Éparpillement multi-étage, multi-convergence, douleur irradiée et douleur référée

Que le contexte clinique soit celui d'une douleur "sans" activation des récepteurs NMDA ou que le contexte clinique soit celui d'une douleur "avec" activation des récepteurs NMDA, les notions qui suivent et cela jusqu'à la fin du présent chapître s'appliquent toujours

Il a été fait mention, plus avant, de l'éparpillement multi-étagé des fibres nociceptives au niveau de la corne postérieure, éparpillement particulièrement marqué pour les fibres nociceptives d'origine viscérale, et de la multi-convergence. Il a été suggéré que l'éparpillement multi-étagé et la multi-convergence permettaient de mieux comprendre la douleur "référée".

Cependant en clinique, deux situations se rencontrent fréquemment: la douleur "référée" et la douleur "irradiée". Douleur "référée" et douleur "irradiée" sont deux réalités différentes.

La douleur "irradiée" décrit la zone d'un dermatome où est ressentie une douleur quand un nerf est soumis à un stimulus nociceptif quelconque, souvent une compression. Ainsi, la douleur ressentie au "gros orteil" en raison d'une hernie discale L5 en est un exemple. Il est bien entendu qu'à partir du moment où le multi-étagement de l'éparpillement augmente comme cela est susceptible de se rencontrer en situation d'ouverture des NMDA et de contribution du système nerveux autonome sympathique, la zone où est ressenti la douleur irradiée s'élargit tout autant.

La douleur "référée" pour sa part est celle qui est ressentie dans la zone d'un

  • dermatome
    ou
  • myotome
    ou
  • sclérotome
    ou
  • viscérotome

alors qu'il n'existe pas de stimulations nociceptives dans le dermatome ou myotome ou sclérotome ou viscérotome où la douleur est ressentie.

La nomenclature dermatome ou myotome ou sclérotome ou viscérotome provient de l'époque embryologique et se rattache au développement de l'embryon autour du 26e jour. L'origine embryologique des afférences et les liens de ces afférences avec leur segment médullaire aussi appelé métamère remonte à cette époque.

Chaque étage ou segment médullaire (pex.: C5, D11, L4) reçoit des afférences des 4 entités trouvant origine au niveau embryologique: la peau, les muscles, les structures osseuses / cartilagineuses et les viscères. Le segment médullaire innervant telle région ou structure s'appelle un métamère.

Les structures cutanées possèdent des métamères ou segments médullaires habituellement assez bien définis, ainsi il est assez facile d'attribuer un segment médullaire pour les surfaces cutanées et ce segment cutanée est généralement assez clairement délimité sans chevauchement avec une autre surface cutanée. Cette surface cutanée rattachée à un segment médullaire particulier correspond aux dermatomes auxquels on fait référence si souvent.

En regard de la surface cutanée, il est même possible d'explorer la notion de dermatome plus en détail. Ainsi chaque neurone nociceptif est connecté à une portion anatomique spécifique de la surface cutanée, cette portion s'appelle "le champ récepteur". Chaque champ récepteur constitue une toute petite portion d'un dermatome, un dermatome étant la surface cutanée dont l'innervation est associée de façon préférentielle à une racine particulière (ou nerf spinal). Chaque champ récepteur recouvre une partie d'un autre champ récepteur lui aussi nociceptif. Il existe ainsi une importante superposition de champs récepteurs pour toute surface donnée. Par ailleurs, à l'exemple des champs récepteurs nociceptifs, chaque type de perception sensorielle posséde ses propres champs récepteurs ce qui amène finalement un important chevauchement de différents champs récepteurs appartenant chacun à des afférences sensorielles différentes.

Par ailleurs, les structures autres que les surfaces cutanées possèdent elles-aussi des métamères ou segments médullaires mais qui sont habituellement un peu moins bien définis voire beaucoup moins bien définis. Les mieux définis après les dermatomes sont les myotomes et il demeure encore est assez facile de reconnaître un segment médullaire pour les différents groupes musculaires mais déjà l'étalement est plus grand et un peu moins précis que pour les dermatomes. A titre d'exemple, un problème à l'étage L5-S1 peut entraÎner une ténomyalgie au niveau des muscles fessiers, ischio-jambiers et des muscles du mollet (triceps sural: gastrocnemius et soleus). Cet exemple illustre le fait qu'un site rachidien puisse donner différentes zones de douleurs référées à la fois dans un dermatome et à la fois dans un myotome qui ne se chevauchent pas l'une et l'autre et qui pourtant originent du même métamère à l'étape embryologique.

Ensuite viennent les associations métamères - structures osseuses / cartilagineuses, ce qui correspond aux sclérotomes. Ici, les distances commencent à prendre plus d'importance et les associations entre les structures osseuses / cartilagineuses et les métamères dont ces structures originent sont parfois déroutantes de prime abord. L'exemple classique à cet égard concerne l'atteinte des articulations interapophysaires de la charnière dorso-lombaire soit D11-D12-L1 et la région fessière et/ou sacro-iliaque et/ou crête iliaque postérieure où la douleur peut être ressentie, parfois en surface, parfois en profondeur. Un autre exemple classique concerne le diaphragme et l'épaule dont l'innervation au stage embryologique origine pour chacune de ces structures des segments C3-C5. Dans le cas du diaphragme, les afférences pour mieux suivre le diaphragme ont empruntées le nerf phrénique pour faire leur migration vers le bas de sortes qu'elles se sont éloignées considérablement de leurs segments d'origine. Ainsi, une atteinte du diaphragme peut donner des douleurs référées dans le sclérotome C3-C5.

Enfin, les viscérotomes sont les plus éparpillés et ceux offrant les limites les moins précises en raison du fait que les viscères envoient leurs afférences non seulement vers plusieurs segments ou racines à la fois (étalement sur au moins quatre à six racines) mais vers des segments médullaires qui sont souvent très loin de leur localisation, ceci parce que durant l'embryogénèse, la migration de certaines structures s'est faite sur de longues distances. Ainsi, des structures aussi diverses que le tiers distal de l'oesophage, l'estomac, le grêle, le caecum, l'appendice, le colon ascendant et transverse, le foie, la vésicule biliaire, les canaux biliaires, le pancréas et les surrénales peuvent envoyer des afférences nociceptives qui transitent, sans faire de synapses (car il s'agit des fibres périphériques!) par le plexus coeliaque et ensuite le grand nerf splanchnique avant d'atteindre les métamères D6-D9 et possiblement jusqu'à D5-D10. Un exemple classique de douleur référée impliquant deux viscérotomes concerne l'appendice et l'ombilic. Il arrive souvent qu'une douleur d'appendicite soit d'abord ressentie dans la région de l'ombilic, cela parce que le segment métamérique recevant les afférences de ces deux structures est le même, soit D10. Ce n'est qu'au momemt où les nocicepteurs du péritoine pariétal qui appartiennent pour leur part au réseau somatique que la douleur commence à être véritablement perçue comme provenant de l'appendice.

En regard des douleurs référées, il peut arriver que la douleur soit ressentie en deux régions, celle où la stimulation nociceptive s'exerce véritablement et dans le dermatome ou myotome ou sclérotome ou viscérotome concerné comme il peut arriver que la douleur ne soit ressentie que dans le dermatome ou myotome ou sclérotome ou viscérotome concerné alors que la stimulation nociceptive se déroule ailleurs.

L'erreur d'interprétation par le cerveau se fait sur le site où les mécanismes nociceptifs se produisent car le cerveau avise alors qu'il se produit une stimulation nociceptive mais dans une "fausse région", la zone "référée". Le cerveau confond alors site douloureux et siège des mécanismes nociceptifs qui dans la cas des douleurs référées sont deux sites différents. Ainsi, la douleur ressentie dans le bras gauche lors d'une crise d'angine ou lors d'un infarctus en est un exemple puisqu'à ce moment, ni les nocicepteurs du bras gauche, ni les nerfs périphériques ni les racines contenant les afférences du bras gauche ne sont soumis à une stimulation nociceptive.

Deux hypothèses ont cours actuellement pour tenter d'expliquer les douleurs référées:

  • une convergence entre les afférences nociceptives vraies et les nociceptives nociceptives "non stimulées" sur les mêmes neurones centraux qui fait en sorte que la région où la douleur "référée" est ressentie correspond alors à la zone médullaire où se font les plus importantes "arrivées simultanées" entre
    • les fibres afférentes nociceptives provenant de la structure viscérale, ostéoarticulaire ou nerveuse lésée i.e. là où la stimulation douloureuse se produit
    • les afférences nociceptives de la région "donnée" i.e. de la zone où la douleur est ressentie

L'influx nociceptif provenant de la structure lésée est intégré au niveau du cerveau comme provenant du territoire non lésé: il y a erreur sur la localisation de la lésion. Le cerveau n'est pas capable de faire la différence entre les deux sites en raison de la convergence des informations au niveau de la moelle.

  • une double direction de l'influx nociceptif arrivant au neurone central soumis à la multi-convergence de sorte qu'une portion des influx subirait un revers de direction et pourrait être véhiculée de façon antidromique dans les afférences nociceptives non stimulée. Un tel influx antidromique pourrait favoriser la libération antidromique de substance P qui entraînerait à son tour la libération d'autres substances algogènes au niveau de la zone référées i.e. au niveau de la zone non stimulée.

Dans un cas comme dans l'autre, le cerveau à tendance à préférablement projeter la douleur référée sur une structure somatique. Mais l'inverse peut très bien se rencontrer à savoir une origine somatique alors que la douleur est ressentie au niveau viscéral.

Comprise de cette façon, la douleur référée peut alors s'étendre sur des zones plus ou moins larges. En référence aux éparpillements "céphalad" et "caudad" que peuvent prendre les fibres nociceptives du faisceau de Lissauer à leur entrée dans la moelle, il est possible d'en déduire certains éléments "cliniques". A cet effet, moins les afférences nociceptives en provenance d'un dermatome, d'un myotome ou d'un sclérotome sont éparpillées, plus la zone de douleur référée sera réduite et précise. Le contraire est aussi vrai. Il faut dire par ailleurs que cet éparpillement connaît des différences anatomiques individuelles d'une personne à l'autre.

Par ailleurs, il faut rappeler que "l'arrivée simultanée" des afférences de la région lésée et celles de la région référée ne concerne pas uniquement que deux fibres telle qu'on pourrait l'imaginer dans une vision simplifiée de la convergence. En fait cette "arrivée simultanée" touche

  • l'arrivée d'une fibre nociceptive périphérique sur plusieurs dendrites appartenant à plusieurs neurones nociceptifs ascendants, cette fibre transportant déjà plusieurs champs récepteur,
     
  • l'arrivée de plusieurs fibres nociceptives périphériques sur plusieurs dendrites appartenant à plusieurs neurones nociceptifs ascendants, chaque fibre transportant donc une multitude de champs récepteur d'où l'élargissement de la zone où est ressentie la douleur référée, enfin en présence d'une activation des NMDA et d'une participation du système sympathique, cette arrivée simultanée touche aussi
     
  • l'arrivée de plusieurs fibres périphériques non-nociceptives sur un même neurone nociceptif central ascendant et transportant encore chacune leurs propres champs récepteurs mais venant ajouter dans les circonstances un net rehaussement du transfert nociceptif. (Voir LE SYSTEME DE TRANSPORT DES INFLUX NOCICEPTIFS: LA PORTION CENTRALE)

Il est bien entendu que les événements décrits ci-haut s'appliquent tout autant au niveau du tronc cérébral où le noyau spinal du trijumeau se trouve l'équivalent de la corne postérieure pour recevoir les afférences nociceptives de la face (Voir: LE SYSTEME DE TRANSPORT DES INFLUX NOCICEPTIFS: LA PORTION CENTRALE).

En somme, face à ces phénomènes de multi-étagement et de multi-convergence, une conclusion s'impose de toute évidence:

  • à chaque fois qu'un neurone nociceptif est suffisamment lésé, il risque de se produire un élargissement des champs récepteurs. Plus cet élargissement s'étend, plus les zones où la douleur référée se manifeste se trouvent "déformées" par rapport à l'anatomie courante des dermatomes.

Ces transformations sont susceptibles d'ajouter encore d'autres difficultés à la personne qui a mal car en raison de l'élargissement des champs récepteurs et du dépassement des champs récepteurs habituels, l'anatomie normale de la douleur risque de ne plus se retrouver entraînant souvent un doute dans l'esprit des soignants.

Enfin, il faut aussi souligner que "l'arrivée simultanée" des afférences nociceptives de la région lésée ne concerne pas uniquement que les neurones centraux nociceptifs. En fait cette "arrivée simultanée" concerne aussi les neurones moteurs et donc

  • l'arrivée de fibres nociceptives périphériques sur plusieurs dendrites appartenant à plusieurs neurones moteurs, ce qui amène de fait un certain tonus contractil chez plusieurs fibres musculaires en même temps.

Pour la musculature du tronc et des membres, les neurones moteurs impliqués dans ces interconnexions sont localisés dans la corne antérieure de la moelle, pour la musculature du cou et de la tête ils sont situés dans les noyaux moteurs des nerfs crâniens. Il est donc possible d'observer des contractions musculaires réflexes suite à des stimulations nociceptives soutenues.

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