Ces personnes qui ont mal - Chapitres 101 à 150

Notes personnelles dans une perspective de soins palliatifs "oncologiques" Par : Brizard, André, MD

 

100 - Douleur et souffrance

Il devient donc important à partir de maintenant de bien dissocier deux termes souvent utilisés de façon confondante soient DOULEUR et SOUFFRANCE.

Le terme "DOULEUR" pourrait être réservé à la douleur physique, c'est-à-dire à la perception de la nociception pure.

Le terme "SOUFFRANCE" pourrait s'appliquer au concept de douleur globale, c'est-à-dire à la résultante finale s'exprimant dans un état d'être et découlant finalement de l'intégration entre les informations

  • en provenance des différents circuits nociceptifs
    • néo-spinothalamiques
    • paléo-spinothalamiques
    • spino-réticulaires
    • spino-mésencéphaliques
      et
    • par les autres faisceaux (spino-solitaires et autres) encore plus ou moins bien connus
       
  • celles gérées par les circuits somato-sensoriels
  • celles gérées par les circuits affectivo-comportementaux.

Dans plusieurs contextes pathologiques où maladies et douleurs se côtoient, les composantes affectives et comportementales découlent à la fois des impacts provoqués par la douleur physique et à la fois des impacts provoqués par le fait d'avoir telle ou telle maladie. Ces mêmes composantes sont ressenties dans différentes dimensions de la vie "non-physique" qui seront discutés ultérieurement. Le contexte des soins palliatifs oncologiques est souvent une touchante illustration de ces affirmations.

101 - Le contexte soins palliatifs "oncologiques": évolution néoplasique et impacts physiques

Les atteintes physiques découlant des atteintes néoplasiques sont souvent multisites, ces atteintes touchent un ensemble de systèmes ou d'organes dans lesquels différents symptômes physiques, dont la douleur, peuvent se manifester. Les symptômes découlant des atteintes au niveau physique sont alors mis en évidence au moment de la revue des systèmes.

Il est ainsi classique de faire référence aux différents systèmes suivants lors de toute évaluation:

  • nerveux,
  • psychiatrique,
  • O.R.L.,
  • endocrinien,
  • cardio-vasculaire,
  • respiratoire,
  • digestif,
  • urinaire,
  • reproducteur,
  • locomoteur,
  • dermatologique.

Cet exercice de revue des systèmes permet d'identifier des problèmes physiques dans l'ensemble des sphères de la composante somatique. Cette façon de percevoir l'étendu des impacts physiques permet par ailleurs d'en faire un parallèle avec l'autre monde, celui du psyché, où se déroule, dans le contexte des douleurs sévère et prolongée, une intense activité dont les répercussions sur chaque personne qui a mal risque parfois d'être marquante pour de longues périodes de vie. L'exercice de revue des systèmes peut être élargi afin de s'adresser aux impacts non-physiques. Il devient alors possible d'avoir une certaine assurance que l'ensemble des impacts à la fois dans le corps (impacts physiques) et dans l'être (impacts non-physiques) a été adéquatement identifié.

102 - Le contexte soins palliatifs "oncologiques": évolution néoplasique et impacts non-physiques

Tout comme il existe un ensemble de systèmes organiques dont il a été fait mention précédemment, il existe aussi différentes dimensions de la vie où peuvent être ressentis et vécus les multiples impacts en rapport avec la douleur et la maladie.

De tels impacts peuvent ainsi être vécus dans chacune des dimensions suivantes de la vie:

  • personnelle,
  • conjugale,
  • familiale,
  • professionnelle,
  • économique,
  • sociale,
  • spirituelle,
  • ethno-culturelle.

C'est à ces différentes dimensions que l'on s'adressera lors de l'évaluation des personnes qui ont mal. La recherche des impacts non-physiques devrait se faire idéalement en parallèle avec la revue des systèmes physiques. On l'appellera la revue des domaines de vie pour faire le pendant avec la revue des systèmes physiques.

Le "comment" sera explicité dans le Manuel II portant sur l'évaluation des douleurs.

103 - Le contexte soins palliatifs "oncologiques": la douleur et le monde des émotions

La douleur, la maladie et les impacts qui en découlent, tant physiques que non-physiques, touchent directement le monde des émotions. Ce monde porte en chacun de nous trois vieux sentiments qui accompagnent la nature humaine depuis très longtemps dans l'histoire de l'humanité. Ces trois vieux sentiments sont de plus très intimement reliés l'un à l'autre.

Ils sont:

  • l'angoisse ou l'anxiété,
  • la tristesse ou la dépression,
  • la colère.

De nombreux contextes de vie risquent de venir alimenter et même accentuer très nettement ces vieux sentiments quand une personne qui a mal se trouve au prise avec le cancer, le SIDA ou encore une maladie débilitante organique.

Parmi ces contextes se trouvent des peurs, souvent nombreuses, et des pertes, tout autant nombreuses, parfois cruellement imposées par les douleurs et la maladie. Peurs et pertes guettent malheureusement tous et chacun au prise avec ces conditions. Ainsi commence donc, avec un tel duo, le bal infernal des sentiments négatifs. Un risque très net existe cependant de voir ces sentiments négatifs prendre de plus en plus de place chez la personne qui souffre. Un bal donc qui risque de se terminer en cauchemar pour plusieurs qui ont mal.

L'effet net de ces trois "vieux" sentiments, combien encore actuels, sera de venir rehausser, parfois très considérablement, l'intensité des douleurs physiques ressenties par la personne qui a mal, intensité à laquelle on réfère souvent en terme d'échelle de douleur mais qui en fait véhicule aussi les dimensions désagréables de la douleur.

Le monde des émotions joue donc un rôle-clé modulateur dans l'échelle de la douleur. Bien plus, il est aussi responsable de l'autre échelle, celle de la souffrance devrait-on dire plus précisément. Et ce rehaussement de l'échelle des douleurs causé par une telle influence "négative" modulatrice des vieux sentiments humains ne répondra que très peu aux approches pharmacololgiques antalgiques usuelles qui incluent très souvent des opiacés. En fait, les opiacés n'ont jamais été des anxiolytiques, ils ne le sont pas encore et ne le seront jamais.

Il faudra donc se tenir toujours très loin de l'association malsaine et regrettable à laquelle la méconnaissance des différentes sortes de douleur et de la gestion analgésique peut mener, soit DOULEUR EGALE OPIACES ou encore de cette autre association tout aussi malsaine et regrettable soit LA DOULEUR AURAIT DÛ DIMINUER AVEC LES OPIACÉS. La douleur est un phénomène beaucoup trop complexe pour des associations aussi réductrices. Il y a beaucoup plus à considérer et à faire.

104 - La douleur globale: ses impacts cognitifs et émotifs

Douleurs et maladie sont de mauvais amalgames. Douleurs et cancer sont probablement pires encore. Au niveau cognitif, les impacts sont souvent nombreux. La concentration, la mémoire, la capacité d'apprentissage, de conceptualisation, d'élaboration sont souvent mis à rudes épreuves. C'est en fait toute la manière de penser et de fonctionner de la personne atteinte qui se trouve "ébranlée".

A lui seul, le rehaussement de la douleur physique découlant de l'ensemble des répercussions associées à la douleur et à la maladie (cancer, SIDA, maladie organique débilitante) vient déjà affecter les processus cognitifs, mais il y a plus. Ces répercussions affectent souvent en profondeur le monde des émotions qui devient comme "baigné" dans un univers de courants négatifs. A tout cela s'ajoute, enfin, l'effet amplificateur néfaste des trois vieux sentiments sur la personne: voilà de quoi entraîner, de toute évidence, d'assez fortes perturbations dans la manière de penser et de fonctionner de la personne atteinte et même dans le processus de la pensée lui-même.

Ces perturbations sont à ce point observables qu'il arrive très souvent que la personne atteinte:

  • n'a pas pris conscience qu'elle avait plus d'une sorte de douleur,
  • n'arrive pas toujours d'emblée à bien localiser
    ses douleurs, elle dit souvent qu'elle a mal partout,
  • n'a pas perçu tous les inconforts tels

angoisse,
colère,
tristesse,
désarroi,
peur,

qu'elle est en train de vivre ou "plutôt" de subir dans les nombreuses dimensions de sa vie

    • personnelle,
    • conjugale,
    • familiale,
    • professionnelle,
    • économique,
    • sociale,
    • spirituelle,
    • ethno-culturelle.

En somme, l'expression de la souffrance énoncée dans le: "J'ai tellement mal que je suis mal", est à ce point vrai qu'il est difficile d'imaginer de la/des douleurs sans qu'il existe des conséquences sur la vie affective et intellectuelle de toute personne soumise à une ou des douleurs qui se prolongent le moindrement.

105 - La douleur chronique: le cercle vicieux

Et plus la douleur se prolonge, plus la personne qui a mal s'engouffre progressivement dans un cercle vicieux dont il devient à peu près impossible de sortir sans une aide quelconque extérieure.

Ainsi, plus la douleur physique augmente, plus le sommeil se trouve affecté et réduit tant en qualité qu'en quantité. Plus le sommeil se trouve perturbé, plus les vieux sentiments deviennent prédominants. Plus les vieux sentiments deviennent prédominants, plus l'anxiété augmente, plus la tristesse et le désespoir, mêlés ou non à de la colère, prennent de la place dans la vie affective de la personne. Plus les vieux sentiments deviennent prédominants, plus la personne a tendance alors à réduire ses activités de vie quotidienne et sa vie sociale. Plus les activités de vie quotidienne et de vie sociale sont réduites, plus la personne s'isole. Plus la solitude devient grande, plus l'isolement devient lourd et plus s'additionnent les facteurs d'une grande souffrance.

Cette alchimie néfaste qui se déroule dans la composante affective ou émotionnelle de la vie a pour conséquence, parmi d'autres, d'entraîner un abaissement du seuil de la douleur. L'abaissement du seuil de douleur signifie alors une plus forte perception de la douleur physique, c'est ainsi que la spirale inflationniste de la douleur et de la souffrance s'accélère et se creuse de plus en plus avec le temps.

La personne qui a mal s'en trouve prisonnière. Décidément, la douleur chronique est un mal redoutable et une fort mauvaise compagne de tous les jours.

106 - La douleur chronique: définition

Plus la douleur se prolonge, plus la douleur se conforme à une des définitions de la douleur chronique.

La douleur chronique, au sens de la définition propre, telle qu'on peut la retrouver dans la littérature, est une douleur qui répond à un ou plusieurs des trois critères suivants. Elle est une douleur qui:

  • récidive par intervalle sur une période de mois ou d'années
  • persiste plus d'un mois au-delà de la période habituelle d'une douleur aiguë
  • est reliée à un processus pathologique chronique.

On devrait facilement accepter qu'il ne soit pas nécessaire d'atteindre cette définition "à la lettre" pour en imaginer tous les impacts particulièrement celui de l'emprisonnement dans un cercle vicieux des plus néfastes.

En fait, dès que la douleur se prolonge le moindrement, elle commence déjà à faire subir ses contrecoups. Personne, absolument personne d'entre-nous n'est à l'abri de ces contrecoups.

107 - Classification des douleurs: contexte "soins palliatifs oncologiques"

Afin d'en arriver à avoir une vue d'ensemble des différentes douleurs, il importe d'en fournir un mode de classification. Il existe plusieurs façons de classifier les douleurs selon l'angle sous lequel on examine celles-ci. L'IASP en offre le standard depuis des années.

La classification proposée dans la présente série "Ces personnes qui ont mal" concerne les douleurs physiques rencontrées dans un contexte de soins palliatifs oncologiques. Elle repose sur une combinaison entre les bases anatomo-patho-physiologique et clinique et se veut un résumé fort simple en même temps qu'un aide-mémoire des classifications souvent plus complexes que l'on retrouve dans la littérature médicale. Elle ne se retrouve nulle part dans la littérature classique puisqu'elle est un hybride de plusieurs sous-formats de classification. Cette classification telle que proposée dans le projet actuel n'a jamais été publiée jusqu'à maintenant bien qu'elle ait été présenté des centaines de fois dans des conférences et qu'elle soit l'outil de tous les jours dans le milieu universitaire où l'auteur oeuvre.

Cette façon de voir ou de comprendre les douleurs se veut en même temps un outil facile à mémoriser et à utiliser au chevet de chaque personne qui a mal.

Malgré son extrême simplicité, cette classification regroupe la très très grande majorité des entités douloureuses rencontrées en cliniques de soins palliatifs oncologiques, elle permet ainsi de poser des diagnostics chez la grande majorité des personnes évaluées dans de tels contextes.

Ses bases anatomo-patho-physiologique et clinique font en sorte que son utilisation peut s'étendre à d'autres contextes d'atteinte organique (diabète, post-chimiothérapie, SIDA etc.).

Cette classification "simplifiée" ne représente bien sûr qu'une partie du tableau "douloureux". Elle représente la douleur ressentie "dans le corps" i.e. la douleur physique alors qu'il existe deux contreparties pour la douleur non-physique:

  • la contrepartie psychogène, i.e. la douleur qui s'apparente en tout point, dans la façon dont elle se présente, à une douleur ressentie "dans le corps" mais pour laquelle aucune lésion tissulaire ni neuronale ne peut cependant être démontrée ... dans l'état des possibilités techniques au moment de l'investigation!!!

Le chapitre des douleurs chroniques psychogènes i.e. sans aucune pathologie organique "décelable" ne fait pas l'objet de ce manuel ni de la présente série. Ce chapitre mérite une perspective d'analyse et une approche relativement plus élaborée que celle présentée dans les six manuels de la présente série "Ces personnes qui ont mal". La perspective de cette série concerne les douleurs rencontrées en soins palliatifs oncologiques et ne prétend pas s'étendre aux perspectives que les cliniques de douleur chronique doivent rencontrer.

  • la contrepartie "douleur ressentie dans l'âme". Cette portion des douleurs non-physiques repose sur des bases psycho-socio-spirituelles et représente la portion "souffrance" des douleurs. Elle figure dans le deuxième volet de ce manuel.

Le chapitre des douleurs chroniques psychogènes i.e. sans aucune pathologie organique "décelable" ne fait pas l'objet de ce manuel ni de la présente série. Ce chapitre mérite une perspective d'analyse et une approche relativement plus élaborée que celle présentée dans les six manuels de la présente série "Ces personnes qui ont mal". La perspective de cette série concerne les douleurs rencontrées en soins palliatifs oncologiques et ne prétend pas s'étendre aux perspectives que les cliniques de douleur doivent rencontrer.

L'explication de l'entité non-physique "ressentie dans l'âme" avec ses bases psycho-socio-spirituelles figure dans le deuxième volet de ce manuel. La première partie se limite aux bases anatomo-patho-physiologiques et cliniques de la douleur.

Une bonne connaissance des deux entités complémentaires (douleurs physiques et souffrance) permet de mieux saisir

  • la puissante intégration qui existe entre les douleurs physiques et les composantes non-physiques (psycho-socio-spirituelles)
    et
  • l'effet de cette intégration chez une seule et même personne lorsque ces deux composantes sont combinées ensemble.
     

Les expressions "douleur globale", "douleur totale" et "approche globale" ne devraient ainsi être utilisée qu'après

  • avoir identifié, au moment du processus de l'évaluation, les différentes composantes physiques et non-physiques des douleurs
    et
  • en avoir tenu compte dans le plan de gestion analgésique global.

Lorsque ces conditions ne sont pas respectées, de telles expressions deviennent rapidement vides de sens. Il ne sert pas à grand chose non plus d'en disserter longuement "pour le plaisir de disserter" si on n'a pas exploré avec la personne qui a mal toutes les dimensions de vie "heurtéés" par les douleurs et si la personne qui a mal ne bénéficie pas d'interventions qui témoignent d'un souci de ces différentes dimensions.

108 - Classification des douleurs: trois modes de classification revus succinctement

La classification proposée, regroupant quatre entités, anatomiques, physiologiques, pathologiques et cliniques représente une classification hybride puisqu'elle contient des portions provenant de ces différentes entités. Avant d'en arriver à cette classification "simplifiée", trois modes de classification sont revus succinctement afin d'illustrer le recoupement que la classification "hybride" offre. Ces trois classifications concernent les trois angles suivants:

  • anatomo-physiologique
  • clinique
    et
  • anatomo-patho-physiologique.

109 - Une classification "anatomo-physiologique" des douleurs physiques

Une classification plus "uniforme" des douleurs se limitant par exemple au volet "anatomo-physiologique" pourrait offrir la vision suivante.

Il existe deux grandes familles de douleur:

  • les douleurs NOCICEPTIVES
    et
  • les douleurs NEUROGENES (ou neuropathiques).

Chacune de ces deux grandes familles de douleurs se subdivise à son tour.

La douleur NOCICEPTIVE comprend deux sous-types anatomiques:

    • la douleur somatique
      et
    • la douleur viscérale.
       

La douleur NEUROGENE, quant à elle, comprend deux différents sous-types anatomiques

    • les atteintes du réseau somatique
      et
    • les atteintes du réseau autonome ou splanchique.
       

Pour chacune des douleurs NEUROGENES TANT SOMATIQUES QU'AUTONOMIQUES, l'atteinte peut se situer dans deux sous-portions anatomiques:

    • les neurones périphériques
      et
    • les neurones centraux.
       

Cette façon de classifier n'offre aucune information "clinique", à savoir par exemple sur les façons dont les douleurs peuvent être ressenties (constance, intensité, caractère ressenti ... ). Cette classification ne permet pas non plus d'orienter la gestion analgésique particulièrement en regard du choix parmi l'arsenal des analgésiques et des co-analgésiques.

110 - Une classification "clinique" des douleurs physiques

Une classification purement clinique permet de dégager les différents caractères par lesquels les douleurs peuvent se manifester. Cette classification plus "uniforme" des douleurs se limitant cette fois-ci au volet "clinique" pourrait offrir la vision suivante.

Les douleurs possèdent trois grands caractères cliniques:

  • • le caractère "TEMPOREL" des douleurs
    • le caractère "QUALITE OU SENSATION PARTICULIERE"
    • le caractère "INTENSITE".

Le caractère "TEMPOREL" des douleurs peut se définir selon deux modes de présentation:

  • • la constance
    • l'intermittence.
  • La douleur CONSTANTE peut présenter son intensité sous sous trois modes:

    • constance avec intensité constante
    • constance avec intensité un peu variable
    • constance avec intensité très variable mais sans jamais disparaître complètement sinon cette dernière deviendrait intermittente.

    La douleur INTERMITTENTE peut se présenter sous deux modes:

    • un début progressif
    • un début extrêmement soudain.

    La douleur INTERMITTENTE, peu importe son mode de présentation repose sur deux paramètres:

    • la durée
    • l'intensité

    L'INTENSITE DE LA DOULEUR INTERMITTENTE peut manifester les deux types suivants:

    • une intensité identique pour chaque survenue de douleur
    • des intensités variables à chaque survenue de douleur.

    LA DUREE DE LA DOULEUR INTERMITTENTE peut manifester les deux types suivants:

    • une durée identique pour chaque survenue de douleur
    • des durées variables à chaque survenue de douleur.

Le caractère "QUALITE OU SENSATION PARTICULIERE" peut être ressenti "cliniquement' selon divers modes:

  • • une douleur "DOULEUR" i.e. une douleur qui fait mal mais sans autre caractère à cette douleur que celui de faire mal,

    ou encore

    • une douleur

    • "BRULURE",
    • "PICOTEMENT",
    • "ENGOURDISSEMENT",

    ou encore

    • une douleur avec sensation

    • D'ECRASEMENT,
    • DE PRESSION,
    • DE QUELQUE CHOSE QUI SERRE
    CONSTAMMENT / PAR EPISODES BREFS
    • DE QUELQUE CHOSE QUI POUSSE
    CONSTAMMENT / PAR EPISODES BREFS

    ou encore

    • une douleur avec sensation

    • D'ELANCEMENT
    • DE TORSIONS,
    • DE COLIQUES,
    • DE CRAMPES,
    • DE DECHIREMENTS,
    • DE TIRAILLEMENTS,
    • DE PINCEMENTS.

Aucune information "anatomo-physiologique" ni "pathophysiologique" n'est cette fois disponible à partir de cette façon de classifier. Cette classification ne permet pas plus que la précédente d'orienter la gestion analgésique particulièrement en regard du choix parmi l'arsenal des analgésiques et des co-analgésiques.

111 - Une sous-classification "pathophysiologique" propre aux douleurs neurogènes

Une nomenclature tentant de décrire avec des termes plus génériques un certain caractère "pathophysiologique" propre aux douleurs neurogènes peut aussi être considérée. Cette nomenclature permet alors d'envisager une classification basée sur ce même caractère, celle-ci peut alors se ramener à quatre sous-types de douleurs neurogènes:

  • les douleurs ressenties comme étant de la douleur sans plus i.e. des douleurs "douleur" exprimées en terme de classification comme étant des douleurs "simples",
     
  • les douleurs ressenties comme des dysesthésies ou paresthésies exprimées en terme de classification comme étant des douleurs "accompagnées"
     
  • les douleurs survenant par épisodes soudains et pouvant être de durée variable mais pratiquement toujours d'intensité maximale exprimées en terme de classification comme étant des douleurs "paroxystiques" ou "en salves"

    et
     

  • les douleurs complexes définies sous le vocable de Syndrome douloureux régional complexe qui étaient autrefois appelées dystrophies sympathiques réflexes / causalgie. (Voir: LA MULTI-CONVERGENCE ET SES REPERCUSSIONS: LE DECLENCHEMENT D'UNE REPONSE SYMPATHIQUE REFLEXE HYPERACTIVE). Une portion de ces douleurs peut subir "une participation et un rehaussement" par le système nerveux autonome sympathique alors qu'une autre portion est exempte de cette composante. Ces douleurs sont maintenant appelées "Douleurs régionales complexes avec participation sympathique (Sympathetically Maintained Pain) ou sans participation sympathique". Il ne sera pas fait mention explicitement de ces douleurs dans les présents manuels étant donné la rareté de ce mode de présentation dans les contextes de soins palliatifs.
     

Le détail de chacune de ces présentations cliniques fera l'objet d'une plus longue discussion ultérieurement dans le présent manuel.

Bien qu'il manque encore certaines informations "cliniques" avec cette classification, particulièrement sur les façons dont les douleurs peuvent être ressenties (constance, intensité, caractère particulier ressenti ... ), il devient pourtant possible enfin d'utiliser une classification pour aider à orienter la gestion analgésique. Cette contribution s'exerce particulièrement en regard des choix parmi l'arsenal des analgésiques et des co-analgésiques comme il en sera traité ultérieurement dans les manuel III et IV portant sur la gestion analgésique avec les co-analgésiques et les opiacés. Une portion seulement des douleurs physiques sont cependant incluses dans cette sous-classification, la portion nociceptive y est totalement absente.

112 - Une classification hybride "simplifiée" des douleurs physiques

Les six manuels de la présente série "Ces personnes qui ont mal" propose une classification simplifiée des douleurs physiques telles qu'elles sont rencontrées dans un contexte de soins palliatifs oncologiques. Cette classification "simplifiée" repose sur une combinaison de quatre entités, anatomiques, physiologiques, pathologiques et cliniques. Elle ne possède pas d'homogénéité et se trouve donc être un hybride de ces différentes entités. Cette façon de classifier les douleurs ne se retrouvent pas comme telle dans la littérature portant sur la douleur, elle est discutable en raison de son manque d'homogénéité mais il n'en demeure pas moins qu'elle a été l'outil de travail depuis le milieu des années quatre-vingt dans un contexte des soins palliatifs en milieu hospitalier universitaire et qu'elle a toujours bien servi la cause des personnes qui avaient mal.

Nous offrons de la partager, conscient des ses limites mais en même temps assuré qu'elle peut aider plus d'un clinicien dans ses interventions auprès des personnes qui ont mal. Elle offre comme autre avantage, en plus de sa facilité de mémorisation, de pouvoir enfin guider la gestion analgésique, particulièrement en regard du choix parmi l'arsenal des analgésiques et des co-analgésiques et cela pour l'ensemble des douleurs nociceptives et des douleurs neurogènes. Un organigramme reposant sur cette classification et intégrant les indications pharmacologiques est proposé dans les Manuels III et IV de cette série.

Le contenu des six manuels de cette série sera dorénavant basé sur cette classification hybride.

La classification "simplifiée" regroupant les quatre volets "anatomo-patho-physiologique" et "clinique" offre la vision suivante.

Les douleurs physiques se divisent en deux grandes familles:

  • les douleurs NOCICEPTIVES
    et
  • les douleurs NEUROGENES.

Chaque grande catégorie ou famille de douleur sera discutée plus en détail dans ce premier manuel. Chacune de ces deux grandes familles de douleurs se subdivise à son tour.
 

La douleur NOCICEPTIVE comprend deux sous-types anatomique:

  • la douleur somatique
    et
  • la douleur viscérale.
     

La douleur nociceptive VISCERALE se subdivise à son tour sur le plan clinique en deux sous-types:

  • la douleur continue ou constante
    et
  • la douleur colique ou spastique.
     

La douleur NEUROGENE, quant à elle, se divise en quatre différents sous-types cliniques

  • la douleur "simple"
  • la douleur "accompagnée" d'un caractère quelconque et dont l'intensité varie de paresthésie jusqu'à dysesthésie,
  • la douleur "paroxystique" ou "en salves"
    et finalement en un quatrième sous-type plus complexe
  • le Syndrome douloureux régional complexe (Complex Regional Pain Syndrome) qui ne fait pas l'objet d'une explication détaillée dans le présent document mais dont il sera tenu compte.

Ce dernier type de douleur a porté différents noms: dystrophie sympathique réflexe, causalgie et bien d'autres. Tout récemment (International Association for the Study of Pain - IASP - 1994), le Syndrome douloureux régional complexe (Complex Regional Pain Syndrome), considéré pendant longtemps comme étant toujours sous l'influence du système sympathique, a été subdivisé en deux entités:

    • avec "participation et rehaussement" du système nerveux autonome sympathique ("Sympathetically Maintained Pain")
      et
    • sans "participation ni le rehaussement" du système nerveux autonome sympathique ("Sympathetically Independant Pain").

Dans les documents qui suivent, il sera surtout fait référence au Syndrome douloureux régional complexe avec "participation et rehaussement" du système nerveux autonome sympathique (Douleur avec participation sympathique / Sympathetically Maintained Pain).

Nous souhaitons que cette classification "pratique et simple" puisse devenir un outil précieux pour le clinicien lui permettant d'avoir une vue d'ensemble sur les différentes douleurs ressenties tout en lui offrant en même temps une vision sur les différents choix "thérapeutiques" pharmacologiques appartenant à chaque sous-entité.

113 - La douleur nociceptive: son origine pathophysiologique

La douleur nociceptive tire son nom du fait qu'elle origine de la stimulation de récepteurs qui transmettent au cerveau des signaux interprétés comme étant de la douleur. Ces "récepteurs de la douleur", plus adéquatement identifiés comme nocicepteurs, sont donc responsables de la première des deux grandes famille de douleurs soit la "douleur nociceptive". La façon dont ces signaux ou ces influx nociceptifs sont transmis au cerveau a déjà été présentée sommairement. (Voir: ACTIVATION PRIMAIRE / ACTIVATION SECONDAIRE / L'IMPRESSIONNANTE CASCADE DE RELAIS DANS LA TRANSMISSION DE L'INFLUX DOULOUREUX)

Ces nocicepteurs peuvent être situés en périphérie dans une structure "somatique" ou dans une structure "viscérale". En simplifiant beaucoup,

  • les composantes "somatiques" comprennent la peau, les structures musculaires, articulaires et osseuses,
  • les composantes "viscérales" (ou splanchniques) comprennent les vaisseaux sanguins et les organes internes, en fait toutes les structures qui sont innervées par le réseau autonome sympathique ou parasympathique.

Certaines notions sont rappelées brièvement concernant les nocicepteurs. (Voir: LES DIFFERENTS TYPES DE NOCICEPTEURS)

Peut-être parmi les premières notions à rappeler est celle que des nocicepteurs sont presque partout présents dans l'organisme. On peut ainsi comprendre qu'il soit "si facile" de ressentir de la douleur ou plutôt de provoquer celle-ci.

Il existe différents sous-types de nocicepteurs qui sont activés par différents stimuli "douloureux". Certains ne répondent sélectivement qu'à une seule sorte de stimulus, d'autres répondent à divers types de stimuli. De façon succincte, les nocicepteurs peuvent être "activés" par des stimuli mécaniques, thermiques ou chimiques. Certains de ces récepteurs sont activés par de très faibles intensité de stimulation alors que d'autres nécessitent de fortes intensités avant d'être activés.

Il existe quatre principaux types de nocicepteurs:

  • les mécanorécepteurs.
  • les thermorécepteurs.
  • les récepteurs mécanothermiques.
  • les récepteurs polymodaux qui sont de très loin les plus abondants de tous les nocicepteurs.

La fonction des nocicepteurs, depuis l'apparition de la vie, a toujours été de prévenir la détérioration d'une structure en signalant sa blessure par une alarme "douleur". Certains de ces états sont bien connus. En effet, personne n'ignore que la plaie consécutive à une chirurgie sera douloureuse pendant un certain temps. L'irritation cutanée parfois présente dans un foyer traité par radiothérapie, les coups de soleil, l'entorse de la cheville, constituent autant d'exemples d'un même mécanisme inflammatoire occasionnant la stimulation des nocicepteurs.

Avec le temps, le système nociceptif s'est raffiné mais s'est aussi complexifié avec un prix à payer pour posséder autant d'avertisseurs partout dans l'organisme et un réseau aussi sophistiqué: celui de voir apparaître des douleurs diverses, à différents sites, parfois de façon prolongée, lorsqu'une maladie ou une condition quelconque agressent ce réseau.

114 - La douleur nociceptive: son origine clinique

Dans le contexte des soins palliatifs "oncologiques", la stimulation d'un des différents types de nocicepteurs peut résulter de différentes conditions pathologiques ou de différents contextes thérapeutiques. Ainsi, les nocicepteurs peuvent être stimulés

  • par l'envahissement tumoral d'une région ou d'un organe, envahissement qui peut ainsi causer une compression, une infiltration ou encore une destruction d'un certain nombre de neurones nociceptifs,
     
  • par des "agressions tissulaires sur le réseau nerveux" résultant d'un traitement (chimiothérapie, chirurgie, radiothérapie).

115 - La douleur nociceptive: les substances inflammatoires et la sensibilisation

Peu importe le processus sous-jacent, l'aboutissement final est toujours le même. Il peut être compris comme le déclenchement de mécanismes inflammatoires entraînant la production de nombreuses substances chimiques ayant en commun la capacité de stimuler les nocicepteurs, on les dit substances algogènes. Parmi ces subtances on retrouve

  • les prostaglandines

de même que les substances suivante:

  • bradykinine,
  • sérotonine,
  • acétylcholine,
  • ATP,
  • substance P,
  • histamine,
  • leukotriène B4 (LKT-B4),
  • interleukine 1-alpha et 1-bêta (IL-1a et 1b),
  • "tumor necrosis factor"-alpha (TNF-alpha))

(Voir: L'ACTIVATION "PRIMAIRE").

Ces substances inflammatoires exercent leur action sur les milliers voire les millions de nocicepteurs siégeant dans la région touchée en les sensibilisant ou en les activant.

Le phénomène de sensibilisation des nocicepteurs correspond en fait à un abaissement du seuil d'activation des nocicepteurs, i.e. à une plus grande facilité à produire un influx mais sans créer d'influx cependant. Plus le seuil s'abaisse, plus la fréquence d'activation augmente parce qu'il est plus facile à ce moment de produire un influx et donc plus s'accroît le nombre de messages douloureux atteignant le cerveau. On pourrait comparer l'effet des nombreuses substances algogènes responsables d'une sensibilisation accrue des récepteurs de la douleur à la fatigue qui a pour effet de nous rendre, nous les humains, plus sensibles à tout irritant, aussi minime soit-il. En fait, la fatigue pourrait être comprise comme un élément "sensibilisateur" de notre patience! Le phénomène d'activation des nocicepteurs correspond à la production d'un influx.

Plus la production et le déversement des nombreuses substances algogènes vont prendre d'importance, plus les douleurs d'origine périphérique vont s'amplifier. Cette amplification de la stimulation des nocicepteurs va finir par se manifester en périphérie et cette manifestation se fait sous la forme d'une hyperalgésie.

Lorsque l'accumulation des substances "algogènes" prend de large proportion, les récepteurs non nociceptifs commencent alors à subir les mêmes effets que les nocicepteurs à savoir une sensibilisation et une activation, ils commencent donc à participer à la production de messages douloureux. Ainsi les fibres A bêta branchées à des récepteurs liés aux stimulations cutanées complexe telles

  • le sens de la vibration,
  • la discrimination tactile,
  • le sens de la position,
  • le sens de vibration,
  • le degré de pression,

commencent alors à émettre des fréquences de décharges (firing rate) comparables aux fibres nociceptives. La deuxième portion de l'amplification de la douleur d'origine périphérique se révèle cliniquement alors avec l'allodynie. Les seuils d'activation des récepteurs non nociceptifs sont à ce point altérés et ces mêmes récepteurs sont à ce point soumis à des stimulations par la soupe de substances algogènes que leur activation provoque maintenant de la douleur. Ainsi le moindre effleurement, le moindre contact avec une région cutanée dans l'environnement douloureux, le moindre courant d'air provoque des douleurs affreuses. On parle alors de ces transformations en terme de "conversion phénotypique" des récepteurs non nociceptifs et des fibres non-nociceptives A delta et A bêta "branchées" à ces récepteurs.

En fait, cette conversion se manifeste par des transformations telles au niveau de la biochimie des fibres A bêta qu'elles se mettent alors à produire et libérer des neurotransmetteurs excitateurs tels de la substance P. C'est alors la substance P cette fois en provenance des boutons pré-synaptiques des fibres A bêta qui vient alors activer les fibres centrales convergentes (WDR). Ainsi apparaît l'allodynie dans son sens le plus pur! Cette particiaption des fibres A bêta à l'allodynie est indéniable puisque le blocage des fibres A bêta (en laboratoire) réduit de façon considérable l'allodynie. Dès lors que les substances algogènes ont exercé de tels effets autant sur les nocicepteurs que sur les récepteurs non-nociceptifs se produit un autre événement électrique avec ses répercussions cliniques. Toute stimulation autant douloureuse que non douloureuse provoque alors une longue persistance des décharges électriques qui fait en sorte que de la douleur continue à être ressentie plusieurs minutes après l'arrêt de toute stimulation.

Le phénomène de "conversion phénotypique" des fibres A bêta peut tout aussi bien s'observer dans les cas d'agression neurogène causée par un processus néoplasique, le point de départ de l'hyperactivation se trouvant alors sur les fibres nociceptives et sur les fibres non-nociceptives A bêta. Il n'est pas rare en effet d'observer de l'allodynie dans les cas de neuropathies, plexopathies ou radiculopathies découlant d'un envahissement tumoral.

Par ailleurs, à la suite des agressions intenses causées

  • soit directement sur les nocicepteurs et les autres récepteurs non-nociceptifs par une importante accumulation de substances algogènes,
  • soit directement sur les fibres nociceptives et non-nociceptives A delta et A bêta par un environnement tumoral,

apparaissent des ramifications ou des projections "poussant" à partir des boutons présynaptiques de ces fibres. Ces projections s'observent particulièrement dans les couches I et II de la corne postérieure où elles peuvent alors se "brancher" directement sur les neurones "nociceptif-spécifiques" auxquels elles n'ont pas accès dans l'ordre normal physiologique des choses puisqu'elles utilisent préférablement différents interneurones comme intermédiaires de branchement. Ce faisant, elles peuvent activer directement ces neurones centraux nociceptifs. En même temps elles échappent aux mécanismes de contrôles inhibiteurs pré-synaptiques,

  • puisqu'ils les terminaisons "présynaptiques" de ces projections nouvelles ne sont pas munis d'interneurones inhibiteurs branchés
  • que les terminaisons présynaptiques de ces projections ne développent pas de récepteurs "inhibiteurs" à leur surface.

La résultante finale est toujours la même soit de produire une allodynie qui échappent de plus en plus à toute intervention modulatrice inhibitrice qu'elle soit physiologique par les faisceaux inhibiteurs descendants ou purement pharmacologique.

A cette amplification périphérique vient s'ajouter de façon synchrone la participation des NMDA qui ajoute encore un autre facteur d'amplification mais cette fois-ci au niveau central.

Etrange adaptation s'il en est une puisque ... plus de douleur provoque encore plus de douleur!

Ces changements nous permettent d'imaginer qu'il pourrait rester de la place pour des interventions à visée analgésique dans la portion post-synaptique du réseau nociceptif aux étages des cornes postérieures, interventions qu'il reste pour le moment à découvrir en bonne partie.

116 - La douleur nociceptive: des nocicepteurs partout

En marge de ces explications, il est important de préciser que ces nocicepteurs sont presque partout présents dans l'organisme. On peut ainsi comprendre qu'il soit "si facile" de ressentir de la douleur ou plutôt de provoquer celle-ci.

La fonction de ces récepteurs, depuis l'apparition de la vie, a été de prévenir la détérioration d'une structure en signalant sa blessure par une alarme "douleur". Cependant, il y a un prix à payer pour posséder autant d'avertisseurs partout dans l'organisme: c'est celui de voir apparaître diverses douleurs, parfois de façon prolongée, à différents sites, lorsqu'une maladie ou une condition quelconque les stimulent.

Certains de ces états sont bien connus. En effet, personne n'ignore que la plaie consécutive à une chirurgie sera douloureuse pendant un certain temps.

L'irritation cutanée parfois présente dans un foyer traité par radiothérapie, les coups de soleil, l'entorse de la cheville, constituent d'autres exemples d'un même mécanisme occasionnant la stimulation des récepteurs de la douleur.

117 - La douleur nociceptive: réseau nerveux intact

Il va sans dire que pour que la stimulation du nocicepteur soit ressentie comme de la douleur "nociceptive", il faut absolument que tout le réseau neurologique conduisant cet influx douloureux à partir du récepteur, et ce, jusqu'au cortex cérébral sensitif soit absolument intact sur les plans structurel et fonctionnel. Les douleurs nociceptives peuvent en fait être comprises comme étant des douleurs reposant sur une physiologie et un réseau normaux ce qui fait que les messages nociceptifs arrivant au cerveau respectent une architecture que l'on pourrait aussi qualifier de normale. Lorsque des transformations apparaissent dans le réseau nociceptif ou lorsque des agressions sont produites sur ce même réseau, le cerveau commence à recevoir des informations erronées.

Ces informations "erronées" sont justement le propre de la deuxième grande famille de douleur: les douleurs neurogènes.

118 - La douleur nociceptive somatique

La douleur nociceptive somatique est causée par la stimulation des récepteurs de la douleur, i.e. des nocicepteurs situés dans les structures somatiques (structures musculaires, osseuses et articulaires). Ces nocicepteurs ont bien souvent été sensibilisés par différentes substances chimiques au point de devenir très facilement "irritables". Ils réagissent alors au moindre stimulus en "s'activant" plus rapidement qu'habituellement (Voir: LA DOULEUR NOCICEPTIVE: LES SUBSTANCES INFLAMMATOIRES, LA SENSIBILISATION) ce qui envoie vers le cerveau des influx "douloureux". Le mot-clé, dans le cas des douleurs nociceptives somatiques est "substances chimiques". Ce sera aussi le mot-clé de la thérapeutique avec les anti-inflammatoires non stéroïdiens comme substances préférentielles.

Parmi toutes les douleurs nociceptives somatiques, il en est un type que le contexte oncologique fournit en abondance, c'est celui des douleurs par métastases osseuses. Il est à noter que les douleurs par métastases osseuses ne sont présentes que lorsque l'envahissement tumoral est parvenu au périoste i.e. là où se trouvent les nocicepteurs. Les douleurs provenant des métastases osseuses sont attribuables principalement à deux grandes sortes de mécanismes:

  • Des mécanismes chimiques.

Ces mécanismes sont exercés par la kyrielle de substances inflammatoires algogènes (PG, Bradykinine, sP, Histamine, Sérotonine, Leukotriène, H+, K+) découlant des dommages cellulaires et de la destruction du milieu produits par l'agression tumorale. Ces substances inflammatoires algogènes ont alors pour effet de sensibiliser et/ou d'activer les nocicepteurs présents en abondance dans le périoste. Par ailleurs, l'importante induction ostéoclastique exercée par les cellules tumorales et responsable de l'intense activité "destructrice ou lytique" au niveau de la substance osseuse vient ajouter une plus grande quantité de substances inflammatoires algogènes à l'abondance déjà produite. Par ailleurs, les cellules tumorales libèrent à leur tour plusieurs substances inflammatoires algogènes, le tout contribuant à une plus grande sensibilisation et/ou activation des nombreux nocicepteurs présents dans le périoste. (Voir: LE CARACTERE "AGRESSANT" DES DIFFERENTS STIMULI "DOULOUREUX" ET LA PRODUCTION DE SUBSTANCES INFLAMMATOIRES)

Il se pourrait aussi que la prolifération tumorale une fois arrivée au périoste envahisse les micro-structures nerveuses au pourtour de l'os ajoutant de ce fait une contribution neurogène aux douleurs nociceptives déjà importante.

  • Des mécanismes mécaniques

Ces mécanismes découlent de la distorsion du périoste créée par la prolifération tumorale. La prolifération tumorale aboutit à une expansion tumorale qui provoque alors de l'étirement sur le périoste. De plus, les distorsions périostés et la réduction de l'épaisseur périostée dans les zones lytiques entraînent une augmentation de pression mécanique dans ces zones. Or le périoste possède aussi des nocicepteurs sensibles aux stimulations mécaniques. Par ailleurs, il est aussi possible que l'envahissement périosté soit responsable de microfractures périostées multiples qu'il est impossible de diagnostiquer par les moyens d'investigation actuels mais qui contribuent à la fois aux stimulations mécaniques et aux stimulations chimiques par le biais des réactions inflammatoires induites par les tentatives de réparation multifocales.

119 - La douleur nociceptive somatique: sa fréquence

La douleur nociceptive somatique est le type de douleur le plus fréquent chez les personnes atteintes de cancer.

Les douleurs provoquées par les métastases osseuses en constituent l'exemple le plus classique. Sachant qu'il existe une concentration très élevée de nocicepteurs dans le périoste, on peut facilement comprendre que toute croissance néoplasique dans la région du périoste soit susceptible d'entraîner des douleurs osseuses.

Or il s'avère que les cancers les plus fréquents ont une propension à se disséminer dans les tissus osseux pour produire des métastases osseuses. Parmi ces cancers, on retrouvent notamment les cancers du sein, du poumon, de l'estomac, du colon et du rectum, de la prostate, du col utérin, de la thyroïde et des reins.

Inutile d'insister davantage. Les douleurs dues aux métastases osseuses qui sont en fait des douleurs nociceptives de type somatique sont très fréquentes, comme on peut le comprendre facilement.

Il existe de nombreux autres exemples de douleurs somatiques, plus faciles à identifier une fois que l'on a bien compris les mécanismes sous-tendant ce type de douleur soient la sensibilisation et l'activation des nocicepteurs par la présence de substances "inflammatoires" dites algogènes.

120 - La douleur nociceptive somatique: des exemples

De nombreuses situations entraînent l'apparition de douleurs nociceptives somatiques, à titre d'exemple:

  • les métastases osseuses,
  • les coups de soleil,
  • la plaie postopératoire immédiate,
  • l'entorse malléolaire ou celle de toute autre articulation,
  • une tendinite / bursite.

121 - La douleur nociceptive somatique: le circuit nerveux somatique

La douleur nociceptive somatique est celle qui est ressentie dans la peau, les tissus sous-cutanés profonds et les structures musculaires, osseuses et articulaires.

Cette douleur est transmise par les fibres nerveuses du réseau nociceptif somatique (C et A delta). C'est donc dire qu'à partir de son point d'origine, cette douleur, est acheminée vers la moelle épinière par les nerfs périphériques somatiques. Les nerfs somatiques périphériques sont ceux que l'on retrouve dans la peau, les membres; on retrouve aussi une portion somatique parmi un certain nombre de nerfs crâniens. Le nerf radial ou médian dans le membre supérieur, le nerf sciatique ou fémoral dans le membre inférieur sont des exemples de nerfs somatiques.

Ces nerfs de même que tous les autres nerfs périphériques sont disposés suivant une configuration anatomique définissant des dermatomes. Cette configuration permet à chaque région du corps de véhiculer les informations douloureuses tout comme les autres informations sensitives vers une racine particulière qui devient prédominante pour une région anatomique donnée. Par exemple, les messages sensitifs en provenance de la région de l'épaule passent principalement par la racine C5, alors que ceux qui viennent de la partie antérieure de la cuisse voyagent surtout par la racine L2.

Avant leur entrée dans la moelle épinière par les racines, les nerfs périphériques des étages cervicales, lombaires et sacrées du système somatique convergent vers différents plexus somatiques dont ils sont tributaires (cervical, brachial, lombaire et sacré). Ensuite, ces nerfs périphériques pénètrent finalementdans la moelle épinière par les racines .

L'étalement des principaux plexus somatiques se fait de la façon suivante:

  • le plexus cervical s'étend des racines C2 à C4
  • le plexus brachial s'étend des racines C5 à D1
  • le plexus lombaire s'étend des racines L2 à L4 avec des variantes de L1 à L4
  • le plexus lombo-sacré s'étend des racines L4 à S5.

122 - Le circuit nerveux somatique: la branche postérieure (posterior rami) de la racine postérieure et les douleurs à distance

Chaque racine (aussi appelée nerf spinal) fait son entrée dans le canal médullaire par une ouverture latérale entre deux vertèbres adjacentes à laquelle on réfère comme étant un trou de conjugaison ou un foramen. Une fois à l'intérieur du canal médullaire, la racine (ou manchon radiculaire ou nerf spinal) se subdivise en racine postérieure et antérieure. La racine postérieure contient les différents fibres de la sensibilité incluant bien sûr les fibres nociceptives. Ces fibres présentent un renflement au niveau du trou de conjugaison correspondant à leur noyau cellulaire. La racine antérieure contient les fibres de la motricité et celles du réseau autonome sympathique.

Immédiatement avant son entrée dans le trou de conjugaison, la racine présente des embranchements qui sont de deux types. Les embranchements

  • antérieurs fournissent les innervations autonomes sympathiques pour la chaîne sympathique et proviennent en fait de la racine antérieure,
  • postérieurs (posterior rami) du nerf spinal qui sont en fait formés d'une branche postérieure unique amplement ramifié cependant reçoivent les fibres nociceptives somatiques innervant les différentes structures suivantes présentes à la région para-rachidienne (ou para-vertébrale)
    • · la peau,
    • · les muscles intrinsèques de la colonne vertébrale,
    • · les articulations de la colonne, i.e. les articulations inter-apophysaires,
    • · les ligaments sus-épineux et inter-épineux.

et vont donc faire leur entrée dans la moelle par la racine postérieure.

Cette structure anatomique, la branche postérieure, se retrouve à toutes les étages du système radiculaire somatique. Les branches postérieures débutent avec les premiers étages des racines cervicales et sont présentes jusqu'aux derniers nerfs sacrés, on les retrouve en fait du vertex au coccyx. Les branches postérieures gauche et droite sont en fait de longs prolongements qui viennent se terminer en de nombreux sous-rameaux au niveau des plans cutanés et sous-cutanés des régions postérieures cervicales, dorsales, lombaires, sacrées et coccygéennes. Aux étages dorsales inférieures et lombaires supérieures, les branches postérieures gauche et droite s'étendent sur plusieurs étages et prennent donc origine beaucoup plus bas qu'à l'étage où elles vont faire leur entrée.

A titre d'exemple, les champs récepteurs (i.e. l'innervation sensitive) de la région lombaire et para-lombaire basse et de même que de la région fessière haute particulièrement celle chevauchant la région de la crête iliaque postérieure sont véhiculés par les branches postérieures arrivant aux racines L1 et L2. Ces racines reçoivent donc des influx somatiques sensitifs et nociceptifs de régions qui sont relativement éloignées, anatomiquement, de la région qui pourrait sembler les concerner.

Ainsi, une douleur ressentie à la région de la crête iliaque postérieure et à la région sacro-iliaque est susceptible de provenir en fait d'une irritation, voire d'une lésion du tissu nerveux, par un processus pathologique situé au niveau de la région D12 - L1. En contexte oncologique, une douleur dans cette région est souvent "trompeuse". Elle est attribuée de prime abord à une atteinte osseuse de la colonne lombaire basse, de la région sacro-iliaque ou encore directement du sacrum supérieur. L'investigation radiologique est alors déroutante puisque négative et pourtant l'examen clinique démontre hors de tout doute une ou des douleurs dans les régions citées. En fait, en contexte oncologique, les structures osseuses les plus probablement atteintes sont au niveau D11, D12, L1 ou à la limite L2 et ces atteintes néoplasiques affectent la branche postérieure sans toucher la ou les racines à ces mêmes niveaux. Si un traitement de radiothérapie s'impose, c'est au niveau de D11, D12, L1 ou à la limite L2 qu'il devra être fait, pas au niveau où la douleur est ressentie. Ce type de présentation n'est en fait rien d'autre qu'une douleur irradiée puisque les fibres périphériques sont directement affectées. (Voir: EPARPILLEMENT MULTI-ETAGE, MULTI-CONVERGENCE, DOULEUR IRRADIEE ET DOULEUR REFEREE)

Voilà de quoi tromper, pour plus d'une raison, l'évaluation faite pour des douleurs ressenties dans les régions pararachidiennes (ou paravertébrales).

Mais il y a pire encore pour tromper l'évaluation, puisque des anastomoses entre les branches postérieures de différents étages sont fréquentes. Cela signifie une plus large dispersion de l'anatomie "déjà confondante" de ces branches. Ainsi, la région fessière pourrait carrément être innervée par une branche en provenance de D10 à l'occasion ce qui pourrait confondre plus d'un clinicien "non-averti".

Il est donc important de se rappeler que la zone où de la douleur est éprouvée est toujours déterminée, autant pour le cas des douleurs irradiées que référées, par la racine "préférentielle" à travers laquelle le message nociceptif pénètre dans la moelle épinière et que des informations à la fois somatiques et viscérales peuvent se retrouver dans cette racine.

Ces notions ont déjà fait l'objet de discussions aux chapitres LE SYSTEME DE TRANSPORT DES INFLUX NOCICEPTIFS PERIPHERIQUES: L'EPARPILLEMENT MULTI-ETAGE et EPARPILLEMENT MULTI-ETAGE, MULTI-CONVERGENCE, DOULEUR IRRADIEE ET DOULEUR REFEREE. Par ailleurs, ces notions seront rediscutées brièvement à la section portant sur les douleurs neurogènes.

123 - La douleur nociceptive somatique: son caractère clinique

Sur le plana clinique, la douleur nociceptive somatique est assez bien localisée. Pour ce qui est de son caractère "QUALITE OU SENSATION PARTICULIERE", cette douleur est habituellement ressentie comme une "douleur qui fait mal", parfois aussi comme une brulûre. La personne qui l'éprouve peut, avec une assez grande précision habituellement, situer l'endroit où la douleur est présente et ressentie.

Ainsi, par exemple, il sera possible pour le patient porteur d'une métastase située dans la partie supérieure de l'humérus, de bien circonscrire la zone où la douleur est ressentie. A l'examen physique, le siège de la douleur pourra souvent être déterminé avec encore plus de précision, souvent au centimètre près, car cette douleur est intensément exacerbée par une pression du bout du doigt alors que la même pression à quelques centimètres de la lésion ne provoque pas de douleurs. Il est même souvent possible, de diagnostiquer et de localiser une métastase osseuse présumée, avant le scan osseux, par simple pression du doigt.

Il en va tout autrement pour la douleur viscérale dont nous discuterons plus loin.

La douleur nociceptive somatique correspond à la douleur "épicritique", terme utilisé depuis 1920 pour décrire des douleurs bien localisées en raison d'une bonne discrimination de l'information nociceptive.

124 - La douleur nociceptive somatique: une description schématique

Enfin, la douleur nociceptive somatique est généralement décrite, par la personne atteinte, comme une douleur constante, "toujours là", profonde et agaçante ou "tannante". Il est moins fréquent que cette douleur soit intermittente mais elle peut l'être tout aussi bien.

Lorsque constante, le caractère de constance peut cependant se présenter de trois façons:

  • une douleur constante avec une intensité constante,
  • une douleur constante avec certaines variations dans l'intensité,
  • une douleur constante avec beaucoup de variations dans l'intensité.
 
Lorsqu'elles sont intermittentes, le caractère d'intermittence peut se présenter de cinq façons selon les paramètres du début, de la durée et de l'intensité:
  • à son début, la douleur peut survenir subitement,
  • à son début, la douleur peut survenir progressivement,
  • pour chaque épisode, la douleur peut avoir une durée et une intensité semblables,
  • pour chaque épisode, la douleur peut avoir une durée semblable et une intensité différente,
  • pour chaque épisode, la douleur peut avoir une durée différente et une intensité semblable.

125 - La douleur nociceptive viscérale: son origine pathophysiologique

La douleur nociceptive viscérale est déclenchée par l'activation des nocicepteurs siégeant à l'intérieur ou au pourtour des viscères ou dans les parois des vaisseaux sanguins et qui parfois ont été préalablement sensibilisés. Malgré une définition paraissant ressembler à la douleur nociceptive somatique, la douleur nociceptive viscérale diffère considérablement de la douleur "somatique".

Le mot-clé, dans le cas de cette douleur, devient "étirement" avec ses nombreux synonymes: distension, spasme, traction, compression, torsion. Cet étirement cependant doit revêtir un des deux caractères suivants: étirement "soudain" ou étirement "extrêmement marqué". Un étirement prolongé et plus ou moins marqué ne provoquera pas de douleurs. Quelques-uns des stimuli mécaniques viscéraux les plus classiques incluent:

  • une traction soudaine sur le mésentère,
  • l'étirement marqué d'une séreuse,
  • la compression d'un viscère causant secondairement une rapide distension,
  • la distension marquée d'un organe creux.

Il apparaît donc que les nocicepteurs sensibles à l'étirement jouent un rôle particulièrement important dans ce type de douleur, parmi ceux-ci figurent les:

  • mécanorécepteurs
    et
  • les récepteurs polymodaux.

D'autres stimuli jouent un rôle moins important. Des douleurs viscérales peuvent aussi être provoquées par des stimuli chimiques résultant d'une ischémie (infarctus du myocarde, colite ischémique) ou inflammation (diverticulite). Par contre, certains types de nocicepteurs paraissent être totalement absents des viscères, il est ainsi bien connu, depuis des décennies, que l'incision d'un viscère ou qu'une brûlure appliquée sur un viscère ne provoquent pas de douleur.

Certains viscères, tels le système biliaire, le colon et les uretères, possèdent des nocicepteurs à haut seuil d'activation qui ne répondent qu'aux stimuli douloureux intenses. La plupart des autres viscères possèdent des nocicepteurs qui réagissent à tous les degrés d'intensité de stimulations, à partir des stimulations non-douloureuses jusqu'aux stimulations franchement douloureuses.

Ainsi donc, dans le cas des douleurs viscérales, ce sont particulièrement des stimuli "d'étirement" qui produiront les signaux douloureux transmis vers le cerveau. Cependant, la présence d'un phénomène inflammatoire ou ischémique, au préalable, aura pour effet d'avoir "sensibilisé" les différents nocicepteurs viscéraux qui alors signaleront la douleur plus rapidement et de façon plus marquée. La réponse à ces stimulations se trouve alors augmentée de beaucoup. C'est le cas des douleurs urétérales causées par la présence d'un calcul qui, par phénomène irritatif, déclenchera une importante réaction inflammatoire dans la paroi. Des substances algogènes apparaîtront alors pour sensibiliser les nocicepteurs présents. Bien que les uretères soient surtout pourvus de nocicepteurs à haut seuil d'activation, la présence des substances algogènes fera en sorte que de la douleur sera rapidement ressentie à des distensions moindres que celles habituellement nécessaires pour provoquer des douleurs coliques.

En comparaison avec les afférences somatiques, les afférences viscérales nociceptives représentent moins de 10 % de toutes les afférences arrivant dans la corne postérieure. Cependant, une fois arrivée dans la corne postérieure, elles "s'éparpillent" de façon beaucoup plus étagée de sorte qu'ils finissent par rejoindre un nombre très élevé de neurones centraux. La douleur viscérale est donc non seulement différente de la douleur somatique sur le plan pathophysiololgique mais elle le sera tout autant sur le plan clinique comme il nous sera permis de le voir ultérieurement. Ainsi, le réseau viscéral nociceptif, quant à lui, n'est pas muni du raffinement proprioceptif que le réseau somatique possède, de plus, il "transmet" surtout par les fibres "C". Il contribue donc peu au faisceau néo-spinothalamique mais contribue beaucoup au faisceau paléo-spinothalamique. La douleur viscérale est donc fort mal localisable en bonne partie pour cette raison mais aussi à cause de l'éparpillement multi-étagé qui fait en sorte que des neurones nociceptifs centraux sur plusieurs étages sont soumis à une stimulation nociceptive viscérale. Finalement, l'homonculus est peu représentatif des structures viscérales et les raisons sont alors plus faciles à comprendre.

Les nocicepteurs viscéraux peuvent subir un étirement, voire un surétirement, de deux façons différentes. Ils peuvent être étirés:

  • de façon continue et persistante, comme dans le cas de métastases hépatiques présentes en abondance et responsables d'une hépatomégalie tellement volumineuse qu'elle devient une hépatalgie
    ou encore
  • de façon soudaine et intense, comme dans le cas d'une colique néphrétique ou d'une occlusion intestinale.

126 - La douleur nociceptive viscérale: des nocicepteurs "mécanosensibles" presque partout

Des nocicepteurs des différents sous-types dont plusieurs répondant particulièrement à des stimuli mécaniques se retrouvent dans les viscères. On retrouve ainsi de tels récepeteurs dans les structures et sous-structures suivantes:

  • les séreuses

les bourses,
la plèvre pariétale,
le péritoine,
le péricarde,
les capsules entourant les viscères, par exemple la capsule hépatique,

  • la paroi des vaisseaux, ce qui permet, en partie, de considérer les douleurs migraineuses comme étant des douleurs viscérales puisque les vaisseaux sont innervés par le réseau autonomique, ce qui distingue les structures somatiques des structures viscérales,
     
  • la paroi et au pourtour des organes creux, notamment:

le canal cholédoque,
le canal pancréatique,
les uretères,
les trompes de Fallope,
la vessie,
le tube digestif supérieur et inférieur,
l'utérus.

Certains viscères semblent ne posséder aucun type de nocicepteurs dans leur parenchyme, notamment les poumons, le foie et les reins.

127 - La douleur nociceptive viscérale: son parcours dans le circuit nerveux autonome

Deux grandes divisions anatomiques ont été décrites pour les neurones nociceptifs, les neurones périphériques et les neurones centraux.

Les neurones périphériques pour leur part, qu'ils soient moteurs ou sensitifs, se subdivisent en deux sous-entités:

  • les neurones somatiques,
    et
  • les neurones viscéraux ou splanchniques.
     

Les neurones somatiques, en simplifiant beaucoup, apportent les afférences à partir des composantes "somatiques" i.e. la peau, les structures musculaires, osseuses et articulaires ou apportent les "efférences" vers ces mêmes composantes.

Les neurones viscéraux ou splanchniques, pour leur part, apportent les "afférences" à partir des composantes "viscérales" ou apportent les "efférences" vers ces mêmes composantes. Les neurones "viscéraux" moteurs sont en fait les composantes du système nerveux autonome (SNA) périphérique.

Le système nerveux autonome se compose, comme le système somatique, de nerfs et de plexus par lesquels les fibres cheminent. Classiquement, les nerfs et plexus du SNA sont représentés comme étant composés "exclusivement" de fibres motrices i.e. de fibres efférentes innervant des structures viscérales en périphérie. Cependant, les nerfs et plexus du SNA sont aussi composés de fibres nociceptives qui vont véhiculer les informations nociceptives provenant des viscères. Les nerfs et plexus du SNA comprennent donc:

  • des fibres motrices
    et
  • des fibres sensitives donc des fibres nociceptives.

Les fibres motrices autonomiques se subdivisent en deux systèmes:

  • le système sympathique
    et
  • le système parasympathique.

Ces deux systèmes, exercent, de façon complémentaire, chacun à leur manière, le contrôle moteur de nos différents viscères. A titre d'exemple, ils accélèrent ou ralentissent le coeur, augmentent ou diminuent les sécrétions gastriques, causent une vasodilatation ou une vasoconstriction des vaisseaux sanguins.

Dans le contexte nociceptif, le système nerveux autonome sympathique fournit même des "efférences" vers les nocicepteurs périphériques (Voir: LE SYSTEME "SYMPATHIQUE" ... QU'IL NE FALLAIT PAS OUBLIER!).

Ces deux systèmes vont aussi véhiculer des fibres nociceptives d'origine viscérale.

128 - La douleur nociceptive viscérale: le circuit nociceptif viscéral ou "splanchnique"

À partir des différents sous-types de récepteurs situés dans les viscères, la douleur viscérale est transportée par des afférences qui empruntent les voies du système nerveux autonome sympathique et parasympathique, avant d'arriver à la corne postérieure. Les voies du réseau sympathique transportent plus d'afférences nociceptives que les voies du réseau parasympathique.

Bien que véhiculées à travers les réseaux sympathiques ou parasympathiques, les fibres nociceptives d'origine viscérale possèdent, tout comme les fibres nociceptives d'origine somatique, leur corps cellulaire dans le ganglion dorsal puisqu'elles sont en fait toutes les deux des fibres nociceptives "pures" mais qui ont dû emprunter un réseau autre que le réseau somatique pour véhiculer leur information.

Le système digestif fournit un bel exemple du partage des deux réseaux autonomes, sympathique et parasympathique, par les fibres nociceptives viscérales qui y trouvent origine, ainsi:

  • l'oesophage supérieur, l'estomac et la partie supérieure du duodénum transitent de façon prédominante via le réseau parasympathique (le nerf vague)
  • la partie inférieure de l'oesophage et le grêle transitent de façon prédominante via le réseau sympathique (les chaînes ganglionnaires sympathiques et les nerfs splanchniques)
  • le colon et le rectum utilisent surtout le réseau parasympathique.

Dans les faits, les influx nociceptifs viscéraux en provenance des viscères digestifs utilisent toujours les deux sous-réseaux avec chaque fois une prédominance pour un des deux.

Les influx nociceptifs en provenance des autres viscères (pex: système cardiovasculaire, système pulmonaire, système urogénital, système gynécologique, méninges) utilisent le réseau autonome de la même manière.

Le fait d'emprunter les circuits sympathique et parasympathique amène le réseau nociceptif viscéral à partager certaines propriétés ou caractéristiques appartiennent au réseau autonome et en même temps déroger du comportement des afférences nociceptives somatiques.

  • D'abord, les afférences nociceptives viscérales doivent respecter l'absence d'architecture bien organisée et logique que le système somatique présentait. Ainsi, les afférences nociceptives viscérales doivent se conformer aux longs trajets fortement intriqués dans lesquels figure un certain nombre de plexus viscéraux avant finalement de faire leur entrée par quelques racines avant de connaître le multi-étagement qui les caractérisent. Ces "entrées multiétagées" à la corne postérieure se font toujours loin du viscère pour lequel les afférences sont transportées, parfois même ces entrées se font étonnamment loin.
     
  • Par ailleurs, les fibres qui acheminent la douleur en provenance des viscères sont, de façon prédominante, des fibres C. Or, il n'existe pas de récepteurs pouvant offrir des informations adéquates sur la localisation des douleurs et qui utiliserait le réseau des fibres C. Ces fibres ne peuvent donc transmettre de message proprioceptif douloureux "valable". Il ne faudra donc jamais s'attendre à pouvoir cerner et situer avec précision la région où la douleur viscérale est ressentie comme il était possible de situer adéquatement les zones de douleurs dans le cas des douleurs somatiques. La douleur viscérale est donc toujours vague et imprécise dans sa localisation de par ses constituants physiologiques et anatomiques.
     
  • En outre, comme les fibres transportant les douleurs viscérales doivent nécessairement cheminer par les chaînes ganglionnaires sympathiques pour une large part et comme le réseau sympathique transporte plus d'afférences nociceptives viscérales que le réseau parasympathique, il sera donc possible de bloquer partiellement ou complètement la douleur. Ces interventions se feront grâce à des techniques anesthésiques d'infiltration pratiquée soit au niveau d'un plexus viscéral visé (pex. le plexus coeliaque), soit au pourtour de la chaîne ganglionnaire sympathique par où passent les fibres nociceptives impliquées.
 
Finalement, le comportement des afférences nociceptives viscérales déroge encore du comportement des afférences nociceptives somatiques et cela à deux autres égards:
 
  • après leur entrée dans la moelle, les afférences nociceptives viscérales ont tendance à s'éparpiller sur 2 à 3 étages autant en cephalad qu'en caudad en utilisant le faisceau de Lissauer, pour faire un éparpillement total sur 5 à 6 étages au total, avant de faire synapse avec les neurones nociceptifs centraux alors que les afférences nociceptives somatiques limitent habituellement leurs incursions à 1 ou 2 étages plus haut et plus bas que leur point d'entrée. (Voir: L'EPARPILLEMENT MULTI-ETAGE: LA DIFFERENCE ENTRE LES AFFERENCES SOMATIQUES ET VISCERALES)
    L'ascension des influx nociceptifs viscéraux se fait par deux faisceaux précédemment décrits, le faisceau paléo-spino-thalamique et le faisceau spino-réticulaire. Les afférences viscérales du faisceau spino-réticulaire se terminent à l'étage bulbaire dans la formation réticulée, tout comme le faisceau proprius, où le premier relais se fait vers d'autres structures supérieures.
     
  • par ailleurs, bien que les influx nociceptifs empruntent les faisceaux paléo-spino-thalamique et spino-réticulaire dans leur transport vers les étages supérieurs, un troisième faisceau ascendant est spécifiquement dédié au transport des influx viscéraux, c'est le faisceau proprius (ou fasciculus proprius). Ce faisceau est aussi vieux que le paléo-spinothalamique, il est situé immédiatement au pourtour de la substance grise de la moelle. Les fibres nociceptives viscérales qui se dirigent vers ce faisceau vont s'éparpiller sur 1 à 2 étages autant en cephalad qu'en caudad plutôt que sur 2 à 3 étages, pour faire un éparpillement total sur 3 à 4 étages au total avant de faire synapse. Ce faisceau se termine au niveau du bulbe dans certains noyaux de la formation réticulée bulbaire et les influx d'origine viscérale sont alors acheminées vers les étages supérieures par des sous-faisceaux prenant origine dans la formation réticulée bulbaire.

Les douleurs d'origine viscérale peuvent donc faire leur ascension par trois circuits ascendants différents. Il est donc plus facile de comprendre pourquoi la technique de cordotomie (sectionner le spinothalamique latéral) est si peu efficace pour réduire les douleurs viscérales intenses.

129 - La douleur nociceptive viscérale: son caractère clinique

À la différence des douleurs nociceptives somatiques, les douleurs nociceptives viscérales sont généralement difficiles à localiser. Elles sont ressenties dans une certaine région dont les pourtours sont souvent imprécis et vagues.

Pourquoi le caractère vague, diffus (dull, vague) des douleurs viscérales?

Parce que

  • les afférences nociceptives viscérales sont beaucoup moins importantes i.e. beaucoup moins nombreuses en comparaison des afférences nociceptives somatiques pour chaque étage d'entrée dans la moelle
  • la dispersion des afférences nociceptives viscérales, "céphalad" et "caudad" se fait de façon beaucoup plus étalée que pour les afférences nociceptives somatiques.
  • les afférences nociceptives viscérales sont, dans une très large mesure, des fibres C en provenance de récepteurs polymodaux et donc dépourvues d'information proprioceptive.

    (Voir LE SYSTEME DE TRANSPORT DES INFLUX NOCICEPTIFS PERIPHERIQUES: L'EPARPILLEMENT MULTI-ETAGE, LA DOULEUR NOCICEPTIVE VISCERALE: LE CIRCUIT NOCICEPTIF VISCERAL OU "SPLANCHNIQUE" et LA DOULEUR NOCICEPTIVE VISCERALE: SON ORIGINE PATHOPHYSIOLOGIQUE).

Par ailleurs, pour ce qui est du caractère "QUALITE OU SENSATION PARTICULIERE", ces douleurs sont souvent décrites comme profondes, souvent "en torsion" ou crampiformes ou encore coliques puisque, dans les faits, de nombreux viscères sont composés de muscles lisses qui exercent lors des manifestations cliniques de ces douleurs des contractions spastiques d'une étonnante force parfois. En fait, dès qu'un organe creux (cholédoque, canal pancréatique, uretère, intestin ...) subit une agression notable, de la douleur "colique" caractéristique risque de se manifester du moins dans les premiers jours de cette agression.

Tel que proposé dans la classification, la douleur viscérale peut également être constante plutôt que spastique ou colique. Un tel caractère se produit, dans un contexte de soins palliatifs oncologiques, quand la croissance tumorale dans un viscère ou à proximité d'un viscère entraîne une distension progressive et constante de ce même viscère. C'est le cas de l'hépatomégalie d'origine métastatique, précédemment proposée à titre d'exemple, qui occasionnera avec le temps une douleur dans la région hépatique. L'hépatomégalie sera devenue une hépatalgie lorsque la capsule hépatique aura été considérablement distendue.

La douleur nociceptive viscérale correspond au vieux terme de douleur "protopathique", terme utilisé depuis 1920, moins fréquemment de nos jours, pour décrire des douleurs difficiles à bien localiser en raison d'une absence d'information discriminative.

130 - La douleur nociceptive viscérale: ses aires de référence

Enfin, les douleurs viscérales sont très souvent ressenties au niveau de sites cutanés distants. On parle dans ces cas de douleurs référées. Il est plus facile de comprendre les raisons de ces douleurs référées lorsqu'on connaît les particularités anatomiques du système nerveux viscéral, spécialement l'éparpillement multi-étagé (Voir: LA DOULEUR NOCICEPTIVE VISCERALE: LE CIRCUIT NOCICEPTIF VISCERAL OU "SPLANCHNIQUE").

Cet éparpillement des influx nociceptifs d'origine viscérale entraîne un éloignement considérable entre le niveau d'entrée du message nociceptif dans la moelle épinière et le niveau où se situe l'organe atteint. De nouveau, il faut se rappeler que la zone de référence est déterminée par la racine "préférentielle" à travers laquelle le message nociceptif pénètre, racine dans laquelle se trouvent une abondance d'afférences d'origine somatique mêlées à un certain nombre d'afférences viscérales (Voir LE SYSTEME DE TRANSPORT DES INFLUX NOCICEPTIFS PERIPHERIQUES: L'EPARPILLEMENT MULTI-ETAGE).

Ainsi, une atteinte dans la région du diaphragme peut entraîner une douleur irradiant dans l'épaule, une atteinte de l'uretère distal peut causer une douleur référée à l'intérieur de la cuisse.

On peut même détecter des niveaux de sensibilité cutanée, grâce à la manoeuvre du pincé-roulé, dans les territoires cutanés touchés. Ceci témoigne soit du fait de l'activation à laquelle sont soumis les nocicepteurs des régions concernées, activation qui serait provoqué par un phénomène de boucle réflexe où les nocicepteurs seraient soumis à des stimulations efférentes, soit du fait que les fibres centrales nociceptives recevant les afférences viscérales seraient à ce point stimulées qu'elle répondraient à des manoeuvres qui ne sont pas d'une intensité nociceptive habituellement.

131 - La douleur nociceptive viscérale: une description schématique

Classiquement, les douleurs nociceptives viscérales sont décrites comme profondes, coliques ou "en torsion" et donc intermittentes mais, comme expliqué précédemment dans la classification, elles peuvent aussi être constantes. Tout dépend des caractéristiques pathophysiologiques sous-jacentes.

Lorsqu'elles sont coliques, elles sont par définition intermittentes puisque le caractère colique aura nécessairement une durée variable. Dans ces cas, le caractère d'intermittence peut se présenter de cinq façons selon les paramètres du début, de la durée et de l'intensité:

  • à son début, la douleur peut survenir subitement,
  • à son début, la douleur peut survenir progressivement,
  • pour chaque épisode, la douleur peut avoir une durée et une intensité semblables,
  • pour chaque épisode, la douleur peut avoir une durée semblable et une intensité différente,
  • pour chaque épisode, la douleur peut avoir une durée différente et une intensité semblable.

Lorsque constantes, les douleurs viscérales sont généralement décrites, par la personne atteinte, comme des douleurs profondes, "envahissantes". A ce moment, le caractère de constance peut se présenter de trois façons:

  • une douleur constante avec une intensité constante,
  • une douleur constante avec certaines variations dans l'intensité,
  • une douleur constante avec beaucoup de variations dans l'intensité.

132 - La douleur nociceptive viscérale: pathophysiologie des nausées / vomissements associés

Il est connu que lors de douleurs viscérales intenses, des nausées et des vomissements peuvent faire partie du tableau clinique.

Ces nausées et vomissements découlent d'une stimulation du centre du vomissement par les influx douloureux. Ces influx douloureux sont acheminés par la portion sensitive du nerf vague (Xe nerf crânien) vers le noyau vague sensitif ( le noyau ou tractus solitaire) au niveau du tronc cérébral. Ce noyau est situé à proximité du centre du vomissement, lui même situé à proximité du noyau moteur du vague. Le centre du vomissement transmet ainsi des influx vers le noyau moteur du vague qui lui, est responsable du déclenchement des mouvements de péristaltisme inversé et donc des vomissements.

133 - La douleur nociceptive viscérale: des exemples

Les douleurs viscérales existent sous deux formes: coliques et constantes.

En ce qui a trait aux douleurs coliques ou spastiques, quelques exemples sont proposés suivant le viscère touché:

  • tube digestif et les douleurs d'occlusion intestinale,
  • canal cholédoque et les douleurs de cholélithiases ou de colique biliaire,
  • uretère et les douleurs de coliques néphrétiques,
  • vessie et les douleurs de cystite aiguë.

Des exemples de douleurs viscérales constantes sont les suivantes:

  • foie et multiples métastases hépatiques causant une hépatomégalie qui finalement devient hépatalgie,
  • vessie et les douleurs causée par la distension d'une rétention urinaire marquée,
  • oeil et le glaucome où les phénomènes de pression dépassent les phénomènes de distension.

D'autres exemples un peu moins évidents de prime abord appartiennent aussi aux douleurs viscérales:

  • les douleurs migraineuses "pulsatiles" sont des douleurs viscérales puisque les vaisseaux ont le même type d'innervation que n'importe quel viscère i.e. une innervation autonome qui dans le réseau vasculaire est à dominance sympathique. Par ailleurs, les fibres nociceptives en provenance des nocicepteurs situés dans la paroi des vaisseaux sont des fibres C.
  • l'otite moyenne aiguë, douleur tellement fréquente durant l'enfance, comporte des douleurs qui sont des deux types exposés précédemment. En effet l'inflammation intense du tympan provoque une douleur somatique, alors que l'accumulation de pus dans l'oreille moyenne finalement responsable de la distension du tympan provoque la composante viscérale. On doit se rappeler, en effet, que le vague (nerf X) innerve les structures de la gorge et de l'oreille interne et que certaines conditions ORL provoque des douleurs référées à l'oreille. La douleur viscérale l'emporte habituellement très nettement sur la douleur somatique présente au début à ce point qu'une rupture du tympan, donc une réduction de la distension, causera un soulagement presque "instantané" de cette douleur.

134 - La douleur neurogène ou neuropathique

Nous avons vu jusqu'à maintenant que la douleur nociceptive provient de la stimulation d'un nocicepteur "intact" et exige une totale intégrité c'est-à-dire une absence complète de toute forme de lésions dans le réseau nerveux qui sert à l'acheminement des influx douloureux, soit le réseau nociceptif et cela à partir du nocicepteur jusqu'au thalamus.

Il en est autrement pour la douleur neurogène qui ne trouve son existence qu'en présence de lésions sur les voies nerveuses nociceptives, ceci incluant les lésions touchant les nocicepteurs bien sûr. Il s'agit de la définition la plus fondamentale de la douleur neurogène ou neuropathique.

La douleur neurogène ne provient pas de la stimulation physiologique usuelle des nocicepteurs soit de l'activation par des substances inflammatoires algogènes ou de l'activation par des situations provoquant de l'étirement. Elle provient plutôt de dommages qui se sont produits "dans le câblage nerveux nociceptif". C'est à partir des régions lésées sur le "câblage nerveux nociceptif" que le cerveau reçoit des influx douloureux anormaux qui souvent se manifestent par d'énormes distorsions dans le signal nociceptif.

Ce message nociceptif "brouillé et distordu" peut prendre deux aspects:

  • être continu et alors des douleurs "qui font mal" sans autre caractère que celui de douleurs "douleurs" ou encore des douleurs cette fois-ci "accompagnées" d'un ou de plusieurs caractères autre que celui de faire mal sont alors ressenties; les qualificatifs de paresthésies ou de dysesthésies donnés à la composante accompagnatrice sont en fait des échelles de degré d'intensité, une paresthésie devenant dysesthésie lorsque son intensité devient dérangeante (Voir: UN LEXIQUE "DOULOUREUX")

    ou
     

  • survenir par intermittence sous forme de décharges ou secousses soudaines et intenses, des douleurs paroxystiques ou "en salves" seront alors ressenties.

Bien que la définition "puriste" s'attarde au réseau nociceptif, la douleur neurogène peut tout aussi bien provenir de dommages qui se sont produits "dans le câblage nerveux sensitif non-nociceptif" soit celui véhiculé par les fibres A bêta. Dans ces cas, c'est toujours à partir des régions lésées mais cette fois-ci sur le "câblage nerveux sensitif non-nociceptif" que sont créées les douleurs neurogènes acheminées vers les neurones centraux qui se chargent alors d'envoyer vers le cerveau des influx douloureux anormaux qui encorre se manifestent par d'énormes distorsions dans le signal nociceptif. (Voir: LA DOULEUR NOCICEPTIVE: LES SUBSTANCES INFLAMMATOIRES, LA SENSIBILISATION)

135 - La douleur neurogène: les constituants anatomiques

La douleur neurogène est donc attribuable à des lésions affectant les voies nerveuses nociceptives, i.e. les fibres conduisant la douleur, et ce, à partir de n'importe quel nocicepteur en périphérie et ce jusqu'au cortex sensitif. La douleur neurogène peut tout aussi bien provenir de dommages dans le réseau sensitif non-nociceptif tel qu'expliqué précédemment. (Voir: LA DOULEUR NEUROGENE (OU NEUROPATHIQUE))

Ces lésions peuvent toucher

  • aussi bien les nocicepteurs
  • que tout élément du circuit nerveux nociceptif dont les composantes sont les structures suivantes:
    • les nerfs périphériques,
    • les plexus somatiques et viscéraux,
    • les racines,
    • les synapses,
    • les faisceaux médullaires transportant les messages douloureux (faisceaux spinothalamiques et autres)
    • le thalamus.

136 - La douleur neurogène: l'anatomie d'un nerf

Un nerf se compose d'un grand nombre de fibres nerveuses qui sont de calibres variables, ces fibres sont appelées neurones (Voir: LES FIBRES NERVEUSES OU NEURONES: LES DIFFERENTS TYPES). Certaines de ces fibres sont motrices, d'autres sont sensitives et parmi les fibres sensitives se trouvent les fibres nociceptives. Les nerfs périphériques sont habituellement mixtes i.e. moteurs et sensitifs, mais il y a des exceptions et cela touche particulièrement la branche postérieure de la racine postérieure qui elle n'est formée que de fibres sensitives dont une bonne part sont des fibres nociceptives (Voir: LE CIRCUIT NERVEUX SOMATIQUE: LA BRANCHE POSTERIEURE DE LA RACINE POSTERIEURE ET LES REFERENCES A DISTANCE).

L'anatomie d'un nerf peut se visualiser de la façon suivante:

  • les fibres ne sont jamais laissées libres à elles-même, elles voyagent "en groupes" et ces groupes sont composés de fibres motrices et sensitives,
  • le plus petit ensemble de fibres nerveuses regroupées ensemble dans un nerf forme un fascicule. Un fascicule est entouré d'une membrane, le périnèvre (perineurium). Ces fascicules peuvent être de diamètre fort variable,
  • chaque neurone à l'intérieur d'un fascicule baigne, de façon isolée des autres, dans une substance conjonctive "lâche". Par ailleurs, toutes les fibres sauf les fibres C possèdent, en plus de cet isolant formé de substance conjonctive "lâche", leur propre isolant formé par de la myéline disposée en couche circulaire autour de la tige axonnale,
  • un ensemble de fascicules regroupé les uns près des autres et entouré d'une membrane forment un nerf. La membrane entourant cet ensemble de fascicules s'appelle l'épinèvre (epineurium),
  • chaque fascicule est enfin à son tour entouré de tissu adipeux, de tissu conjonctif lâche, de vaisseaux sanguins et de vaisseaux lymphatiques.

Le grand ensemble de fascicules formé de milliers et des milliers de fibres de divers types (A, B et C) dont certaines (A et B) se subdivisant en d'autres sous-types forme un nerf qui peut être comparé à un câble de réseau téléphonique contenant des millions de petits filaments électriques de couleurs variées mais dont chaque couleur aurait une fonction.

Chaque type et chaque sous-type de fibres transporte des informations différentes, certaines en provenance du cerveau, on les dit "efférentes", d'autres en direction de celui-ci, on les dit "afférentes". La douleur ou plutôt les divers types de douleur sont acheminés surtout par les fibres (A delta) et les fibres C.

137 - La communication et le transport des nutriments dans le neurone

Toutes les communications et tout le transport des nutriments à l'intérieur du neurone se font au moyen de tubules (microtubules ou neurotubules) disposés à l'intérieur des axones et des dendrites. Ces neurotubules servent donc au transport des protéines, des enzymes, des neurotransmetteurs et de nombreuses autres substances.

Le neurone utilise ces systèmes de transport tubulaires dans les deux sens, soit pour "aller porter" à partir du noyau vers la périphérie du nerf, soit pour "rapporter" de la périphérie vers le corps cellulaire le matériel et les informations impliqués dans le maintien de l'équilibre structural ou affectant l'homéostasie fonctionnelle du neurone. Les messages provenant de la périphérie portent tout autant sur le milieu chimique "intraneuronal" que sur les composantes chimiques baignant les axones.

En tout temps, le corps cellulaire de chaque neurone demeure donc "bien branché" avec les événements environnementaux, qu'ils soient extracellulaires ou intracellulaires. Ce branchement repose sur deux types de messages:

  • des messages chimiques intracellulaires ou "intraneuronaux"
    mais aussi
  • les messages électriques conduits à la surface des membranes neuronales.

Cette double utilisation des neurotubules par les neurones permettra de comprendre en détails les nombreux "remaniements" rencontrés dans la "chimie et l'électronique" de la douleur, lorsque le tissu nerveux subit des lésions. Le projet actuel insistera surtout sur les événements associés au contexte "oncologique" et responsables de lésions sur le tissu nerveux surtout nociceptif. Il sera ainsi fait mention des anomalies rencontrées lorsque du tissu néoplasique se développe au pourtour du tissu nerveux ou lorsque des fibres nerveuses sont agressées et lésées par des traitements que ces derniers soient une chirurgie, de la chimiothérapie ou de la radiothérapie.

Le neurone est ainsi bien muni pour recevoir tout signalement d'agressions sur les structures nerveuses. Par ailleurs, le temps de réaction du neurone en face de toute agression est bref, en dedans d'une heure. Mais il y a un prix à payer, la paroi des neurotubules est constituée de protéines qui sont fragiles aux traumatismes mécaniques et à différentes substances chimiques "nocives".

Lorsqu'un axone est sectionné, la partie qui demeure rattachée au corps cellulaire tente de survivre alors que l'autre partie, la partie distale, complètement coupée de ses nutriments en provenance du corps cellulaire, dégénère et meurt. (Voir: LE PHENOMENE DE DESAFFERENTATION)

Cette tentative de survivre vise la récupération de son intégrité structurelle et fonctionnelle. On verra dans ce premier manuel que, bien que les neurones lésés puissent réussir tant bien que mal à retrouver une certaine intégrité structurelle, les circuits nociceptifs seront bien souvent très loin d'avoir retrouvé leur intégrité fonctionnelle "électrique" d'où la source des messages nociceptifs erratiques qui deviendront sur le plan clinique des douleurs neurogènes.

138 - La douleur neurogène: son origine clinique

Les agressions aux fibres nerveuses et les lésions qui en découlent peuvent résulter de conditions nombreuses et diverses. Dans le contexte des soins palliatifs "oncologiques", ces lésions peuvent résulter:

  • d'une masse tumorale présente dans l'environnement immédiat du tissu nerveux et qui, de par son évolution, peut progressivement
    • comprimer les structures nerveuses (nerf, plexus, racine) tout d'abord,
    • infiltrer ensuite ces mêmes structures nerveuses en raison de la croissance désordonnée des cellules néoplasiques de cette masse qui envahissent l'épinèvre et ensuite plus loin les différents périnèvre (Voir: LA DOULEUR NEUROGENE: L'ANATOMIE D'UN NERF),
    • entraîner par la suite le sectionnement d'un certain nombre de fibres nerveuses axonales, la partie proximale réussissant habituellement à survivre parfois au prix d'une grande instabilité électrique (la douleur neurogène) alors que la partie distale dégénère.
       
  • de certains traitements tels
    • la radiothérapie qui peut entraîner des effets toxiques sur les fibres nerveuses soumises localement à la radiation,
    • la chirurgie qui peut provoquer un sectionnement et donc des dommages aux fibres nerveuses et aux nocicepteurs,
    • la chimiothérapie qui peut aussi exercer à sa façon des effets toxiques sur les fibres nerveuses. Ainsi, certaines substances employées en chimiothérapie sont bien connues pour leur neurotoxicité, telles ...
    • - Cisplatine - Vincristine
      - Vinblastine - Vinorelbine
      - Docetaxel - Paclitaxel
      - Procarbazine - Etoposide.

Le détail de cette toxicité dépasse largement le cadre de ces documents, il ne sera donc pas explicité plus avant.

En dehors du contexte immédiat des soins palliatifs "oncologiques", plusieurs autres conditions peuvent créer des lésions aux fibres nociceptives et ainsi entraîner des douleurs neurogènes:

  • certaines infections, notamment le zona,
  • certaines maladies métaboliques telles le diabète,
  • certaines intoxications telle l'intoxication aux métaux lourds,
  • certaines affections auto-immunes comme la sclérose en plaques comme le plomb
  • certaines affections auto-immunes comme la sclérose en plaques,
    enfin,
  • certains traumatismes comme la compression soutenue d'un nerf, l'étirement violent d'un nerf ou d'un plexus soit par exemple l'avulsion du plexus brachial et certaines blessures par armes blanches ou par balles peuvent entraîner des douleurs neurogènes, via une action directe ou indirecte sur les fibres nociceptives.

Bien que des lésions au tissu nerveux soient souvent la cause de douleurs neurogènes, il faut reconnaître que le tissu nerveux lésé n'est pas toujours synonyme de douleur. L'évolution observée à la suite d'une amputation en est un bon exemple. Les fibres nécessairement sectionnées au moment de l'amputation sont parfois responsables des douleurs dites "fantômes" alors que l'amputation chez d'autres personnes ne laisse aucune séquelle douloureuse à long terme. Le corps a aussi ses raisons que la raison ne sait pas toujours comprendre !!!

139 - Douleur neurogène et masse tumorale: la séquence compression - infiltration - sectionnement

En ce qui a trait à la compression tumorale, il importe de signaler que la compression résulte d'abord de l'oedème présent au niveau de la masse tumorale et au pourtour immédiat de celle-ci avant que cette compression ne résulte vraiment de la masse.

Classiquement dans nos enseignements, la notion d'oedème péritumoral est présentée comme s'il s'agissait d'une exclusivité retrouvée au pourtour de masses tumorales cérébrales primaires ou métastatiques. Cependant, il faut lever cette "fausse exclusivité" puisque la présence de cet oedème ne se limite pas exclusivement au pourtour du tissu tumoral présent dans le cerveau. De l'oedème péri-tumoral, avec une intensité variable, se forme en fait au pourtour de tout tissu tumoral, où qu'il se trouve dans l'organisme.

C'est donc l'oedème péri-tumoral au début qui comprime les fibres nerveuses touchées. A cet effet de compression extrinsèque, s'ajoute subséquemment un oedème intraneuronal, signe ou témoin de la souffrance axonale.

Cette compréhension "élargie" d'un phénomène qui semble ne recevoir d'attention qu'au niveau du cerveau trouve une des ses applications dans le chapitre des co-analgésiques, particulièrement à la section portant sur les corticostéroïdes où ces substances seront présentées comme pouvant réduire les douleurs neurogènes dans les contextes d'agressions tumorales actives. Ce thème sera abordé dans le manuel III portant sur les co-analgésiques.

La masse tumorale, si elle a continué de croître, ne fera compression que beaucoup plus tard sur les structures nerveuses d'abord touchées par l'oedème péritumoral alors qu'elle finira par occuper le volume qui, quelques semaines ou quelques mois plus tôt, était occupé par l'oedème péri-tumoral. L'effet analgésique des corticostéroïdes sera alors perdu!

Durant l'évolution du cancer, il importe également de souligner que la croissance anarchique des cellules dans la masse tumorale pourra entrainer des manifestations variées:

  • en certaines régions, se fera une compression directement par l'oedème,
  • dans d'autre zones, c'est la masse tumorale elle-même qui comprimera directement,
  • ailleurs, les cellules tumorales, qui se multiplient de façon "complètement folle", infiltreront les membranes (épinèvre) d'un ou de plusieurs nerfs, par la suite les membranes des fascicules (périnèvre) et pénétreront ainsi jusqu'aux axones,
  • dans d'autres zones finalement, le processus d'infiltration aura déjà entraîné le sectionnement d'un certain nombre d'axones et si le processus a pu prendre de l'ampleur, c'est le sectionnement du nerf, de la branche d'un plexus ou d'une racine dans son entier qui en résultera alors.

C'est à partir du sectionnement d'un certain nombre d'axones dans un nerf, une branche de plexus ou une racine que la désafférentation prend place avec son fardeau de conséquences cliniques. Cette désafférentation peut être:

  • incomplète, lorsqu'un certain nombre d'axones seulement ont été sectionnés alors que le nerf, la branche du plexus ou la racine demeurent
    ou
  • complète lorsque tous les axones composant le nerf, la branche du plexus ou la racine ont été sectionnés (Voir: LA DOULEUR NEUROGENE PAROXYSTIQUE OU "EN SALVES" OU DE DESAFFERENTATION et LE PHENOMENE DE DESAFFERENTATION).

Ces différents phénomènes peuvent se produire autant au niveau d'un nerf, d'un plexus que d'une racine.

Il faut conserver cette vision microscopique de l'envahissement tumoral pour bien comprendre pourquoi plusieurs types de douleurs peuvent se développer dans une même région du corps tout comme pourquoi une douleur peut être ressentie dans une région où la sensibilité tactile est disparue. Cette description "microscopique" de l'invasion tumorale touche l'ensemble des fibres composant un nerf puisque chaque fibre (A, B et C) transportent des informations spécifiques et fort différentes. Ainsi une douleur ressentie dans une région où la sensibilité tactile est disparue s'explique par le simple fait que les neurones nociceptifs ont gardé une activité électrique "erratique" bien sûr alors que la conduction pour la sensibilité tactile a été détruite.

140 - Les lésions nerveuses: les différentes anomalies pathophysiologiques à court terme

Tel qu'expliqué précédemment, la douleur neurogène est attribuable à différents types d'agressions subies par les fibres nociceptives des voies somatiques ou viscérales.

Ces agressions peuvent être de divers types:

  • chimiques,
  • biochimiques,
  • mécaniques.

Diverses anomalies pathophysiologiques découlant des agressions causées par le tissu néoplasique ou par les traitements "antinéoplasiques" appliqués peuvent être observées sur l'étendue du réseau nociceptif, autant à court qu'à moyen et à long terme.

A court terme:

  • en réponse aux dommages de plus en plus sévères exercés sur les membranes axonales, la première réaction d'un neurone est de tenter de régénérer son intégrité structurelle et fonctionnelle. Lorsqu'un dommage est produit, la tentative de régénérescence "axonale" est très rapide. En l'espace d'une heure, le corps cellulaire fournit tous les nutriments pour qu'une membrane neuronale nouvelle vienne "fermer" complètement la brèche pratiquée sur par le processus "agresseur" sur la membrane neuronale originale. Ce rapide mécanisme de réparation vise ainsi à rétablir la continuité membranaire nécessaire à l'intégrité neuronale. Les événements agresseurs avaient déjà induit une assez forte instabilité dans les membranes neuronales des fibres nociceptives lésées. Le processus de réparation amène à son tour des zones d'instabilité électrique puisque les membranes "nouvelles" connaissent beaucoup de zones focales de dépolarisation apparaissant comme spontanément. Ces zones qui sont en fait des mélanges d'agression et de regénération dans des environnement restreints deviennent de plus en plus instables sur le plan électrique, ce qui finit par provoquer des trains d'influx nociceptifs "ectopiques". (Voir: LE PHENOMENE DE DEPOLARISATION "MEMBRANAIRE" ET LE SEUIL D'ACTIVATION)
     
  • en même temps et dans les heures qui suivent, apparaissent à la surface des membranes neuronales nouvelles et "toutes jeunes", des bourgeons de régénérescence qui sont en fait des excroissances qui s'étendent vers les régions distales dans le but que le neurone "lésé" puisse rétablir contact avec la portion de neurone distal dont il a été "séparé" en raison des brèches ou du sectionnement provoqués. Ce faisant, le neurone tente de rétablir la communication avec la structure qu'il avait comme fonction d'innerver. Ces bourgeons de régénérescence, qui sont en fait des repousses axonales, se permettent parfois de longs trajets à travers les nerfs dans le but de retrouver contact avec leur zone d'innervation d'origine.
     
    On retrouve ainsi des tentatives de régénérescence ou de repousses axonales sous deux types:
    • de courts bourgeons de régénérescence
      et
    • de longs bourgeons ou prolongements parfois même très longs.

Lorsque le sectionnement s'est produit "en périphérie" chez des fibres préalablement myélinisées (A delta, A bêta et A alpha), un certain nombre de ces neurones recherchent à nouveau l'abri des cellules de Schwann, productrices de myéline, afin d'acquérir l'isolement dont ils bénéficiaient auparavant. Lorsque le phénomène se produit "au niveau central", certains de ceux-ci recherchent l'abri de myéline produit par les oligodendrocytes, équivalent central des cellules de Schwann en périphérie.

Ces bourgeons, i.e. leur membrane pour être plus précis, présentent par ailleurs une sensibilité accrue à différents types de stimulation mécanique et chimique, il devient donc plus facile de faire naître des influx douloureux puisqu'ils sont plus facilement irrités à des intensité de stimulation qui normalement seraient sans effet et qu'ils sont irrités par plusieurs variétés de mécanismes.

141 - Les lésions nerveuses: les différentes anomalies pathophysiologiques à moyen et long terme

A moyen et à long terme, des anomalies un peu plus tardives dites d'adaptation ou de plasticité deviennent observables à différents niveaux.

  • Dans la région du corps cellulaire du neurone périphérique i.e. dans la région du ganglion rachidien
    • en réponse à l'hyperactivité métabolique découlant des différents processus menant aux réparations membranaires et aux tentatives de branchement des portions liées au corps cellulaire avec leur portion plus distale du même neurone, la membrane neuronale du corps cellulaire se modifie à son tour. Elle commence à développer des repousses membranaires à l'allure des bourgeons de régénérescence. Ceci se produit dans la région du renflement radiculaire (ganglion radiculaire ou rachidien) où se trouve le noyau du neurone. Les membranes nouvelles et "toutes jeunes" qui apparaissent à ce niveau présentent elles-aussi une forte instabilité électrique et une sensibilité accrue à différents types de stimulation mécanique et chimique. Il devient donc chaque fois plus risqué de voir naître des influx douloureux.
       
  • Dans la portion synaptique de la corne postérieure,
    • les terminaisons présynaptiques des neurones nociceptifs périphériques s'arborisent en de multiples nouvelles projections qui vont envahir de nouveaux territoires de la corne postérieure i.e. des nouvelles couches (laminae) et ainsi créer de "nouvelles connexions" synaptiques qui vont devenir en fait de "mauvaises connexions" puisque ces connexions se feront de façon inappropriée dans des couches et avec des cellules non désirées.

      On assiste alors à l'émergence d'un élargissement des champs récepteurs (Voir: LE TERMINUS PERIPHERIQUE ET LE PREMIER RELAIS CENTRAL: LA CORNE POSTERIEURE ET SA CONSTITUTION EN COUCHES) tout aussi erratique que les nouvelles connexions peuvent l'être. Ainsi, des neurones centraux déjà impliqués dans les échanges nociceptifs (neurones spinothalamiques et autres) voient s'ajouter de nouvelles surfaces synaptiques à celles qu'ils possèdaient déjà et qui avaient été voulues par l'architecture physiologique normale. Mais il y a plus, des neurones centraux qui ne participaient pas aux échanges nocicepitfs avec les fibres lésées reçoivnet à leur tour un lot de "nouvelles connexions" synaptiques "indésirables". Ces nouvelles connexions indésirables se font dans les étages médullaires segmentaires déjà impliqués mais ils s'avancent aussi dans de nouveaux étages médullaires, augmentant de ce fait l'étalement multi-étagé déjà présent de par la physiologie normale. A partir de ces événements, des étages relativement plus éloignés reçoivent des influx nociceptifs dépassant largement leur champ dermatomique usuel. Les surfaces douloureuses s'élargissent en même temps.

    • Par ailleurs, les agressions sur le circuit nerveux ne se limitant pas aux fibres C et A delta, les fibres A bêta incluses dans les zones lésées connaissent le même sort. Ainsi, certaines projections provenant d'influx sensitifs non-nociceptifs et qui participaient à la modulation des échanges nociceptifs soit directement sur les cellules centrales, soit indirectement par le biais des interneurones s'arborisent dans leur portion présynaptique. Ce faisant, elles prennent souvent en même temps une tonalité "nociceptive". (Voir: LA DOULEUR NOCICEPTIVE: LES SUBSTANCES INFLAMMATOIRES, LA SENSIBILISATION / EPARPILLEMENT MULTI-ETAGE, MULTI-CONVERGENCE, DOULEUR IRRADIEE ET DOULEUR REFEREE / LE SYSTEME DE TRANSPORT DES INFLUX NOCICEPTIFS PERIPHERIQUES: L'EPARPILLEMENT MULTI-ETAGE / L'EPARPILLEMENT MULTI-ETAGE: LA DIFFERENCE ENTRE LES AFFERENCES SOMATIQUES ET VISCERALES)

      L'élargissement des champs récepteurs et l'arrivée de nouvelles stimulations synaptiques "inappropriées" autant nociceptives que non-nociceptives produisent un débalancement dans l'équilibre habituel des différents "inputs" sensitifs arrivant au niveau de la moelle par les racines postérieures (Voir: LA CORNE POSTERIEURE: UNE "COUR DE TRIAGE" COMPLEXE).

      en même temps, les influx qui arrivaient en provenance des fibres non-nociceptives et qui s'interconnectaient avec des interneurones pour apporter la contribution segmentaire des influx "inhibiteurs" au "portillon" segmentaire disparaissent en bonne partie puisque les fibres les transportant ont aussi connu des agressions. Il se fait donc beaucoup moins d'inhibition et parfois il ne se fait plus d'inhibition par le réseau des interneurones "enképhaline, dynorphine et GABA" impliqués dans le portillon segmentaire. Il en résulte donc un effet net d'accroissement du transfert des influx nociceptifs qui ne subissent plus l'effet modulateur du "portillon". Pire encore, certaines fibres A bêta ont même pris une tonalité "nociceptive", on parle alors de "conversion phénotypique". (Voir: LA DOULEUR NOCICEPTIVE: LES SUBSTANCES INFLAMMATOIRES, LA SENSIBILISATION)
       

  • en même temps, les influx qui arrivaient en provenance des fibres non-nociceptives et qui s'interconnectaient avec des interneurones pour apporter la contribution segmentaire des influx "inhibiteurs" au "portillon" segmentaire disparaissent en bonne partie puisque les fibres les transportant ont aussi connu des agressions. Il se fait donc beaucoup moins d'inhibition et parfois il ne se fait plus d'inhibition par le réseau des interneurones "enképhaline, dynorphine et GABA" impliqués dans le portillon segmentaire. Il en résulte donc un effet net d'accroissement du transfert des influx nociceptifs qui ne subissent plus l'effet modulateur du "portillon". Pire encore, certaines fibres A bêta ont même pris une tonalité "nociceptive", on parle alors de "conversion phénotypique". (Voir: LA DOULEUR NOCICEPTIVE: LES SUBSTANCES INFLAMMATOIRES, LA SENSIBILISATION)
     
  • On voit alors apparaître
    • une allodynie, i.e. des influx douloureux déclenchés par des stimuli qui ne sont habituellement pas nociceptifs, à titre d'exemple, effleurer de la main une surface cutanée,
       
    • une hyperesthésie, i.e. des influx douloureux ressentis comme disproportionnés par rapport à la faible intensité des stimuli nociceptifs de déclenchement. A titre d'exemple, une piqûre superficielle légère sur une surface cutanée déclenchant de sévère douleur sur une large surface.
  • certaines terminaisons synaptiques des axones périphériques lésés cessent de libérer leur neurotransmetteur normal
    • (substance P,
    • calcitonine gene related peptide (CGRP),
    • somatostatine,
    • polypeptide intestinal vaso-actif (vasoactive intestinal peptide (VIP))
    parce que l'agression est telle que le métabolisme au niveau du corps cellulaire est totalement perturbé. Après quelques jours, des neurotransmetteurs normaux mais en concentration nettement exagérée ou des neurotransmetteurs inhabituels apparaissent au niveau des terminaisons pré-synaptiques, notamment
    • glutamate
    • neuropeptide Y
    • galanine
    • vasoactive intestinal peptide (VIP).

Les neurones nociceptifs centraux connaissent alors une activité métabolique intensément productive en raison de l'hyperstimulation en provenance de la périphérie avec comme conséquence l'accentuation du nombre d'influx nociceptifs arrivant aux étages supérieures (tronc cérébral, circuits sous-corticaux et corticaux).

    • le glutamate est alors appelé à jouer un rôle prépondérant dans l'amplification des douleurs découlant de ces différentes adaptations. Certains récepteurs "biochimiques" présents au niveau des membranes post-synaptiques des dendrites centraux et qui semblaient "dormants" deviennent en pleine activité, c'est le cas des récepteurs N-méthyl-D-aspartate (NMDA). Cet "éveil" aura des conséquences délétères majeures comme il a déjà été expliqué plus avant (Voir: LES RECEPTEURS NMDA ET ... LES RECEPTEURS NON-NMDA: LEURS ROLES EN SITUATION D'HYPERACTIVITE PERIPHERIQUE).

L'hyperstimulation en provenance de la périphérie devient tellement intense qu'une certaine activité "spontanée" apparaît au niveau des neurones centraux nociceptifs. Cette hyperstimulation fait partie intégrante et conduit en même temps au phénomène de "wind-up" par lequel les neurones nociceptifs centraux deviennent de plus "irritables" au point de présenter une activité presque "spontanée" lorsqu'ils sont soumis à des stimulations répétées intenses. Après quelques heures à quelques jours de stimulations incessantes, en provenance des zones neuronales lésées, on assiste à une rapide élévation de l'intensité des douleurs puisque les stimuli douloureux ne sont même plus nécessaires au déclenchement de douleurs vives, les neurones centraux étant devenus en quelque sorte de quasi "pacemakers nociceptifs". En laboratoire, le phénomène de "wind-up" se produit à la suite de stimulations douloureuses répétées dans un même site dépassant une fréquence de 2 à 3 stimuli par secondes pendant quelques heures.

    • l'activité d'interneurones inhibiteurs utilisant la dynorphine augmente à son tour de façon très considérable.
    • bon nombre de terminaisons synaptiques ainsi impliquées connaissent une réduction de leur dimension en raison d'un "épuisement fonctionnel" qui va mener à plus long terme à une mort cellulaire d'un certain nombre de celles-ci.
  • Dans la portion segmentaire du réseau sympathique, correspondant aux étages où des neurones subissent l'agression tumorale, l'activité sympathique s'accentue considérablement avec les conséquences dont il a été fait mention précédemment. (Voir: LE SYSTEME "SYMPATHIQUE" ... QU'IL NE FALLAIT PAS OUBLIER! / LES DOULEURS COMPLIQUEES D'UNE PARTICIPATION "SOUTENUE" DU SYSTEME NERVEUX AUTONOME SYMPATHIQUE / HYPEREXCITATION ET HYPEREXCITABILITE DES RECEPTEURS NMDA: LES PROVENANCES POSSIBLES DANS UN CONTEXTE DE SOINS PALLIATIFS ONCOLOGIQUES / HYPEREXCITATION ET HYPEREXCITABILITE DES RECEPTEURS NMDA: LES PROVENANCES POSSIBLES DANS UN CONTEXTE DE SOINS PALLIATIFS ONCOLOGIQUES)

L'augmentation des influx nociceptifs ectopiques en provenance des fibres nociceptives périphériques entraînent donc un état d'hyperexcitabilité marquée dans les neurones centraux de la corne postérieure, mais il y a plus. Les fibres C provoquent une hyperexcitabilité plus profonde que les fibres A delta; par ailleurs, les influx ectopiques des fibres C en provenance des structures musculo-squelettiques entraînent une hyperexcitabilité plus grande et plus prolongée que ceux provenant des structures cutanées. Il n'est peut-être plus nécessaire de s'étonner que les douleurs s'accompagnant d'une hyperactivité sympathique proviennent le plus souvent de lésions du système musculo-squelettique.

La simple présence de cellules tumorales dans le voisinage du tissu nerveux est finalement très loin d'être banale. Cette présence amène plutôt une kyrielle de conséquences toutes plus importantes les unes que les autres. Le simple inconfort évolue souvent rapidement vers des douleurs neurogènes fort dérangeantes qui posent défi à la gestion analgésique.

142 - Les lésions nerveuses: leur processus de réparation

La présence d'une agression "neuronale" causée par un prolifération néoplasique ou par un des multiples traitements antinéoplasiques entraîne à son tour une autre conséquence. En même temps que le processus de régénérescence et de tentative de réparation visant à reprendre contact avec la zone d'innervation d'origine se déroule, il se produit une importante réaction inflammatoire.

Ce processus inflammatoire de réparation amène assez rapidement la production de tissu fibreux qui se dépose, en amas plus ou moins importants, à l'intérieur et au pourtour des nerfs touchés, selon l'intensité de la réaction.

Lorsque le processus fibreux est relativement intense, les repousses axonales se trouvent freinées et s'enchevêtrent dans un amas cicatriciel. Il arrive que cet enchevêtrement prenne des proportions macroscopiques au point où un nodule peut devenir palpable, on réfère alors à cette structure comme étant un névrome.

Ce processus dynamique de réparation dans les fibres nociceptives lésées aura des conséquences majeures, comme nous le verrons bientôt.

On pourrait imaginer qu'il existe un lien entre l'intensité de l'agression, ses conséquences sur le processus de réparation et l'apparition de douleur neurogène. Ainsi, plus l'agression serait sévère, plus les conséquences seraient variées, diverses et intenses et plus la probabilité d'apparition de douleur neurogène de divers types serait élevée. C'est souvent le cas mais il arrive aussi parfois que des conséquences tout à fait démesurées apparaissent en terme de processus d'adaptations, conséquences aux répercussions tant physio-pathologiques que cliniques provoquant de sévères douleurs qui se chronicisent pour des lésions d'apparence banales. Comme message d'ordre général il faudrait peut-être insister sur le fait qu'aucune douleur ne devrait être négligée, ce qui devrait avoir comme effet de réduire le nombre de douleurs qui se chronicise. Pour ce faire, il faudrait que chaque type de douleur soit d'abord reconnu comme tel, chaque type posant en même temps un défi thérapeutique particulier, comme nous le verrons plus en détail dans les manuels III, IV et V de cette série.

143 - La douleur neurogène: quatre groupes pathophysiologiques / cliniques

La classification simplifiée dite "hybride" des douleurs physiques, proposée antérieurement dans ce manuel repose sur des bases anatomo-patho-physiologiques et cliniques. Chaque portion de cette classification peut être reliée d'une façon logique à certains processus pathophysiologiques discutés jusqu'à maintenant.

Cependant, il ne faut jamais interpréter chaque sous-type de douleur comme étant totalement isolé des autres événements pathophysiologiques prenant place en même temps. Bien au contraire, chaque type de douleur neurogène partage probablement plusieurs des mécanismes pathophysiLa classification simplifiée dite "hybride" des douleurs physiques, proposée antérieurement dans ce manuel, repose sur des bases anatomo-patho-physiologiques et cliniques. Chaque portion de cette classification peut être reliée d'une façon logique à certains processus pathophysiologiques discutés jusqu'à maintenant.

Les explications qui suivent représentent donc chaque fois une simplification exagérée d'un processus complexe. Elles sont cependant proposées afin d'aider à la compréhension des mécanismes complexes engendrant des douleurs.

La douleur neurogène se divise en trois types cliniques courants:

  • la douleur simple, par exemple, la douleur attribuable à une compression radiculaire par hernie discale
  • la douleur "accompagnée" de paresthésies ou de dysesthésies, par exemple, les douleurs post-herpétiques ou post-zona
  • la douleur paroxystique ou "en salves" également appelées de façon erronée "douleur de désafférentation", par exemple, le tic douloureux ou névralgie du trijumeau.

Il existe un quatrième type, plus rare,

  • la douleur complexe autrefois appelée dystrophie sympathique réflexe / causalgie et maintenant définie comme syndrome douloureux régional complexe (Complex Regional Pain Syndrome)

     

    • avec participation et rehaussement du système nerveux autonome sympathique, c'est la douleur avec participation sympathique / "Sympathetically Maintained Pain" avec comme exemple type la douleur accompagnant l'atrophie de Sudeck
      ou
    • sans participation du système nerveux autonome sympathique, c'est la douleur sans participation sympathique / "Sympathetically Independant Pain".

144 - La douleur neurogène: manifestations cliniques "classiques"

La douleur neurogène accompagnée (paresthésie / dysesthésie) est habituellement une douleur intense, sévère. Elle est généralement constante mais peut varier en intensité pendant la journée. Il n'y a habituellement pas de période de répit complet de douleur dans la journée, l'intermittence est plutôt rare. Un fond de douleur est toujours présent, chaque minute, chaque heure de chaque jour.

Cette douleur peut être perçue comme une sensation normale ou anormale. Elle est souvent décrite dans les textes comme "à fleur de peau" mais cette douleur peut tout aussi bien être ressentie en profondeur, l'impression rapportée alors étant celle de douleurs ressenties profondément dans les muscles ou dans les os.

Lorsque les sensations normales ou anormales sont dans un créneau d'intensité acceptable, on les dit "paresthésiques"; lorsqu'elles deviennent tellement intenses qu'elles en sont désagréables, on les dit "dysesthésiques". (Voir: UN LEXIQUE "DOULOUREUX")

La douleur neurogène accompagnée

  • correspond classiquement à une sensation de brûlure. La sensation de brûlure peut aussi être perçue selon différents modes: ainsi, une impression d'eau bouillante qui s'écoulerait sur une région donnée, ainsi, une impression de brûlure cuisante comme celle d'avoir la main dans le feu ou d'être "marqué au fer rouge".

La douleur neurogène accompagnée

  • peut également être perçue comme un prurit très intense, un picotement, un engourdissement intense sans répit. De nombreuses autres manifestations sensorielles sont souvent rapportées telles des élancements, la pointe d'un couteau qui tournerait dans une plaie vive, une sensation de crampe prolongée, des déchirements, des tiraillements, un écrasement, une torsion, un pincement, de la pression, quelque chose qui serre ou quelque chose qui pousse. Cette nomenclature élaborée est celle qu'il m'a été donné le plus souvent de rencontrer au fil des années. Le questionnaire d'évaluation des douleurs de Melzack fournit une liste beaucoup plus exhaustive de termes pouvant être rapporté pour décrire des douleurs.

Ces multiples caractères constituent une des principales différences avec la douleur neurogène simple qui elle, est perçue, comme une douleur purement "douleur".

Il est probablement arrivé à chacun de nous, au moins une fois dans sa vie, de heurter son coude pour soudainement ressentir un intense engourdissement voire une brûlure au petit doigt. Cet exemple peut servir à illustrer ce qu'est la douleur accompagnée (paresthésie / dysesthésie). On se devrait cependant d'en souligner deux différences majeures:

  • d'abord d'en amplifier considérablement l'intensité par rapport à ce qui est ressenti comme intensité au moment du "choc" sur le coude,
    ensuite
  • de faire durer cette sensation déplaisante non pas quelques minutes tout au plus mais de la faire durer en permanence, 24 heures sur 24, jour après jour, semaine après semaine.

Voilà ce qu'est une douleur accompagnée (paresthésie / dysesthésie). Rien de moins.

145 - La douleur neurogène simple

La douleur neurogène simple peut être due à:

  • la compression du tissu nerveux par une masse tumorale. Cette compression, s'exprimant d'abord par un phénomène d'irritation neuronale causant une certaine instabilité électrique, n'est cependant pas suffisante pour conduire à la destruction axonale.
     
  • des changements morphologiques variables au niveau des fibres nociceptives. Ces changements ne sont cependant pas reliés à la compression mais ils sont plutôt attribuables à d'autres facteurs diversifiés (diabète, chimiothérapie, chirurgie, radiothérapie, post-infection, etc.).

La compression ou les changements morphologiques exercés par ces agressions sont suffisants, cependant, pour générer une série d'influx nociceptifs qui respectent l'apparence normale des trains d'influx nociceptifs "normaux" dans les fibres touchées. Si on plaçait des électrodes quelque part sur les fibres lésées, autant dans leur portion périphérique que centrale, en autant que ces électrodes soient situées en aval des zones d'agressions, on constaterait que l'architecture des influx nociceptifs est d'apparence normale.

146 - La douleur neurogène simple: manifestations cliniques

Il est important de souligner que la sensation ressentie dans le cas de douleur neurogène simple en est une de

  • douleur purement "DOULEUR"

sans aucun autre caractère ou particularité accompagnant cette douleur. Il n'y a donc pas de sensation de brûlure, prurit, engourdissement, picotement qui accompagnent certains sous-types de douleur neurogène.

C'est l'ensemble douleur-"DOULEUR" qui constitue donc le descriptif-clé dans le cas présent. Cette douleur-"DOULEUR" est comparable en tout point à la douleur nociceptive somatique mais elle n'origine pas de la stimulation de nocicepteurs. Il ne se trouve pas de zones périphériques porteuses d'activités inflammatoires dans la périphérie de nocicepteurs d'où pourraient provenir ces douleurs.

L'intensité de la douleur neurogène simple peut varier de légère à sévère.

Cette douleur peut être intermittente ou constante. Qu'elle soit intermittente ou constante, elle présente le plus souvent des fluctuations de l'intensité à différents moments de la journée.

147 - La douleur neurogène simple: représentation schématique

Cette illustration suggère une représentation schématique du caractère de constance ou d'intermittence de même que des fluctuations dans l'intensité à différents moments de la journée que la douleur neurogène simple peut présenter.

148 - La douleur neurogène accompagnée (paresthésie / dysesthésie)

La douleur neurogène accompagnée (paresthésie / dysesthésie) peut être due à:

  • une compression nerveuse relativement importante et suffisante pour causer une instabilité électrique se manifestant par une symptomatologie différente de la douleur "douleur",
     
  • une infiltration du tissu nerveux par des cellules néoplasiques alors responsables de changements morphologiques et électriques,
     
  • des changements morphologiques variables au niveau des fibres nociceptives, changements cependant non reliés à la compression ou à l'infiltration mais attribuables à divers autres facteurs (diabète, chimiothérapie, chirurgie, radiothérapie, séquelles post-infection).
     

Bien que ces conditions soient susceptibles d'entraîner des lésions au niveau des fibres nerveuses, elles n'occasionnent pas de destruction massive des axones. Les lésions sont suffisantes, cependant, pour entrainer une telle instabilité électrique au niveau des membranes lésées que des influx nociceptifs la plupart du temps en continue (des trains d'influx continus) sont alors observés. Ces influx dépassent par ailleurs largement par leur apparence aux lectures électrophysiologiques le tableau que l'on observe lors d'une conduction normale.

149 - La douleur neurogène accompagnée (paresthésie / dysesthésie): manifestations cliniques

La douleur neurogène accompagnée (paresthésie / dysesthésie) est habituellement une douleur intense, sévère. Elle est généralement constante mais peut varier en intensité pendant la journée. Il n'y a habituellement pas de période de répit complet de douleur dans la journée, l'intermittence est plutôt rare. Un fond de douleur est toujours présent, chaque minute, chaque heure de chaque jour.

Cette douleur peut être perçue comme une sensation normale ou anormale. Elle est souvent décrite dans les textes comme "à fleur de peau" mais cette douleur peut tout aussi bien être ressentie en profondeur, l'impression rapportée alors étant celle de douleurs ressenties profondément dans les muscles ou dans les os.

Lorsque les sensations normales ou anormales sont dans un créneau d'intensité acceptable, on les dit "paresthésiques"; lorsqu'elles deviennent tellement intenses qu'elles en sont désagréables, on les dit "dysesthésiques". (Voir: UN LEXIQUE "DOULOUREUX")

La douleur neurogène accompagnée

  • correspond classiquement à une sensation de brûlure. La sensation de brûlure peut aussi être perçue selon différents modes: ainsi, une impression d'eau bouillante qui s'écoulerait sur une région donnée, ainsi, une impression de brûlure cuisante comme celle d'avoir la main dans le feu ou d'être "marqué au fer rouge".

La douleur neurogène accompagnée

  • peut également être perçue comme un prurit très intense, un picotement, un engourdissement intense sans répit. De nombreuses autres manifestations sensorielles sont souvent rapportées telles des élancements, la pointe d'un couteau qui tournerait dans une plaie vive, une sensation de crampe prolongée, des déchirements, des tiraillements, un écrasement, une torsion, un pincement, de la pression, quelque chose qui serre ou quelque chose qui pousse. Cette nomenclature élaborée est celle qu'il m'a été donné le plus souvent de rencontrer au fil des années. Le questionnaire d'évaluation des douleurs de Melzack fournit une liste beaucoup plus exhaustive de termes pouvant être rapporté pour décrire des douleurs.

Ces multiples caractères constituent une des principales différences avec la douleur neurogène simple qui elle, est perçue, comme une douleur purement "douleur".

Il est probablement arrivé à chacun de nous, au moins une fois dans sa vie, de heurter son coude pour soudainement ressentir un intense engourdissement voire une brûlure au petit doigt. Cet exemple peut servir à illustrer ce qu'est la douleur accompagnée (paresthésie / dysesthésie). On se devrait cependant d'en souligner deux différences majeures:

  • d'abord d'en amplifier considérablement l'intensité par rapport à ce qui est ressenti comme intensité au moment du "choc" sur le coude,
    ensuite
  • de faire durer cette sensation déplaisante non pas quelques minutes tout au plus mais de la faire durer en permanence, 24 heures sur 24, jour après jour, semaine après semaine.

Voilà ce qu'est une douleur accompagnée (paresthésie / dysesthésie). Rien de moins.

150 - La douleur neurogène accompagnée (paresthésie / dysesthésie): représentation schématique

Cette illustration suggère une représentation schématique du caractère généralement constant de la douleur neurogène accompagnée (paresthésie / dysesthésie) bien que des fluctuations dans l'intensité à différents moments de la journée puissent se présenter. Il n'y a habituellement pas de période de répit complet de ce type de douleur dans la journée. Cela étant dit, cette douleur peut aussi se présenter à l'occasion par intermittence bien que ce mode de présentation soit plutôt rare dans les faits.