Une fois l'ensemble du réseau nociceptif ainsi revu, il est plus facile de comprendre la théorie du portillon et l'effet portillon telle que formulée par Melzack et Wall.
La théorie du portillon et l'effet "portillon" reposent sur l'arrivée simultanée dans la corne postérieure d'influx de trois types:
-
• nociceptifs
• sensitifs non-nociceptifs (toucher léger, proprioception, massage, TENS ...)
et
• inhibiteurs (à partir des faisceaux inhibiteurs descendants).
Grâce à la présence d'influx sensitifs non-nociceptifs et d'influx inhibiteurs descendants arrivant à la corne postérieure, il est possible de "mettre des embûches" aux transferts nociceptifs qui se font entre les fibres nociceptives périphériques et centrales au niveau de la corne postérieure. Ces "embûches" sont exercées par des mécanismes faisant inhibition à ces transferts et ces mécanismes ont été pensés et décrits par Melzack et Wall comme jouant le rôle d'un portillon qui ouvre ou ferme le passage au transfert d'influx.
Ainsi, lorsque des transferts nociceptifs se font entre les fibres nociceptives périphériques et centrales, l'effet "portillon" peut s'exercer de deux façons:
• par l'arrivée d'influx en provenance des fibres larges myélinisées (A alpha et A bêta).
Les influx originant des fibres de gros et moyen calibre A alpha et A bêta, qui transmettent à des vitesses variant de 30 - 120 m/s donc beaucoup plus rapidement que les fibres C et A delta, viennent activer une multitude d'interneurones dans certaines couches de la corne postérieure dont la fonction est de bloquer le transfert des influx nociceptifs provenant des petites fibres (A delta et C) vers les neurones centraux. Ce blocage par les interneurones se produit par une action pré-synaptique sur le bouton pré-synaptique ou par une action post-synaptique sur la membrane ou les dendrites du corps cellulaire de la cellule centrale (spino-thalamique et autres faisceaux ascendants). Cette activation d'interneurones apporte ainsi la contribution "modulatrice" des grosses fibres A alpha et A bêta. L'activation des grosses fibres par des approches non-pharmacologiques telles un massage ou du TENS (stimulation électrique à basse intensité et haute fréquence) vient supporter sur une base clinique l'idée de cette modulation.
• Les massages ont pour effet de manipuler, étirer, déformer les myofibrilles (fibres musculaires) provoquant de ce fait une activation des récepteurs situés à ces niveaux (fuseaux musculaires [muscle spindles], organes tendineux de Golgi [Golgi tendon organ], récepteurs spécialisés [tendons, ligaments et articulations]). Ces récepteurs sont connectés à des fibres A alpha qui apportent ainsi leur contribution au portillon.
• Le TENS intervient de façon plus superficielle et l'activité électrique exercée par la neurostimulation se limite habituellement au niveau cutané bien que les ajustements de voltage et d'ampérage puisse entraîner de fines contractions musculaires saccadées suivant la fréquence de décharge de l'appareil. La stimulation cutanée active les récepteurs qui sont connectés à des fibres A bêta qui apportent à leur tour leur contribution au portillon.
• par l'arrivée d'influx en provenance des faisceaux inhibiteurs descendants réunies dans le faisceau dorso-latéral (FDL) et qui ont pris origine dans les "zones modulatrices" supra-spinales principalement tronculaire (mésencéphale: substance grise périaqueducale, protubérance: noyau ceruleus (nucleus coeruleus), bulbe: noyau raphé magnus, noyau réticulaire gigantocellulaire latéral.
Les neurones des faisceaux inhibiteurs descendants arrivent principalement vers les couches (laminae) I, II et V de la corne postérieure (Voir: LE TERMINUS PERIPHERIQUE ET LE PREMIER RELAIS CENTRAL: LA CORNE POSTERIEURE). Les fibres des faisceaux dorso-latéraux vont produire leur effet de modulation (blocage des transferts nociceptifs) de deux façons: en faisant synapse directement en pré ou post-synaptique ou en activant, elles aussi, une multitude d'interneurones dont l'action sera aussi de bloquer le transfert des influx nociceptifs périphériques vers les neurones centraux de la même façon que les interneurones activés par les fibres Aa et Ab l'ont fait. La stimulation des faisceaux postérieurs (gracilis et cuneatus) par un neurostimulateur interne (à basse fréquence et haute intensité) tout comme les approches et techniques non-pharmacologiques "positives" telles une douce musique ou encore des exercices d'imagerie mentale supportent cette idée de modulation. Dans le cas des approches et techniques "positives", cette modulation se fait alors
• par l'activation des faisceaux descendants inhibiteurs par les centres limbiques qui font relais vers la SGPA qui fait ensuite relais vers les noyaux raphé du bulbe.
Alors que l'application de stimulation médullaire directe par un neurostimulateur interne produit une modulation par au moins trois mécanismes, soient par une activation
• directe des faisceaux descendants inhibiteurs (ils sont à proximité des faisceaux postérieurs)
• indirecte des faisceaux descendants inhibiteurs (l'activation des faisceaux postérieurs entraîne une activation des relais tronculaires qui activent à leur tour les faisceaux descendants principalement à partir de la substance grise périaqueducale (SGPA)
et
• rétrograde ou antidromique des faisceaux postérieurs qui avant de faire leur ascension vers les étages supérieures ont envoyé des projections aux étages médullaires où ils sont entrés. Les électrodes appliquées sur les cordons postérieurs provoquent des influx qui vont à la fois faire leur ascension vers les structures tronculaires pour activer des influx inhibiteurs descendants et à la fois "redescendre" (ce sont les influx antidromiques) pour se terminer aux extrémités des projections envoyées vers la corne postérieure dans les couches III et IV. Ces projections arrivent sur des interneurones qui vont moduler la neurotransmission nociceptive en pré-synaptique et/ou en post-synaptique.
- L'effet final est toujours le même: c'est celui d'une modulation exercée au niveau de la corne postérieure.
Les fibres "modulatrices" proviennent donc de deux sources:
-
• de la périphérie (fibres A alphaet A bêta) ce qui donne le portillon segmentaire,
• des régions centrales inhibitrices (principalement des structures du tronc cérébral) ce qui donne le portillon extra-segmentaire. Voir LA CONTREPARTIE DES FAISCEAUX ASCENDANTS: LES FAISCEAUX DESCENDANTS INHIBITEURS.
Les fibres des faisceaux inhibiteurs desdendants produisent leur modulation soit directement, soit par l'intermédiaire d'interneurones alors que les fibres A alpha et A bêta produisent leur modulation uniquement par l'intermédiaire d'interneurones.
Les interneurones, activés par ces différentes fibres "modulatrices" peuvent faire synapse
-
• avec les boutons pré-synaptiques des fibres périphériques,
• avec les membranes post-synaptiques du corps cellulaire des fibres centrales,
ou
• avec les membranes post-synaptiques des dendrites des fibres centrales.
L'inhibition peut donc se faire à deux endroits:
-
• en pré-synaptique
et
• en post-synaptique.
En pré-synaptique, l'inhibition provient particulièrement des faisceaux descendants dorso-latéraux et cette inhibition se fait directement de préférence sur les boutons pré-synaptiques des fibres A delta et à un degré moindre sur les boutons pré-synaptiques des fibres C.
En post-synaptique, l'inhibition peut se faire
-
• directement par les fibres du faisceau dorso-latéral (2e fibre du FDL à droite) bien que ce mode de modulation soit moins important que le mode pré-synaptique pour les fibres du faisceau dorso-latéral
• indirectement sur le corps cellulaire ou sur les dendrites du neurone central
• par un interneurone ou neurone intercalaire qui lui, fait synapse directement avec le corps cellulaire du WDR (1-3-4e fibre du FDL à droite), c'est le mode utilisé par un certain nombre de fibres des faisceaux descendants
• par une cellule pédonculée qui elle, fait synapse directement avec le corps cellulaire du WDR (1-3-4e fibre du FDL à droite) (5e fibre du FDL à droite), c'est le mode utilisé de façon préférentielle par les fibres A alpha et A bêta.
Les fibres des faisceaux inhibiteurs descendants exercent leur modulation par deux neurotransmetteurs,
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• la sérotonine
et
• la norépinéphrine
alors que les interneurones "inhibiteurs" font usage préférentiellement de trois neurotransmetteurs (NT) :
-
• l'enképhaline
• la dynorphine
et
• le GABA.
Des récepteurs "biochimiques" de type sérotoninergiques, adrénergiques, opiacés et de type GABA sont présents en pré et en post-synaptique. L'activation de ces récepteurs produit des effets biochimiques différents selon le type de récepteur et selon le contexte présynaptique ou postsynaptique mais l'effet final converge dans le même sens, celui de réduire la neurotransmission des influx nociceptifs.
-
• Au niveau du bouton pré-synaptique, l'activation des récepteurs de type sérotoninergiques, adrénergiques, opiacés et de type GABA entraîne une réduction de l'activité métabolique intrinsèque ce qui a pour effet de réduire la production et la libération des NTs nociceptifs habituellement observés lorsqu'un influx nociceptif arrive au niveau du bouton pré-synaptique (Voir: LA TRANSMISSION D'UN INFLUX DANS L'ESPACE SYNAPTIQUE: LES NTs "INHIBITEURS", L'HYPERPOLARISATION ET LES EFFETS SUR LE BOUTON PRE-SYNAPTIQUE ET LE NEURONE CENTRAL)
• Au niveau de la membrane post-synaptique autant du corps cellulaire que de ses dendrites, l'activation des récepteurs de type sérotoninergiques, adrénergiques, opiacés et de type GABA entraîne une "hyperpolarisation "prolongée". Cette hyperpolarisation de la membrane post-synaptique entraîne un niveau de "voltage" transmembranaire encore plus négatif que le potentiel de repos appartenant à ces neurones. Cette hyperpolarisation, qui est en fait une accentuation de la négativité intracellulaire, a pour effet d'empêcher la membrane post-synaptique de réagir à l'arrivée d'un NT nociceptif provenant de la membrane pré-synaptique. La membrane post-synaptique devient donc "non réceptive" au NT nociceptif libéré puisque la dépolarisation provoquée par le NT nociceptif ne peut plus atteindre le seuil d'activation nécessaire à la production d'un influx nociceptif (i.e. un potentiel d'action). (Voir: LE PHENOMENE DE DEPOLARISATION "MEMBRANAIRE" et LA TRANSMISSION D'UN INFLUX DANS L'ESPACE SYNAPTIQUE: LES NTs "INHIBITEURS", L'HYPERPOLARISATION ET LES EFFETS SUR LE BOUTON PRE-SYNAPTIQUE ET LE NEURONE CENTRAL)
D'une façon comme d'une autre, il en résulte une très nette réduction du nombre d'influx nociceptifs prenant la direction des centres supérieurs soit parce que moins de NTs nociceptifs sont libérés, soit à cause de l'impossibilité pour les NTs nociceptifs qui restent de provoquer une dépolarisation suffisante de la membrane post-synaptique pour créer un influx nociceptif. Moins d'influx signifie moins de douleur!
L'effet portillon s'exerce en autant que la corne postérieure reçoive la profusion d'informations sensitives de toutes sortes, nociceptives et autres qu'elle devrait recevoir, or, cette profusion d'informations est en équilibre homéostatique et respecte une "chimie architecturale" merveilleusement bien orchestrée. Lorsque cette "chimie architecturale" est perdue, c'est-à-dire, lorsque des lésions sont causées au niveau des différentes fibres sensitives périphériques transportant des influx autres que nociceptifs, ce qui concerne les fibres A alpha, A bêta et certaines fibres A delta, il se produit alors un déséquilibre dans l'arrivée des informations sensitives de toutes sortes. Ce déséquilibre a pour effet de faciliter le transfert des influx nociceptifs au niveau de la corne postérieure en raison, pour une part, de la réduction des inhibitions homéostatiques normalement présentes par l'intermédiaire de l'activation des interneurones décrits plus haut.
La perte des influx en provenance des fibres larges (A alpha et A bêta) et des fibres A delta non-nociceptives i.e. la destruction de ces fibres conduit à l'ouverture du portillon i.e. conduit à la facilitation du transfert, sans aucune forme d'inhibition, de tous les influx nociceptifs en provenance des fibres nociceptives petites (A delta et C). L'effet portillon segmentaire est alors perdu.
La théorie du Contrôle Inhibiteur Diffus induit par la Nociception (CIDN) a été développée plus récemment. Cette théorie fait appel à un ensemble de structure débutant avec les neurones à convergence (WDR). Les WDR donnent origine principalement au faisceau paléo-spino-thalamique et à un de ses sous-faisceaux, le spino-réticulaire. Un sous-groupe de fibres de ces réseaux se projettent vers de nombreuses structures de la formation réticulée bulbaire dont particulièrement le noyau Subnucleus Reticularis Dorsalis dont les neurones ont comme particularité de répondre à tous les types de stimuli nociceptifs peu importe leur origine (peau, muscles/os/articulations, viscères).
Les WDR de la couche V de la corne postérieure sont soumis en permancence à tous les types d'afférences sensorielles et à tous les types d'afférences nociceptives ... si des afférences nociceptives sont présentes. Or, toute survenue d'une information nociceptive sur un certain nombre de neurones WDR est d'abord "fondue" avec les autres informations dans le bruit de fond somesthésique auquel est soumis le WDR.
Cependant, la survenue d'une stimulation nociceptive et le transfert de cette information sur un certain nombre de WDR a pour effet d'activer le sous-groupe de fibres paléo-spino-thalamiques et spino-réticulaires décrit plus haut ce qui a pour conséquence d'activer de façon particulière certaines structures des centres supérieurs dont le noyau Subnucleus Reticularis Dorsalis de la formation réticulée bulbaire. Ce noyau spécifique semble se comporter comme un "premier senseur" nociceptif et il agit immédiatement à la moindre réception de signaux nociceptifs. Il agit cependant d'une étrange manière car il effectue alors une inhibition non pas du transfert des influx nociceptifs aux étages concernés mais une inhibition de l'ensemble des signaux sensoriels de base arrivant à la fois sur les WDR concernés et à la fois sur les WDR des autres étages segmentaires non concernées par les transferts nociceptifs. Ce faisant, il réussit à isoler les transmissions pour ne conserver que "les fréquences nociceptives" qui se trouvent alors "mieux perçues" en raison de la réduction du bruit de fond multisensoriel habituel. Le noyau Subnucleus Reticularis Dorsalis augmente ainsi les contrastes entre les transmissions nociceptives et les transmissions sensorielles non-nociceptives.
Un tel mécanisme semble paradoxal à première vue puisque les Contrôles inhibiteurs induits par la stimulation nociceptive ont pour effet dans un premier temps "d'amplifier" ou de "faciliter" la neurotransmission des messages nociceptifs. Tout se déroule comme si ces CIDN réussissaient à réduire la fonction de poly-convergence des WDR qui pour une période donnée ne deviennent réceptifs qu'aux influx nociceptifs.
Une fois les influx nociceptifs bien isolés et bien interprétés, ces influx nociceptifs deviennent alors soumis à l'ensemble des influx inhibiteurs descendants qui reçoivent alors la permission de s'exprimere et de jouer alors leur plein rôle de réduire la neurotransmission nociceptive aux étages segmentaires concernés.
Comme autre particularité des CIDN, ceux-ci peuvent être inhibés par la morphine ce qui a pour effet de "rétablir" et peut-être même d'accentuer le bruit de fond somesthésique provenant de l'ensemble des afférences sensorielles et arrivant sur les neurones à large convergence (WDR). Ce faisant, le message nociceptif se trouve ainsi de nouveau "dilué" au sein des multiples messages sensoriels puisque les CIDN ne peuvent plus isoler le signal nociceptif pour un certain moment.