Les lésions nerveuses: les différentes anomalies pathophysiologiques à moyen et long terme

A moyen et à long terme, des anomalies un peu plus tardives dites d'adaptation ou de plasticité deviennent observables à différents niveaux.

  • Dans la région du corps cellulaire du neurone périphérique i.e. dans la région du ganglion rachidien
    • en réponse à l'hyperactivité métabolique découlant des différents processus menant aux réparations membranaires et aux tentatives de branchement des portions liées au corps cellulaire avec leur portion plus distale du même neurone, la membrane neuronale du corps cellulaire se modifie à son tour. Elle commence à développer des repousses membranaires à l'allure des bourgeons de régénérescence. Ceci se produit dans la région du renflement radiculaire (ganglion radiculaire ou rachidien) où se trouve le noyau du neurone. Les membranes nouvelles et "toutes jeunes" qui apparaissent à ce niveau présentent elles-aussi une forte instabilité électrique et une sensibilité accrue à différents types de stimulation mécanique et chimique. Il devient donc chaque fois plus risqué de voir naître des influx douloureux.
       
  • Dans la portion synaptique de la corne postérieure,
    • les terminaisons présynaptiques des neurones nociceptifs périphériques s'arborisent en de multiples nouvelles projections qui vont envahir de nouveaux territoires de la corne postérieure i.e. des nouvelles couches (laminae) et ainsi créer de "nouvelles connexions" synaptiques qui vont devenir en fait de "mauvaises connexions" puisque ces connexions se feront de façon inappropriée dans des couches et avec des cellules non désirées.

      On assiste alors à l'émergence d'un élargissement des champs récepteurs (Voir: LE TERMINUS PERIPHERIQUE ET LE PREMIER RELAIS CENTRAL: LA CORNE POSTERIEURE ET SA CONSTITUTION EN COUCHES) tout aussi erratique que les nouvelles connexions peuvent l'être. Ainsi, des neurones centraux déjà impliqués dans les échanges nociceptifs (neurones spinothalamiques et autres) voient s'ajouter de nouvelles surfaces synaptiques à celles qu'ils possèdaient déjà et qui avaient été voulues par l'architecture physiologique normale. Mais il y a plus, des neurones centraux qui ne participaient pas aux échanges nocicepitfs avec les fibres lésées reçoivnet à leur tour un lot de "nouvelles connexions" synaptiques "indésirables". Ces nouvelles connexions indésirables se font dans les étages médullaires segmentaires déjà impliqués mais ils s'avancent aussi dans de nouveaux étages médullaires, augmentant de ce fait l'étalement multi-étagé déjà présent de par la physiologie normale. A partir de ces événements, des étages relativement plus éloignés reçoivent des influx nociceptifs dépassant largement leur champ dermatomique usuel. Les surfaces douloureuses s'élargissent en même temps.

    • Par ailleurs, les agressions sur le circuit nerveux ne se limitant pas aux fibres C et A delta, les fibres A bêta incluses dans les zones lésées connaissent le même sort. Ainsi, certaines projections provenant d'influx sensitifs non-nociceptifs et qui participaient à la modulation des échanges nociceptifs soit directement sur les cellules centrales, soit indirectement par le biais des interneurones s'arborisent dans leur portion présynaptique. Ce faisant, elles prennent souvent en même temps une tonalité "nociceptive". (Voir: LA DOULEUR NOCICEPTIVE: LES SUBSTANCES INFLAMMATOIRES, LA SENSIBILISATION / EPARPILLEMENT MULTI-ETAGE, MULTI-CONVERGENCE, DOULEUR IRRADIEE ET DOULEUR REFEREE / LE SYSTEME DE TRANSPORT DES INFLUX NOCICEPTIFS PERIPHERIQUES: L'EPARPILLEMENT MULTI-ETAGE / L'EPARPILLEMENT MULTI-ETAGE: LA DIFFERENCE ENTRE LES AFFERENCES SOMATIQUES ET VISCERALES)

      L'élargissement des champs récepteurs et l'arrivée de nouvelles stimulations synaptiques "inappropriées" autant nociceptives que non-nociceptives produisent un débalancement dans l'équilibre habituel des différents "inputs" sensitifs arrivant au niveau de la moelle par les racines postérieures (Voir: LA CORNE POSTERIEURE: UNE "COUR DE TRIAGE" COMPLEXE).

      en même temps, les influx qui arrivaient en provenance des fibres non-nociceptives et qui s'interconnectaient avec des interneurones pour apporter la contribution segmentaire des influx "inhibiteurs" au "portillon" segmentaire disparaissent en bonne partie puisque les fibres les transportant ont aussi connu des agressions. Il se fait donc beaucoup moins d'inhibition et parfois il ne se fait plus d'inhibition par le réseau des interneurones "enképhaline, dynorphine et GABA" impliqués dans le portillon segmentaire. Il en résulte donc un effet net d'accroissement du transfert des influx nociceptifs qui ne subissent plus l'effet modulateur du "portillon". Pire encore, certaines fibres A bêta ont même pris une tonalité "nociceptive", on parle alors de "conversion phénotypique". (Voir: LA DOULEUR NOCICEPTIVE: LES SUBSTANCES INFLAMMATOIRES, LA SENSIBILISATION)
       

  • en même temps, les influx qui arrivaient en provenance des fibres non-nociceptives et qui s'interconnectaient avec des interneurones pour apporter la contribution segmentaire des influx "inhibiteurs" au "portillon" segmentaire disparaissent en bonne partie puisque les fibres les transportant ont aussi connu des agressions. Il se fait donc beaucoup moins d'inhibition et parfois il ne se fait plus d'inhibition par le réseau des interneurones "enképhaline, dynorphine et GABA" impliqués dans le portillon segmentaire. Il en résulte donc un effet net d'accroissement du transfert des influx nociceptifs qui ne subissent plus l'effet modulateur du "portillon". Pire encore, certaines fibres A bêta ont même pris une tonalité "nociceptive", on parle alors de "conversion phénotypique". (Voir: LA DOULEUR NOCICEPTIVE: LES SUBSTANCES INFLAMMATOIRES, LA SENSIBILISATION)
     
  • On voit alors apparaître
    • une allodynie, i.e. des influx douloureux déclenchés par des stimuli qui ne sont habituellement pas nociceptifs, à titre d'exemple, effleurer de la main une surface cutanée,
       
    • une hyperesthésie, i.e. des influx douloureux ressentis comme disproportionnés par rapport à la faible intensité des stimuli nociceptifs de déclenchement. A titre d'exemple, une piqûre superficielle légère sur une surface cutanée déclenchant de sévère douleur sur une large surface.
  • certaines terminaisons synaptiques des axones périphériques lésés cessent de libérer leur neurotransmetteur normal
    • (substance P,
    • calcitonine gene related peptide (CGRP),
    • somatostatine,
    • polypeptide intestinal vaso-actif (vasoactive intestinal peptide (VIP))

    parce que l'agression est telle que le métabolisme au niveau du corps cellulaire est totalement perturbé. Après quelques jours, des neurotransmetteurs normaux mais en concentration nettement exagérée ou des neurotransmetteurs inhabituels apparaissent au niveau des terminaisons pré-synaptiques, notamment

    • glutamate
    • neuropeptide Y
    • galanine
    • vasoactive intestinal peptide (VIP).

Les neurones nociceptifs centraux connaissent alors une activité métabolique intensément productive en raison de l'hyperstimulation en provenance de la périphérie avec comme conséquence l'accentuation du nombre d'influx nociceptifs arrivant aux étages supérieures (tronc cérébral, circuits sous-corticaux et corticaux).

    • le glutamate est alors appelé à jouer un rôle prépondérant dans l'amplification des douleurs découlant de ces différentes adaptations. Certains récepteurs "biochimiques" présents au niveau des membranes post-synaptiques des dendrites centraux et qui semblaient "dormants" deviennent en pleine activité, c'est le cas des récepteurs N-méthyl-D-aspartate (NMDA). Cet "éveil" aura des conséquences délétères majeures comme il a déjà été expliqué plus avant (Voir: LES RECEPTEURS NMDA ET ... LES RECEPTEURS NON-NMDA: LEURS ROLES EN SITUATION D'HYPERACTIVITE PERIPHERIQUE).

L'hyperstimulation en provenance de la périphérie devient tellement intense qu'une certaine activité "spontanée" apparaît au niveau des neurones centraux nociceptifs. Cette hyperstimulation fait partie intégrante et conduit en même temps au phénomène de "wind-up" par lequel les neurones nociceptifs centraux deviennent de plus "irritables" au point de présenter une activité presque "spontanée" lorsqu'ils sont soumis à des stimulations répétées intenses. Après quelques heures à quelques jours de stimulations incessantes, en provenance des zones neuronales lésées, on assiste à une rapide élévation de l'intensité des douleurs puisque les stimuli douloureux ne sont même plus nécessaires au déclenchement de douleurs vives, les neurones centraux étant devenus en quelque sorte de quasi "pacemakers nociceptifs". En laboratoire, le phénomène de "wind-up" se produit à la suite de stimulations douloureuses répétées dans un même site dépassant une fréquence de 2 à 3 stimuli par secondes pendant quelques heures.

    • l'activité d'interneurones inhibiteurs utilisant la dynorphine augmente à son tour de façon très considérable.
    • bon nombre de terminaisons synaptiques ainsi impliquées connaissent une réduction de leur dimension en raison d'un "épuisement fonctionnel" qui va mener à plus long terme à une mort cellulaire d'un certain nombre de celles-ci.
  • Dans la portion segmentaire du réseau sympathique, correspondant aux étages où des neurones subissent l'agression tumorale, l'activité sympathique s'accentue considérablement avec les conséquences dont il a été fait mention précédemment. (Voir: LE SYSTEME "SYMPATHIQUE" ... QU'IL NE FALLAIT PAS OUBLIER! / LES DOULEURS COMPLIQUEES D'UNE PARTICIPATION "SOUTENUE" DU SYSTEME NERVEUX AUTONOME SYMPATHIQUE / HYPEREXCITATION ET HYPEREXCITABILITE DES RECEPTEURS NMDA: LES PROVENANCES POSSIBLES DANS UN CONTEXTE DE SOINS PALLIATIFS ONCOLOGIQUES / HYPEREXCITATION ET HYPEREXCITABILITE DES RECEPTEURS NMDA: LES PROVENANCES POSSIBLES DANS UN CONTEXTE DE SOINS PALLIATIFS ONCOLOGIQUES)

L'augmentation des influx nociceptifs ectopiques en provenance des fibres nociceptives périphériques entraînent donc un état d'hyperexcitabilité marquée dans les neurones centraux de la corne postérieure, mais il y a plus. Les fibres C provoquent une hyperexcitabilité plus profonde que les fibres A delta; par ailleurs, les influx ectopiques des fibres C en provenance des structures musculo-squelettiques entraînent une hyperexcitabilité plus grande et plus prolongée que ceux provenant des structures cutanées. Il n'est peut-être plus nécessaire de s'étonner que les douleurs s'accompagnant d'une hyperactivité sympathique proviennent le plus souvent de lésions du système musculo-squelettique.

La simple présence de cellules tumorales dans le voisinage du tissu nerveux est finalement très loin d'être banale. Cette présence amène plutôt une kyrielle de conséquences toutes plus importantes les unes que les autres. Le simple inconfort évolue souvent rapidement vers des douleurs neurogènes fort dérangeantes qui posent défi à la gestion analgésique.

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