du CIUSSS Centre-Sud. Nous les remercions.

  1. Demander au DRMG régional de faire appel à tous les médecins de famille de la région pour constituer des équipes médicales SAD de 10 médecins au moins : ceci peut se faire en quelques jours (médecins plus âgés, médecins moins occupés au GMF, médecins expérimentés en soins palliatifs, etc.). Des spécialistes médicaux disponibles pourraient se joindre à ces équipes.

  2. Ces équipes médicales seront essentiellement au téléphone, pour trier les cas médicaux, établir d’emblée les niveaux de soins qui autorisent le traitement à domicile (B sans intervention hospitalière, C et D en soins de confort), évaluer à distance leurs besoins médicaux avec l’infirmière des soins à domicile (SAD) sur place à domicile et prescrire la médication requise pour la fin de vie et les crises aigues. Lorsque les demandes seront très nombreuses, les visites à domicile par les médecins seront limitées aux cas de diagnostic incertain, ce qui permettra de maximiser le nombre de cas réglés chaque jour par chaque médecin. Ceci n’est pas du bénévolat : les appels peuvent être facturés comme des visites en cabinet.

  3. Les médecins devraient idéalement couvrir les demandes médicales 12 heures par jour, 7 jours semaine, sur place au CLSC (où travaillent les autres professionnels SAD), sinon à partir de leur GMF ou d’un autre établissement, ou de leur domicile s’ils sont équipés d’un dossier médical électronique, de la clé DSQ, d’un fax et idéalement de l’application REACTS. Les services SAD des CLSC doivent s’équiper immédiatement de portables ainsi équipés, en nombre maximal : faites appel au GMF le plus proche où plusieurs portables seront moins utilisés pendant la pandémie. Sans ces outils les médecins n’auront pas accès aux informations médicales cruciales pour la gestion des cas lourds et perdront un temps considérable.

  4. Les appels des patients instables du territoire de chaque CLSC doivent être centralisés sur un numéro unique pour recevoir les demandes médicales pour les patients à domicile, de la part des infirmières SAD, des médecins GMF, des médecins d’urgence ou d’hôpital, des ambulanciers, du service 911, des proches et des malades eux-mêmes.

  5. Une grande proportion des évaluations et des traitements peut se faire par téléphone, surtout si le médecin présent ce jour-là est débordé: légalement, il est recommandé d’écrire « contexte pandémie COVID » dans les notes et les prescriptions, surtout pour les opiacés.

  6. Le site Palli-Science a créé un onglet Covid-19, ouvert à tous. Vous y trouverez les doses et les voies d’administration de la médication de fin de vie et de détresse à domicile. Vous trouverez sur le site Palli-Science les textes « Fin de vie Cancer » et « Fin de vie non-cancer » qui détaillent les soins médicaux avancés à domicile. Vous y trouverez des informations et des vidéos détaillés pour les proches qui prennent soin à domicile d’un mourant ou d’un grand malade. Diffusez cette information autour de vous : des médecins non experts en soins palliatifs y trouveront les informations nécessaires pour participer aux équipes SAD pendant la pandémie.

  7. Palli-Science a mis gratuitement à la disposition de tous les professionnels de la santé son Mini-guide en version PDF mais aussi en application gratuite téléchargeable sur les téléphones intelligents, guide qui détaille la médication de fin de vie et les doses.

  8. Tout cas avéré ou fortement suspect de Covid-19 requiert la protection maximale des professionnels à domicile. Ce sont les infirmières qui seront les plus présentes à leur chevet : leur sécurité est une priorité. En premier lieu, dès l’arrivée il est suggéré de remettre un masque au patient pour qu’il le mette lui-même puis d’effectuer le questionnaire à au moins 2 mètres de distance.
    Le matériel de « protection gouttelettes » (Jacquette, gants, masque chirurgical, lunettes de protection) est requis et devra être préparé d’avance au CLSC. Il serait efficient, pour maximiser ce matériel, de rassembler les visites à risque de contamination au Covid-19 auprès de la même infirmière chaque demi-journée, qui pourra garder son masque et ses lunettes d’un domicile à l’autre, pour se dévêtir ensuite de façon sécuritaire à la fin de cette demi-journée. Un véhicule devrait être prêté à ces professionnels, pour être ensuite désinfecté complètement en fin de journée. Aucun matériel en provenance du domicile ne devra être ramené. Il faudra limiter au maximum l’examen physique, incluant la prise des signes vitaux. Il ne faut pas amener d’ordinateurs portables à domicile, ni d’appareils de tension artérielle si possible, car il est difficile de les désinfecter. Il faut désinfecter méticuleusement le stéthoscope et le saturomètre après leur utilisation. Le sac de visites à domicile doit être lavable, réduit au minimum.

  1. Le matériel de base requis pour un habillage/déshabillage d’un patient Covid-19 visité à domicile est le suivant : 1 jaquette, 2 paires de gants, 1 masque chirurgical, 1 paire de lunettes protectrices, 1 sac zip lock, 6 lingettes désinfectantes, 1 sac de poubelle. Le masque procédural (N 95) est réservé aux cas de Covid sévères (fin de vie à domicile) et aux manipulations dans la zone oropharyngée (cancer ORL par exemple). On doit disposer le matériel utilisé dans une poubelle chez le patient. Voir Méthode de déshabillage et de désinfection des lunettes de protection.

  2. A domicile, pour une perfusion urgente, prioriser les pompes SC élastomériques (mieux connues sous le nom de « biberons »), pas celles à haut débit mais plutôt celles qui sont à faible débit utiles pour la voie d’administration SC. Plus de 25 pharmaciens préparateurs de solutions stériles sont en place au Québec, capables de charger ces biberons sur votre appel ou prescription: chaque CLSC devrait appeler le pharmacien préparateur de sa région pour lui suggérer de commander en urgence de nombreux biberons à bas débit. En effet, nous allons rapidement manquer de pompes PCA et celles-ci requièrent une expérience et un temps précieux des infirmières pour la programmation et l’installation. Les biberons viennent avec une concentration prédéterminée (exemple-hydromorphone 2 mg/heure), avec un volume qui peut aller jusqu’à 275 ml, donc en place pour 3 à 7 jours au besoin : laissez le pharmacien déterminer la concentration. Il n’est pas possible de donner des entredoses avec ces biberons : celles-ci seront préparées d’avance en seringues si possible. Pas besoin de retourner le biberon après usage pour désinfection : jetables, ils sont nettement moins coûteux que la location par les CLSC de pompes PCA avec les tubulures.

  3. A domicile, en situation très urgente, prioriser la voie nasale. Tous les SAD des CLSC devraient commander sans délai un grand nombre de dispositifs LMA MAD nasals. Le midazolam peut être ainsi administré (maximum 1-2 ml/ narine) par les proches avec sédation en moins de 10 minutes, idéal pour les détresses à domicile : on visse une seringue de 3 cc (vidéo pour les proches et les professionnels sur Palli-Science / Onglet public Covid-19) au dispositif et on injecte rapidement dans la narine la solution en 1-2 secondes. La famille peut réutiliser le dispositif pour le même malade tant que requis.

  4. Pour tout cathéter SC, demandez aux infirmières de préparer tout le matériel en premier dans une autre pièce puis d’installer le jelco en abdominal (portion supérieure ligne infra-mammaires/absorption plus rapide, voir Palli-Science / Onglet public Covid-19 / Schéma zones 1 et 2 pour administration SC) pour demeurer loin de la zone de la bouche et du nez, et demeurer le moins longtemps possible à moins de 2 mètres du patient.

  5. Prescrire d’avance à la pharmacie communautaire la médication de fin de vie pour tout patient qui pourrait présenter une détérioration terminale, en spécifiant « à commander et garder sur place ». L’Association des pharmaciens propriétaires a été contactée par notre équipe : elle avise actuellement ses membres de commander et garder des fortes réserves de médication injectable pour les fins de vie à domicile. Les ressources intermédiaires devraient garder sur place tout ce qu’il faut pour une fin de vie, sous clé, utilisable en urgence, incluant les sondes, les seringues et cathéters type jelcos requis pour l’administration SC, ainsi que les dispositifs intra-nasaux.  

  6. En situation d’extrême urgence, sans dispositif SC ou intra-nasaux sur place, la voie bucco-gingivale est facile d’accès pour les proches : tous les opiacés peuvent y être donnés, écrasés avec un peu d’eau (Palli-Science / Onglet public Covid-19 / Administration de la médication par voie bucco-gingivale).

  7. Mettre en place sur leurs téléphones intelligents l’application REACTS pour tous les médecins/infirmières à domicile pour permettre les téléconsultations et le constat de décès à distance : pré formulaire complété par l’infirmière sur place, envoyé par REACTS au médecin qui complète manuellement le constat de décès SP3, le photographie pour le faire parvenir à l’entreprise funéraire par REACTS. Sans REACTS, le médecin serait obligé d’envoyer la photographie de son SP3 complété à distance par son courriel personnel, non sécurisé. On ne demandera pas au médecin débordé en soins à domicile de se déplacer pour faire les constats de décès : partout au Québec, l’infirmière sur place peut le faire. On ne demandera pas non plus au médecin de compléter les SP3 pendant la nuit : en période de crise avec débordement de patients à soigner à domicile, la complétion et l’envoi de ce formulaire peut attendre au matin. Toutes les énergies des médecins seront ainsi concentrées sur les soins aux patients souffrants encore en vie.

  8. Nous vous invitons à partager avec Palli-Science ainsi que sur l’onglet COVID-19 de Profession Santé toute initiative que vous connaissez qui permettra aux professionnels à domicile de ne pas laisser souffrir un patient instable ou en fin de vie à domicile en cette période de pandémie Covid-19. Ces deux sites se sont mobilisés pour offrir en temps réel toute l’information pratique concrète, afin de ne pas abandonner nos personnes âgées malades dans des souffrances inacceptables, lorsqu’ils ne pourront plus être hospitalisés. Nous vous invitons à faire pression immédiatement sur votre centre de santé (CISSS, CIUSSS) pour mettre en place des équipes médicales en soutien aux équipes de soins à domicile des CLSC, partout dans la province. Et de faire savoir à vos décideurs que les soins médicaux à domicile incluant les soins palliatifs, devraient faire partie de l’organisation de soins d’urgence face à la pandémie au Québec.

 

Dre. Geneviève Dechêne, Médecin
Chargée de formation clinique Université de Montréal.
Soins à domicile au CH Verdun.
Directrice scientifique du site de Palli-Science