Processus de régénération: propriétés électrophysiologiques des bourgeons axonaux de régénération

Les membranes jeunes "toute nouvellement formées" présentent un comportement d'instabilité électrique considérable sur toute leur étendue. Ainsi, des phénomènes de dépolarisation deviennent observables pratiquement en tous points au niveau des brèches fermées et des bourgeons de régénération. Cette dépolarisation se fait de façon anarchique et mène alors à la création d'influx nociceptifs nombreux qui se présentent de façon tout aussi anarchique et erratique.

Plusieurs propriétés peuvent être observées au niveau des brèches réparées et des excroissances axonales ou bourgeons de regénération. Quatre de celles-ci nous permettent de mieux comprendre la complexité clinique des douleurs neurogènes, en particulier le caractère paroxystique ou "en salves".

Premièrement, témoin de la grande instabilité électrique et donc d'une grande excitabilité, ces bourgeons de régénération en arrivent à se dépolariser "en apparence spontanément", générant ainsi des salves d'influx qui surviennent par paroxysmes.

Ces salves d'influx, ayant pris naissance dans les portions "lésée" et dans les portions nouvellement "réparées" des fibres nociceptives C et A delta acheminent donc vers le cerveau, i.e. en DIRECTION AFFERENTE, des messages douloureux.

Ces événements de dépolarisation spontanée "ectopique" sont en fait analogues à des phénomènes d'épilepsie motrice à la différence qu'ils se produisent dans une fibre sensorielle nociceptive i.e. en direction "afférente". Dans le cas de l'épilepsie motrice classique, les phénomènes de dépolarisation se produisent dans une zone cicatricielle du cortex moteur pour être acheminés, à partir du cerveau, par les fibres motrices vers la périphérie i.e. en DIRECTION EFFERENTE.

Dans le cas de l'épilepsie motrice, le phénomène sous-jacent peut se résumer ainsi:

  • dépolarisation "en apparence spontanée" d'une population de neurones du cortex cérébral moteur ---> influx acheminés le long des neurones moteurs vers la périphérie (EFFERENCES MOTRICES) ---> avalanche d'activités motrices incontrôlables en périphérie.

Dans le cas présent, un phénomène réciproque ou inverse se produit:

  • dépolarisation "en apparence spontanée" trouvant origine dans des portions de membranes nouvellement réparées ou nouvellement formées appartenant à des fibres C ou A delta nociceptives (brèches et bourgeons de régénération) ---> influx acheminés le long des neurones nociceptifs vers le cerveau (AFFERENCES NOCICEPTIVES) ---> avalanche de messages douloureux comparable à une crise "d'épilepsie nociceptive" mais parvenant cette fois-ci au cerveau et non pas provenant de celui-ci.

Cette analogie est si juste que le traitement pharmacologique proposé pour les douleurs neurogènes paroxystiques repose particulièrement sur l'emploi d'anticonvulsivants et de stabilisateurs de membranes, comme on le verra dans le manuel III portant sur la gestion de la douleur avec les co-analgésiques.

Deuxièmement, les zones membranaires récemment réparées et celles en croissance (repousses, bourgeons, projections, ramifications ou excroissances) sont extrêmement sensibles aux stimuli mécaniques. Tout mouvement ou toute variation de tension mécanique dans leur environnement a pour effet d'accentuer considérablement les phénomènes de dépolarisation déjà facilement produisibles au point d'être parfois "d'apparence spontanée". Ainsi peut-on mieux comprendre, à titre d'exemple, pourquoi les personnes porteuses d'une plexopathie brachiale, attribuable à un envahissement néoplasique ou consécutive à une radiothérapie, ont tendance à positionner leur bras dans une attitude antalgique figée. Le bras se trouve habituellement appuyé contre le thorax, l'avant bras est fléchi et accolé à la paroi abdominale. Tout mouvement du bras, spontané ou imposé, déclenche des douleurs très intenses qui tardent souvent à disparaître une fois le déclenchement accompli.

Troisièmement, ces mêmes zones membranaires sont également extrêmement sensibles à toute stimulation adrénergique. Or, il existe toujours une certaine participation autonome sympathique dans toute douleur le moindrement accentuée qu'elle soit nociceptive ou neurogène.

Cette propriété de sensibilité accrue à toute stimulation adrénergique est probablement en cause dans la pathophysiologie de base du quatrième type de douleur neurogène décrit dans la classification simplifiée proposée, le syndrome régional complexe avec participation sympathique "sympathetically maintained pain" autrefois appelé dystrophie sympathique réflexe.

On peut imaginer, dans ces circonstances, que tout phénomène de tension, stress, angoisse, irritabilité voire manque de sommeil puisse avoir pour effet, à cause de la relâche accentuée qu'il entraîne à la fois de catécholamines circulantes et de neurotransmetteurs adrénergiques, d'augmenter l'excitabilité membranaire des membranes nouvellement regénérées et donc de faciliter encore plus les dépolarisations spontanées et la production d'influx nociceptifs ectopiques.

Quatrièmement, les zones membranaires regénérées peuvent être subdivisés en diverses sous-populations selon la valeur de leur seuil d'activation. Ainsi, certains sous-segments membranaires, réparties dans les zones de régénération, se dépolariseront au moindre stimulus alors que d'autres sous-populations vont nécessiter un stimulus un peu plus important pour ce faire. En outre, on observe des variations semblables quant aux seuils d'activation dans les zones de dépolarisations dites spontanées.

Cette dernière propriété contribue pour une certaine part à expliquer les résultats décevants voire même certains échecs thérapeutiques concernant la gestion de certaines douleurs neurogènes avec les co-analgésiques et cela malgré le fait:

  • d'une bonne connaissance des bases pathophysiologiques des douleurs,
  • d'une évaluation fondée sur cette connaissance
    et
  • d'un choix thérapeutique éclairé concernant les co-analgésiques.

Une part de ces échecs pourrait s'expliquer par le fait

  • que l'abaissement du seuil d'activation soit devenu tellement marqué que toute dépolarisation même très légère permette déjà d'atteindre le seuil d'activation nécessaire à la création d'un influx et cela même en présence de médicaments sensés réduire l'instabilité électrique,
     
  • que certaines sous-populations de bourgeons soient tellement isolées dans un environnement "imperméable" de tissu fibreux cicatriciel qu'aucune concentration plasmatique, même lorsque suffisamment élevés pour créer des effets secondaires systémiques, ne puisse amener une concentration locale "thérapeutique" suffisante pour bloquer la dépolarisation spontanée.

Le Manuel III de cette série, portant sur la gestion de la douleur avec les co-analgésiques, discutera plus en détail de ces phénomènes.

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