Préambule

Dans le Tome II du grand livre des soins palliatifs, il est de bon aloi de débuter par un syndrome important rencontré dans notre pratique quotidienne.

Ce syndrome touchera une majorité de nos patients à la fin de la vie et est en opposition fondamentale avec un des buts des soins palliatifs qui est de tenter de maintenir le plus longtemps et le plus adéquatement possible la relation entre le malade et sa famille. Encore faut-il que l’éveil et la conscience de soi et des autres soient encore présents.

Le delirium, puisque c’est de lui dont il est question, est un sujet fascinant par sa présentation clinique, étiologique et physiologique.

Les objectifs de cette présentation

À la fin de cette présentation, j’espère que vous aurez compris que :

1. Le delirium survient très souvent en fin de vie et est mal reconnu par les équipes soignantes;
2. Les causes de delirium sont multifactorielles et se présentent comme telles lors du syndrome;
3. Il y aura des delirium traitables avec des avantages non équivoques pour les patients et familles, alors qu’il n’est pas souhaitable d’en traiter d’autres;
4. La physiologie et la pathophysiologie de l’éveil et de la conscience sont liées à la chimie du cerveau;
5. Les traitements pharmacologiques sont efficaces mais ne sont pas les seuls traitements à appliquer.
 

Dans la littérature, il existe une panoplie de termes pour désigner notre sujet d’étude :  les plus fréquemment employés sont «l’état confusionnel aigu» (ECA) ou le «delirium».

La particularité du syndrome : 

En plus d’être une entité spécifique, le delirium se situe au beau milieu d’un continuum de changements potentiels du statut neurologique qui s’étale de la conscience et la cognition pleines et entières au coma profond.

C’est une des raisons pour lesquelles il y a un dynamisme dans le syndrome délirieux qui peut tout aussi bien évoluer négativement vers des niveaux de conscience et de cognition de plus en plus absents ou encore positivement vers des niveaux où les relations avec autrui redeviennent possibles. Donc, parfois sera-t-il souhaitable de traiter une cause et parfois de s’abstenir. Sujet fascinant médical et éthique. Le tableau suivant vous montre l’évolution fluctuante rapide ou lente que nos processus d’éveil et de conscience peuvent suivre.

 

 

Une prévalence globale, tous les âges confondus, est difficile à bien cerner car l’état confusionnel aigu est mal et moins souvent diagnostiqué que la réalité médicale ne le souhaiterait.
Avec les chiffres que nous avons, nous remarquons que le palier d’âge et la situation clinique sont deux aspects importants dans la survenue du delirium :

Entre 18 et 55 ans, le taux est de  0-4 %;
Entre 55 et 85 ans, le taux est de 1,1 %;
Chez les 85 ans et plus, le taux fait un bond à 13,6 %.

Dans une population cancéreuse, globalement, le taux est de 42-45 % et dans une population chirurgicale, il y aura 50% de delirium chez les 60 ans et plus.

Lawlor P.G., Gagnon B.,  Arch Intern al Med 2000;160:  786-794
 

Qu’en dire en soins palliatifs?

1. La prévalence du delirium augmente au fur et à mesure que décline la capacité fonctionnelle.
2. En cancer terminal, 26-44 % de tous les patients admis feront un delirium.
3. Éventuellement, jusqu’à  83 % des patients développeront un delirium dans les jours précédant le décès.
4. 10-30 % des cas de delirium pourraient requérir une sédation profonde continue palliative.
5. En oncologie et en soins palliatifs, le delirium est un marqueur indépendant qui signe un pronostic pauvre à court terme avec une médiane de survie à 21 jours contre 39 jours pour les autres patients sans delirium.
6. 50 % des delirium seraient réversibles lorsque ceux-ci sont déclenchés par une déshydratation, une hypercalcémie ou par les médicaments.
 

Sommes-nous performants comme équipe dans la détection des delirium ?

Pas vraiment, puisque la non-détection par les médecins et infirmières atteindrait jusqu’à 70 %.

Pourquoi donc la détection est-t-elle si souvent erratique?

Parce que :

1. Un delirium hypoactif est difficile à détecter car les patients sont calmes, peu loquaces, non demandants;

2. Lors d’une démence connue préexistante, comme la confusion fait partie du syndrome démentiel et délirieux, si le patient nous est peu familier, on se demandera souvent si la confusion est signe de la démence ou d’un delirium;

3. L'évocation d'un âge avancé est souvent un mauvais réflexe pour expliquer une atteinte de l’éveil et de la cognition;

4. Une atteinte des sens (déprivation sensorielle) et une altération de la vision et/ou de l’audition sont peu reconnues dans l’histoire de cas et sont pourtant, pour des patients, source de confusion dans les 3 sphères et peuvent mener au delirium.

Dans le prochain tableau, vous remarquerez que, en soins palliatifs, l’étiologie d’un delirium est rarement monocausale mais bien souvent plurifactorielle.