Plasticité: les conséquences "électrophysiologiques" centrales

À partir du moment où des foyers de dépolarisation ectopiques, provoqués ou spontanées, se manifestent au niveau des fibres nociceptives périphériques et au niveau des structures membranaires post-synaptiques apparaît le phénomène d'hyperstimulation nociceptive.

En présence d'un tel phénomène, il devient possible d'observer des changements "électrophysiologiques" de plusieurs ordres. Des activités "électriques" anormales sont non seulement observables au niveau de la corne postérieure mais ils peuvent aussi être observés à plusieurs niveaux des relais ascendants, notamment dans: (MZ 214 D P3)

  • les faisceaux ascendants nociceptifs (spinothalamiques et autres),
  • le thalamus,
  • le cortex sensitif (pariétal).

Ces activités électriques anormales peuvent s'exprimer de diverses manières:

  • des influx commencent à se propager dans les neurones centraux avec une fréquence anormalement élevée, souvent sous forme de longues traînées d'influx qui conservent leur régularité,
     
  • ailleurs, des salves de décharges paroxystiques spontanées de durée variable s'entremêlent à ces traînées d'influx anormalement élevées en fréquence.

Plus les lésions sont sévères et importantes, plus ces anomalies prennent de l'importance car les phénomènes "d'hyperexcitation et d'hyperexcitabilité" jouent un rôle de plus en plus marqué.

Un des éléments-clé pouvant être observé à cet égard concerne l'apparition d'activités ectopiques "spontanées" avec des fréquences anormalement élevées dans les fibres des faisceaux néo-spinothalamiques et des différentes composantes du faisceau paléo-spinothalamique particulièrement lors de leur passage au niveau des relais centraux médullaires (bulbe).

De telles décharges électriques spontanées paroxystiques avec fréquences anormalement élevées s'observent aussi au niveau du thalamus qui est le plus important relais pour les circuits nociceptifs et les autres circuits sensitifs.

Le fossé se creuse ainsi de plus en plus entre ce qui était au point de départ une stimulation soutenue d'un ensemble de nocicepteurs ou d'une zone neuronale lésée (par un processus tumoral ou par un autre type d'agression) et les douleurs qui sont maintenant éprouvée.

Plus les lésions en périphérie sont sévères, plus ces anomalies prennent de l'ampleur reflétant le fait que les changements dits de plasticité deviennent de plus en plus importants. Ces cascades de changements accompagnent les changements électrophysiologiques "d'hyperexcitation et d'hyperexcitabilité" qui ont d'abord débuté au niveau de la membrane postsynaptique et qui jouent par la suite un rôle de plus en plus marqué. Ici et toujours, les changements se produisent comme "à l'envers du bon sens". Plus les douleurs sont importantes, plus les phénomènes de plasticité contribuent à l'amplification de ces mêmes douleurs et plus elles s'intensifient. Etrange phénomène que l'inflation nociceptive dans la nature! Une pharmacologie "dédiée et rationnelle" deviendra donc ultimement nécessaire.

De tels changements électrophysiologiques sont aussi observés dans le cas où les neurones centraux deviennent le siège d'agressions mais, à ce moment, ces anomalies électrophysiologiques prendront beaucoup plus de temps, plusieurs semaines voire plusieurs mois, avant de se développer alors qu'il ne faut que quelques heures à quelques jours pour les voir apparaître dans le cas d'hyperstimulation d'origine périphérique.

Ces observations permettent de comprendre certaines réserves au sujet des blocs nerveux lytiques et des interventions neurochirurgicales quand l'espérance de vie d'une personne en phase palliative dépasse 6 à 9 mois. Après une période de trêve de quelques mois dans les douleurs, trêve découlant de ces interventions ayant eu pour effet de créer une désafférentation, pourraient apparaître de nouvelles douleurs alors pires que celles pour lesquelles ces interventions avaient été offertes (Voir Manuel V de cette série portant sur les approches non-médicamenteuses). Choix déchirants bien sûr face à des douleurs redoutables que celui de désafférenter ou non mais combien regretté lorsque les douleurs post désafférentation sont installées.

Aussi profonds puissent être les changements de plasticité découlant, à leur départ, de lésions organiques structurelles sur le réseau nociceptif, il n'en demeure pas moins qu'il ne faut cependant jamais interpréter ces explications comme une tentative de réduire le problème complexe des douleurs chroniques, sans bases organiques identifiées, à une telle simplification. D'autres mécanismes pathophysiologiques extrêmement complexes et encore mal connus se déroulent dans les méandres du réseau limbique pour faire en sorte d'amplifier les aspects "désagréments" des douleurs chroniques pour lesquels l'arsenal pharmacologique est encore réduit à presque rien. Les approches non-pharmacologiques demeurent encore les préférées dans ces circonstances.

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