Ces personnes qui ont mal - Chapitres 151 à 203

Notes personnelles dans une perspective de soins palliatifs "oncologiques" Par : Brizard, André, MD

 

151 - La douleur neurogène paroxystique ou "en salves"

La douleur neurogène paroxystique ou "en salves" souvent comprise dans un sens large et erroné comme étant l'équivalent d'une douleur "par désafférentation" peut être due à:

  • une compression nerveuse sévère, responsable d'une instabilité électrique se manifestant par des épisodes soudains et intenses de douleurs,
     
  • une infiltration du tissu nerveux par des cellules néoplasiques dont la progression et la sévérité auront causé d'intenses dommages aux structures neuronales à commencer par les membranes et les microtubules responsables du transport des nutriments intracellulaires. Certains neurones pourront ainsi avoir subi un sectionnement (ils auront été déafférentés) alors que de nombreux autres neurones, malgré l'intensité de l'agression, auront réussi "à survivre" mais au prix de transformations profondes dans leur structure et dans leur stabilité électrique,
     
  • des changements morphologiques variables au niveau des fibres nociceptives, changements cependant non reliés à la compression ou à l'infiltration tumorale mais attribuables à divers autres facteurs (diabète, chimiothérapie, chirurgie, radiothérapie, séquelles post-infection, séquelles post-traumatisme etc.).

152 - Le phénomène de désafférentation

A la différence du contexte des douleurs accompagnées, ces conditions sont, dans l'ensemble, susceptibles d'occasionner une destruction plus massive des neurones nociceptifs (... et aussi des autres neurones tant sensoriels que moteurs). Toujours à la différence des douleurs accompagnées, ces lésions n'entrainent pas d'instabilité électrique en continue au niveau des membranes lésées, l'instabilité électrique se manifeste plutôt en paroxysmes ou en salves.

Le phénomène de désafférentation se produit lorsque l'agression neuronale a été suffisante pour provoquer l'équivalent d'un sectionnement d'un neurone afférent (nociceptif ou de tout autre neurone sensitif) créant de ce fait une dénervation neuronale c'est-à-dire une perte de communication entre la partie distale i.e. celle rattachée aux différents nocicepteurs et la partie proximale qui elle est rattachée à la portion synaptique et qui permet d'assurer la communication avec les neurones nociceptifs centraux. Cette dernière portion (la partie proximale) contient le corps cellulaire ainsi que le noyau logés au niveau du renflement radiculaire appelé "ganglion radiculaire". La désafférentation est un état de fait, elle est la résultante de processus agresseurs sur les neurones.

La désafférentation peut être due à:

  • une compression nerveuse sévère qui a entraîné de la nécrose neuronale
  • une infiltration du tissu nerveux par des cellules néoplasiques dont la progression aura causé le sectionnement de nombreux axones,
  • des changements morphologiques variables attribuables à divers facteurs (diabète, chimiothérapie, chirurgie, radiothérapie, post-infection, traumatisme etc.) dont l'importance aura été telle qu'ils auront entraîné à leur tour de la nécrose neuronale et un sectionnement.

Dans la compréhension conceptuelle du phénomène de désafférentation, il importe de différencier désafférentation au niveau neuronal et désafférentation au niveau d'un nerf, d'un plexus ou d'une racine.

Ainsi, lorsque considérée à l'échelle du neurone,

  • la désafférentation ne peut être qu'entière, le neurone étant sectionné ou non i.e. ayant totalement perdu la communication avec la portion distale.

Cependant, considérée à l'échelle d'un nerf, d'un plexus ou d'une racine,

  • le phénomène de désafférentation peut alors être partiel ou complet, selon le pourcentage d'axones sectionnées dans la structure concernée (Voir: DOULEUR NEUROGENE ET MASSE TUMORALE: LA SEQUENCE COMPRESSION - INFILTRATION - SECTIONNEMENT). La destruction partielle d'un nerf, plexus ou d'une racine mène à de la désafférentation "partielle" alors que la destruction complète, i.e. celle résultant du sectionnement de tous les neurones "nociceptifs" composant un nerf, un plexus ou une racine réfère à une désafférentation "complète"; dans ce cas, les autres axones sont habituellement sectionnés eux aussi. Ainsi, une amputation d'un membre mène à un sectionnement complet c'est-à-dire à une désafférentation complète pour les neurones sensitifs alors que l'envahissement d'un plexus par une masse tumorale mène d'abord à une désafférentation partielle qui peut ultimement évoluer vers une désafférentation complète.

Comme expliqué précédemment, ces agressions focalisées ou disséminées entraînent une importante réaction inflammatoire. Cette importante réaction inflammatoire accompagnera le processus de réparation neuronale dans toutes ses étapes. Il y aura donc toujours production et accumulation progressive de tissu fibreux cicatriciel dans le pourtour des zones de réparation et de regénération. Les zones ainsi touchées sont plus particulièrement les zones où se sont déroulées:

  • des fermetures des brèches

    et

    • des tentatives de régénération membranaire axonale ou dendritique. Dans ces régions apparaissent des repousses appelées projections ou ramifications ou excroissances ou repousses ou bourgeons de regénération dont le nombre variera selon les circonstances.

Le processus de régénération axonale menant à la production de projections multifocales vise au moins deux grands objectifs:

  • redonner une intégrité neuronale à chaque neurone lésé en réparant et en fermant les brèches,
     
  • rétablir la connexion, grâce aux projections ou aux repousses, avec les portions les plus distales des axones lésés afin de reprendre la communication avec la zone d'innervation périphérique "perdue", aussi distante soit elle. Cette zone périphérique "perdue" consiste en fait des champs récepteurs appartenant aux nocicepteurs qui ont été désafférentés. Ces processus de regénération donnent parfois, dans leur cheminement à travers le réseau nerveux lésé (nerf, plexus ou racine), de très longs prolongements "relativement ramifiés" et "passablement erratiques".

Sur le plan physiopathologique, les portions "réparées" des neurones (brèches réparées ou repousses nouvelles) sont des portions qui connaissent la plupart du temps beaucoup d'instabilité sur le plan électrique. Des influx nociceptifs de types autant continus que paroxystiques sont alors susceptibles de prendre naissance dans ces régions, influx qui deviendront des douleurs neurogènes dans la définition la plus pure de ce type de douleur. Par ailleurs, ces portions "réparées" finissent par baigner dans des amas de fibrose à travers lesquels la médication ne pénètre que très difficilement, les zones de fibrose étant en elles-même très peu perméables à tout type de substance. Certaines de ces régions conserveront cette "hyperexcitabilité électrique" en permanence lorsque tous les processus inflammatoires auront été terminés et qu'il ne restera que des "amas neuronaux désorganisés" intégrés dans des "paquets de fibrose" cicatricielle rigide. La gestion pharmacologique des douleurs neurogènes originant de ces conditions sera donc bien souvent malheureusement limitée.

C'est dans de tels contextes qu'on associe souvent "douleurs paroxystiques", "phénomène de désafférentation" et même "douleurs de désafférentation". Cependant, dans les faits, douleurs paroxystiques et phénomène de désafférentation ne sont pas synonymes, la désafférentation étant par définition un phénomène anatomique alors que les douleurs paroxystiques sont des phénomènes électrophysiologiques qui ont plus souvent tendance à se produire en présence de désafférentation.

153 - Lésions nerveuses: processus de régénération neuronale et concept de plasticité neuronale

En rapport avec des situations d'agression sur le réseau nociceptif, il a été dit jusqu'à maintenant que ces agressions entraînaient un processus de réparation et de régénération de la membrane neuronale (brèches, repousses parfois très longues) et que ces zones de réparation possédaient une excitabilité électrique accrue qui est susceptible de mener à la création d'influx nociceptifs "ectopiques". En fait, le processus de réparation et de régénération neuronale avec l'instabilité qui s'ensuit contribue à un des volets des transformations profondes que vivent les neurones face à des agressions, transformations qui sont regroupées sous le concept de plasticité neuronale.

Ces processus s'accompagnent de deux conséquences redoutables qui font toutes les deux parties intégrantes du phénomène de plasticité neuronale:

  • l'activation des NMDA
    et
  • la participation du système nerveux autonome sympathique.

L'hyperexcitabilité électrique dans les fibres périphériques lésées a pour conséquence d'augmenter la production et la libération de neurotransmetteurs nociceptifs, ce qui est susceptible de mener à l'activation des récepteurs NMDA qui, à leur tour, amplifieront le message nociceptif (wind-up) directement au niveau de la membrane neuronale du neurone central (c'est la membrane post-synaptique de la zone d'échanges nociceptifs au niveau de la corne postérieure). A regret parfois, cette amplification s'installera en permanence pour contribuer aux douleurs chroniques (Voir: LES RECEPTEURS NMDA ET ... LES RECEPTEURS NON-NMDA: LEURS ROLES EN SITUATION NORMALE et LES RECEPTEURS NMDA ET ... LES RECEPTEURS NON-NMDA: LEURS ROLES EN SITUATION D'HYPERACTIVITE PERIPHERIQUE).

Par ailleurs, cette même hyperexcitabilité électrique dans les fibres périphériques lésées amène le système nerveux autonome sympathique (SNAS) à participer lui aussi à sa façon à amplifier le message nociceptif en agissant directement sur les nocicepteurs en périphérie. (Voir: LE SYSTEME "SYMPATHIQUE" ... QU'IL NE FALLAIT PAS OUBLIER! / LA MULTI-CONVERGENCE ET SES REPERCUSSIONS: LE DECLENCHEMENT D'UNE REPONSE SYMPATHIQUE REFLEXE HYPERACTIVE / LES DOULEURS COMPLIQUEES D'UNE PARTICIPATION "SOUTENUE" DU SYSTEME NERVEUX AUTONOME SYMPATHIQUE / LE SYSTEME "SYMPATHIQUE" ... QU'IL NE FALLAIT PAS OUBLIER!)

Ces deux participations (NMDA et SNAS) font partie des transformations dites d'adaptations neuronales mieux définies sous le vocable de plasticité neuronale. En fait, de nombreux autres changements à la fois anatomiques, physiologiques, électrophysiologiques et biochimiques sont observables lorsque les événements de plasticité neuronale surviennent. Les pages qui suivent en décrivent un certain nombre.

154 - Processus de régénération: caractéristiques et constituants de la membrane neuronale jeune

Lorsque le processus de régénération axonale multifocale se met en branle, les brèches sont refermées progressivement dans toutes les régions lésées. Au moment où surviennent ces réparations apparaissent "quelques inégalités" au niveau des surfaces membranaires reconstruites, anodines au premier regard de la dimension microscopique. On pourrait être porté à croire que le processus "de guérison" tire déjà à sa fin. Tout sur le plan anatomique paraît être en place pour mener à un processus de maturation sans qu'aucune répercussion électrophysiologique ne se produise. Et pourtant, dans un certain nombre de cas, il n'en est pas ainsi. Il en est même tout autrement.

Ces "quelques inégalités" sont en fait des "irrégularités" anatomiques véritables qui commencent à se manifester sous forme de repousses axonales. Ces repousses axonales qualifiés de "bourgeons de régénération" sont parfois observables en plusieurs endroits où la membrane neuronale a été lésée. Elles constituent le premier stade de la portion "régénération adaptative pathologique" du processus complexe de plasticité neuronale. A ce premier stade de bourgeons de regénération vont bientôt voir se succéder des repousses allongées, ramifiées et erratiques dont l'importance variera selon les circonstances. (Voir: LE PHENOMENE DE DESAFFERENTATION)

Tout ce processus de régénération axonale multifocale produit des membranes neuronales "jeunes" qui, dans le cas des fibres A delta, ne sont pas d'emblée enveloppées de la gaine de myéline qui les recouvre naturellement. Dans le cas des fibes C, cela pourrait paraître ne faire aucune différence à prime abord, pourtant le comportement de ces zones membranaires "nouvelles", autant pour les fibres A delta que C, sera altéré comme il sera présenté ultérieurement. Dans le cas des fibres A delta, celles-ci se retrouvent donc "non protégées" en comparaison avec leur situation habituelle. Il en sera ainsi pour les autres fibres A alpha et A bêta lorsqu'elles vivent des processus de régénération semblables.

Pour expliquer en partie le comportement électrique altéré de ces membranes neuronales "toutes jeunes", il importe de préciser qu'elles contiennent, dès leur reconstruction, plusieurs complexes protéiques que l'on retrouve comme faisant partie intégrante de leur constitution en situation anatomique normale. Ainsi, elles sont munies:

  • des récepteurs alpha-adrénergiques,
  • des canaux sodiques
    de même que
  • des canaux calciques.

C'est ainsi que le début des douleurs "infernales" vient parfois de commencer (le début du commencement, pourrait-on dire!) avec ce qui aurait n'être qu'un processus de guérison de dimension physiologique mais qui en fait devient rapidement un processus de guérison "pathologique".

Lorsque le processus de régénération axonale multifocale se met en branle, les brèches sont refermées progressivement dans toutes les régions lésées. Au moment où surviennent ces réparations apparaissent "quelques inégalités" au niveau des surfaces membranaires reconstruites, anodines au premier regard de la dimension microscopique. On pourrait être porté à croire que le processus "de guérison" tire déjà à sa fin. Tout sur le plan anatomique paraît être en place pour mener à un processus de maturation sans qu'aucune répercussion électrophysiologique ne se produise. Et pourtant, dans un certain nombre de cas, il n'en est pas ainsi. Il en est même tout autrement.

Ces "quelques inégalités" sont en fait des "irrégularités" anatomiques véritables qui commencent à se manifester sous forme de repousses axonales. Ces repousses axonales qualifiés de "bourgeons de régénération" sont parfois observables en plusieurs endroits où la membrane neuronale a été lésée. Elles constituent le premier stade de la portion "régénération adaptative pathologique" du processus complexe de plasticité neuronale. A ce premier stade de bourgeons de regénération vont bientôt voir se succéder des repousses allongées, ramifiées et erratiques dont l'importance variera selon les circonstances. (Voir: LE PHENOMENE DE DESAFFERENTATION)

Tout ce processus de régénération axonale multifocale produit des membranes neuronales "jeunes" qui, dans le cas des fibres A delta, ne sont pas d'emblée enveloppées de la gaine de myéline qui les recouvre naturellement. Dans le cas des fibes C, cela pourrait paraître ne faire aucune différence à prime abord, pourtant le comportement de ces zones membranaires "nouvelles", autant pour les fibres A delta que C, sera altéré comme il sera présenté ultérieurement. Dans le cas des fibres A delta, celles-ci se retrouvent donc "non protégées" en comparaison avec leur situation habituelle. Il en sera ainsi pour les autres fibres A alpha et A bêta lorsqu'elles vivent des processus de régénération semblables.

Pour expliquer en partie le comportement électrique altéré de ces membranes neuronales "toutes jeunes", il importe de préciser qu'elles contiennent, dès leur reconstruction, plusieurs complexes protéiques que l'on retrouve comme faisant partie intégrante de leur constitution en situation anatomique normale. Ainsi, elles sont munies:

  • des récepteurs alpha-adrénergiques,
  • des canaux sodiques
    de même que
  • des canaux calciques.

C'est ainsi que le début des douleurs "infernales" vient parfois de commencer (le début du commencement, pourrait-on dire!) avec ce qui aurait n'être qu'un processus de guérison de dimension physiologique mais qui en fait devient rapidement un processus de guérison "pathologique".

155 - Processus de régénération: propriétés électrophysiologiques des bourgeons axonaux de régénération

Les membranes jeunes "toute nouvellement formées" présentent un comportement d'instabilité électrique considérable sur toute leur étendue. Ainsi, des phénomènes de dépolarisation deviennent observables pratiquement en tous points au niveau des brèches fermées et des bourgeons de régénération. Cette dépolarisation se fait de façon anarchique et mène alors à la création d'influx nociceptifs nombreux qui se présentent de façon tout aussi anarchique et erratique.

Plusieurs propriétés peuvent être observées au niveau des brèches réparées et des excroissances axonales ou bourgeons de regénération. Quatre de celles-ci nous permettent de mieux comprendre la complexité clinique des douleurs neurogènes, en particulier le caractère paroxystique ou "en salves".

Premièrement, témoin de la grande instabilité électrique et donc d'une grande excitabilité, ces bourgeons de régénération en arrivent à se dépolariser "en apparence spontanément", générant ainsi des salves d'influx qui surviennent par paroxysmes.

Ces salves d'influx, ayant pris naissance dans les portions "lésée" et dans les portions nouvellement "réparées" des fibres nociceptives C et A delta acheminent donc vers le cerveau, i.e. en DIRECTION AFFERENTE, des messages douloureux.

Ces événements de dépolarisation spontanée "ectopique" sont en fait analogues à des phénomènes d'épilepsie motrice à la différence qu'ils se produisent dans une fibre sensorielle nociceptive i.e. en direction "afférente". Dans le cas de l'épilepsie motrice classique, les phénomènes de dépolarisation se produisent dans une zone cicatricielle du cortex moteur pour être acheminés, à partir du cerveau, par les fibres motrices vers la périphérie i.e. en DIRECTION EFFERENTE.

Dans le cas de l'épilepsie motrice, le phénomène sous-jacent peut se résumer ainsi:

  • dépolarisation "en apparence spontanée" d'une population de neurones du cortex cérébral moteur ---> influx acheminés le long des neurones moteurs vers la périphérie (EFFERENCES MOTRICES) ---> avalanche d'activités motrices incontrôlables en périphérie.

Dans le cas présent, un phénomène réciproque ou inverse se produit:

  • dépolarisation "en apparence spontanée" trouvant origine dans des portions de membranes nouvellement réparées ou nouvellement formées appartenant à des fibres C ou A delta nociceptives (brèches et bourgeons de régénération) ---> influx acheminés le long des neurones nociceptifs vers le cerveau (AFFERENCES NOCICEPTIVES) ---> avalanche de messages douloureux comparable à une crise "d'épilepsie nociceptive" mais parvenant cette fois-ci au cerveau et non pas provenant de celui-ci.

Cette analogie est si juste que le traitement pharmacologique proposé pour les douleurs neurogènes paroxystiques repose particulièrement sur l'emploi d'anticonvulsivants et de stabilisateurs de membranes, comme on le verra dans le manuel III portant sur la gestion de la douleur avec les co-analgésiques.

Deuxièmement, les zones membranaires récemment réparées et celles en croissance (repousses, bourgeons, projections, ramifications ou excroissances) sont extrêmement sensibles aux stimuli mécaniques. Tout mouvement ou toute variation de tension mécanique dans leur environnement a pour effet d'accentuer considérablement les phénomènes de dépolarisation déjà facilement produisibles au point d'être parfois "d'apparence spontanée". Ainsi peut-on mieux comprendre, à titre d'exemple, pourquoi les personnes porteuses d'une plexopathie brachiale, attribuable à un envahissement néoplasique ou consécutive à une radiothérapie, ont tendance à positionner leur bras dans une attitude antalgique figée. Le bras se trouve habituellement appuyé contre le thorax, l'avant bras est fléchi et accolé à la paroi abdominale. Tout mouvement du bras, spontané ou imposé, déclenche des douleurs très intenses qui tardent souvent à disparaître une fois le déclenchement accompli.

Troisièmement, ces mêmes zones membranaires sont également extrêmement sensibles à toute stimulation adrénergique. Or, il existe toujours une certaine participation autonome sympathique dans toute douleur le moindrement accentuée qu'elle soit nociceptive ou neurogène.

Cette propriété de sensibilité accrue à toute stimulation adrénergique est probablement en cause dans la pathophysiologie de base du quatrième type de douleur neurogène décrit dans la classification simplifiée proposée, le syndrome régional complexe avec participation sympathique "sympathetically maintained pain" autrefois appelé dystrophie sympathique réflexe.

On peut imaginer, dans ces circonstances, que tout phénomène de tension, stress, angoisse, irritabilité voire manque de sommeil puisse avoir pour effet, à cause de la relâche accentuée qu'il entraîne à la fois de catécholamines circulantes et de neurotransmetteurs adrénergiques, d'augmenter l'excitabilité membranaire des membranes nouvellement regénérées et donc de faciliter encore plus les dépolarisations spontanées et la production d'influx nociceptifs ectopiques.

Quatrièmement, les zones membranaires regénérées peuvent être subdivisés en diverses sous-populations selon la valeur de leur seuil d'activation. Ainsi, certains sous-segments membranaires, réparties dans les zones de régénération, se dépolariseront au moindre stimulus alors que d'autres sous-populations vont nécessiter un stimulus un peu plus important pour ce faire. En outre, on observe des variations semblables quant aux seuils d'activation dans les zones de dépolarisations dites spontanées.

Cette dernière propriété contribue pour une certaine part à expliquer les résultats décevants voire même certains échecs thérapeutiques concernant la gestion de certaines douleurs neurogènes avec les co-analgésiques et cela malgré le fait:

  • d'une bonne connaissance des bases pathophysiologiques des douleurs,
  • d'une évaluation fondée sur cette connaissance
    et
  • d'un choix thérapeutique éclairé concernant les co-analgésiques.

Une part de ces échecs pourrait s'expliquer par le fait

  • que l'abaissement du seuil d'activation soit devenu tellement marqué que toute dépolarisation même très légère permette déjà d'atteindre le seuil d'activation nécessaire à la création d'un influx et cela même en présence de médicaments sensés réduire l'instabilité électrique,
     
  • que certaines sous-populations de bourgeons soient tellement isolées dans un environnement "imperméable" de tissu fibreux cicatriciel qu'aucune concentration plasmatique, même lorsque suffisamment élevés pour créer des effets secondaires systémiques, ne puisse amener une concentration locale "thérapeutique" suffisante pour bloquer la dépolarisation spontanée.

Le Manuel III de cette série, portant sur la gestion de la douleur avec les co-analgésiques, discutera plus en détail de ces phénomènes.

156 - Les canaux sodiques et calciques: pourquoi tant d'insistance ?

Pourquoi, en parlant du processus de régénération et des caractéristiques et constituants de la membrane neuronale jeune autant d'insistance sur les canaux sodiques et calciques? Pour une raison fort simple: ils jouent un rôle prépondérant dans l'ensemble des phénomènes de dépolarisation cellulaire et de production des influx nociceptifs dans le cas présent.

À l'état normal, toute cellule vivante est polarisée, c'est-à-dire qu'elle possède une charge positive à l'extérieur parce que la concentration en ions sodiques, Na+, est plus élevée à l'extérieur de la cellule que celle des ions potassiques, K+, qui se retrouvent pour leur part en plus grande concentration à l'intérieur de la cellule.

Quand survient une stimulation sur la membrane neuronale, certains canaux ioniques, les canaux sodiques en l'occurence, commencent à s'ouvrir pour laisser entrer le Na+ à l'intérieur de la cellule, ce qui change lentement le potentiel trans-membranaire vers des valeurs "moins" négatives. A partir d'un certain niveau de dépolarisation correspondant au seuil d'activation, par exemple après être passé de - 70 mV à - 40 mV, d'autres canaux sodiques, calciques et potassiques, ceux-ci "voltage-dépendant", s'ouvrent "soudainement" tout grand. Cette ouverture "soudaine" a pour effet de laisser entrer une abondance de nouveaux ions Na+ mais surtout une très grande abondance d'ions Ca++. Une dépolarisation massive et soudaine responsable d'un changement "instantané" de polarisation se produit. Cette dépolarisation massive et soudaine occasionne la production d'un influx électrique qui se propage alors dans la fibre. L'influx ou le courant électrique ainsi créé dans une fibre nociceptive transporte une information nociceptive qui sera interprétée par le cerveau comme un message douloureux puisqu'il aboutira dans des régions du tronc cérébral et du cerveau responsables de la réception et de l'interprétation des messages nociceptifs. On appelle ces influx nociceptifs des "afférences nociceptives".

Dans les microsecondes qui ont suivi la création d'un influx, la polarisation i.e. le potentiel trans-membranaire de la cellule s'est retrouvé fortement inversée: l'intérieur de la cellule est devenu chargé positivement, l'extérieur négativement. Il faudra par la suite un retour à la polarisation "normale" i.e. une repolarisation avant que de nouveaux influx puisssent être créés. Cette repolarisation se fera par l'ouverture d'autres canaux qui permettront aux différents ions impliqués (surtout Na+, Ca++ et K+) de retourner à leur position de départ. C'est ainsi que vont s'ouvrir tout particulièrement des canaux potassiques pour faire sortir le surplus d'ions potassiques, K+, de la cellule afin de rétablir le potentiel transmembranaire de repos. Durant un bref moment, le potentiel transmembranaire deviendra même trop "négatif" avant de retourner à ses valeurs de potentiel de repos, ce sera la courte phase d'hyperpolarisation.

Plus le phénomène de dépolarisation spontanée est intense et répété, plus le cerveau reçoit de messages douloureux c'est-à-dire "d'afférences nociceptives" et plus l'intensité des douleurs s'accentue.

(Voir: LE PHENOMENE DE DEPOLARISATION "MEMBRANAIRE" ET LE SEUIL D'ACTIVATION / LES DIFFERENTS "CANAUX IONIQUES" / LE PHENOMENE D'HYPERPOLARISATION "MEMBRANAIRE")

157 - Plasticité: les conséquences structurelles

Les changements rapportés jusqu'à maintenant se sont attardés surtout à décrire les événements survenant au niveau membranaire suite à des situations d'agression sur le réseau nociceptif périphérique. Les conséquences attribuables aux lésions subies par les fibres nerveuses nociceptives sont loin de se limiter aux changements décrits jusqu'à maintenant. En fait, les changements regroupés sous le concept de plasticité touchent de nombreuses facettes autant structurelles, biochimiques qu'électrophysiologiques. Différentes structures cellulaires participent aux phénomènes "d'adaptation pathologique", plus élégamment appelé "phénomènes de plasticité neuronale", menant aux douleurs difficiles à contrôler et responsables pour une part de la chronicisation des douleurs.

Ainsi, plusieurs cellules contribuent de façon déterminante aux processus de plasticité. Parmi ces cellules on retrouve:

  • des cellules neuronales non nociceptives telles les cellules gliales normalement présentes au niveau du tissu nerveux et en l'occurence au niveau de la corne postérieure, soient
    • les astrocytes,
    • les oligodendrocytes
    • les cellules microgliales immunocompétentes
    et
    • des cellules non neuronales telles les cellules T immunocompétentes (lymphocytes T) reconnues pour infiltrer la corne postérieure suite à des agressions tissulaires loco-régionales exercées directement au niveau de la moelle ou sur les neurones sensoriels et donc nociceptifs périphériques.

158 - Plasticité: les conséquences biochimiques

Ces différentes cellules participent toutes à leur façon aux processus inflammatoires menant à la mise en branle de phénomène de reconstruction et aux processus de sécrétions de substances inflammatoires qui viennent perturber l'homéostasie des échanges nociceptifs.
 

Les changements regroupés sous le concept de plasticité neuronale et découlant de lésions subies par les fibres nerveuses touchent aussi la facette "environnement biochimique" en raison des nombreuses substances retrouvées lors des événements de plasticité survenant au niveau de la corne postérieure. Ces substances participent à leur tour aux phénomènes d'adaptation "pathologique" menant aux douleurs difficiles à contrôler et responsables pour une part de la chronicisation des douleurs tel que suggéré plus avant.

La contribution des cellules gliales à l'homéostasie au niveau de la corne postérieure est étonnante. Elle repose sur une modulation exercée sur différents neurotransmetteurs tant nociceptifs qu'antinociceptifs tels:

  • le glutamate,
  • la sP,
  • l'acétylcholine,
  • l'acide gamma-amino-butyrique (GABA),
  • le 5-HT (sérotonine),
  • la norépinéphrine
    et
  • l'adénosine.

Ces substances originent soit des neurones nociceptifs périphériques, soit des faisceaux inhibiteurs descendants ou soit des interneurones habitant la corne postérieure. Dans leur rôle de modulation, les cellules gliales peuvent, selon les cironnstances,

  • autant faciliter les échanges nociceptifs donc augmenter les douleurs
    que
  • faciliter les influx inhibiteurs descendants et donc réduire les douleurs.

Les cellules gliales sont particulièrement reconnues pour accumuler en intra-cellulaire d'importantes quantités de glutamate, de GABA et de glycine. Elles peuvent de cette façon exercer leur contribution à la régulation des échanges nociceptifs (inhibition vs facilitation) au niveau de la corne postérieure. A titre d'exemple, les cellules gliales contribuent à la régulation des échanges synaptiques impliquant l'acétylcholine (ACh) en sécrétant une protéine se liant à l'ACh alors qu'elles contribuent à celles impliquant le glutamate en modifiant une sous-unité protéique composant le récepteur NMDA ce qui altère alors la réponse du récepteur NMDA aux stimulations exercées par le glutamate.

En présence d'agressions de divers types, ces différentes cellules sont alors activées de sorte que leur fonction physiologique devient perturbée. Ainsi, la corne postérieure devient infiltrée par des cellules T immunocompétentes (lymphocytes T), un des effet connu de cette infiltration sera de provoquer une perte d'intégrité dans la barrière hémo-encéphalique dans l'environnement loco-régional.

Par ailleurs, tant les cellules gliales que les lymphocytes T vont alors produire une panoplie de substances qui auront comme effet de perturber la modulation physiologique des échanges nociceptifs au niveau de la corne postérieure. Parmi les substances ainsi produites et qui se retrouvent dans l'environnement extra-cellulaire figurent:

  • certaines cytokines dont des interleukines, des neurotrophines et du TNF (tissue necrosis factor),
  • du monoxyde d'azote (NO),
  • des prostaglandines,
  • de l'histamine,
  • de l'adenosine triphosphate (ATP),
  • de la glycine
    et
  • du glutamate.

Parmi les changements observables au niveau de la corne postérieure en présence d'agression sur les fibres nociceptives, on réalise finalement que "l'entrée en activité" de certains récepteurs biochimiques situés au niveau des membranes post-synaptiques, notamment les récepteurs N-méthyl-D-aspartate (NMDA) ne représente qu'une portion seulement des "adaptations pathologiques" beaucoup plus complexes qui se déroulent à ce niveau (Voir LES RECEPTEURS NOCICEPTIFS-CLE: LES RECEPTEURS NMDA).

En fait, il se déroule de profondes perturbations biochimiques particulièrement au niveau du corps cellulaire du neurone nociceptif central (le début des faisceaux spinothalamiques et les autres) qui seront discutées ultérieurement.

159 - Plasticité: les conséquences "électrophysiologiques" centrales

À partir du moment où des foyers de dépolarisation ectopiques, provoqués ou spontanées, se manifestent au niveau des fibres nociceptives périphériques et au niveau des structures membranaires post-synaptiques apparaît le phénomène d'hyperstimulation nociceptive.

En présence d'un tel phénomène, il devient possible d'observer des changements "électrophysiologiques" de plusieurs ordres. Des activités "électriques" anormales sont non seulement observables au niveau de la corne postérieure mais ils peuvent aussi être observés à plusieurs niveaux des relais ascendants, notamment dans: (MZ 214 D P3)

  • les faisceaux ascendants nociceptifs (spinothalamiques et autres),
  • le thalamus,
  • le cortex sensitif (pariétal).

Ces activités électriques anormales peuvent s'exprimer de diverses manières:

  • des influx commencent à se propager dans les neurones centraux avec une fréquence anormalement élevée, souvent sous forme de longues traînées d'influx qui conservent leur régularité,
     
  • ailleurs, des salves de décharges paroxystiques spontanées de durée variable s'entremêlent à ces traînées d'influx anormalement élevées en fréquence.

Plus les lésions sont sévères et importantes, plus ces anomalies prennent de l'importance car les phénomènes "d'hyperexcitation et d'hyperexcitabilité" jouent un rôle de plus en plus marqué.

Un des éléments-clé pouvant être observé à cet égard concerne l'apparition d'activités ectopiques "spontanées" avec des fréquences anormalement élevées dans les fibres des faisceaux néo-spinothalamiques et des différentes composantes du faisceau paléo-spinothalamique particulièrement lors de leur passage au niveau des relais centraux médullaires (bulbe).

De telles décharges électriques spontanées paroxystiques avec fréquences anormalement élevées s'observent aussi au niveau du thalamus qui est le plus important relais pour les circuits nociceptifs et les autres circuits sensitifs.

Le fossé se creuse ainsi de plus en plus entre ce qui était au point de départ une stimulation soutenue d'un ensemble de nocicepteurs ou d'une zone neuronale lésée (par un processus tumoral ou par un autre type d'agression) et les douleurs qui sont maintenant éprouvée.

Plus les lésions en périphérie sont sévères, plus ces anomalies prennent de l'ampleur reflétant le fait que les changements dits de plasticité deviennent de plus en plus importants. Ces cascades de changements accompagnent les changements électrophysiologiques "d'hyperexcitation et d'hyperexcitabilité" qui ont d'abord débuté au niveau de la membrane postsynaptique et qui jouent par la suite un rôle de plus en plus marqué. Ici et toujours, les changements se produisent comme "à l'envers du bon sens". Plus les douleurs sont importantes, plus les phénomènes de plasticité contribuent à l'amplification de ces mêmes douleurs et plus elles s'intensifient. Etrange phénomène que l'inflation nociceptive dans la nature! Une pharmacologie "dédiée et rationnelle" deviendra donc ultimement nécessaire.

De tels changements électrophysiologiques sont aussi observés dans le cas où les neurones centraux deviennent le siège d'agressions mais, à ce moment, ces anomalies électrophysiologiques prendront beaucoup plus de temps, plusieurs semaines voire plusieurs mois, avant de se développer alors qu'il ne faut que quelques heures à quelques jours pour les voir apparaître dans le cas d'hyperstimulation d'origine périphérique.

Ces observations permettent de comprendre certaines réserves au sujet des blocs nerveux lytiques et des interventions neurochirurgicales quand l'espérance de vie d'une personne en phase palliative dépasse 6 à 9 mois. Après une période de trêve de quelques mois dans les douleurs, trêve découlant de ces interventions ayant eu pour effet de créer une désafférentation, pourraient apparaître de nouvelles douleurs alors pires que celles pour lesquelles ces interventions avaient été offertes (Voir Manuel V de cette série portant sur les approches non-médicamenteuses). Choix déchirants bien sûr face à des douleurs redoutables que celui de désafférenter ou non mais combien regretté lorsque les douleurs post désafférentation sont installées.

Aussi profonds puissent être les changements de plasticité découlant, à leur départ, de lésions organiques structurelles sur le réseau nociceptif, il n'en demeure pas moins qu'il ne faut cependant jamais interpréter ces explications comme une tentative de réduire le problème complexe des douleurs chroniques, sans bases organiques identifiées, à une telle simplification. D'autres mécanismes pathophysiologiques extrêmement complexes et encore mal connus se déroulent dans les méandres du réseau limbique pour faire en sorte d'amplifier les aspects "désagréments" des douleurs chroniques pour lesquels l'arsenal pharmacologique est encore réduit à presque rien. Les approches non-pharmacologiques demeurent encore les préférées dans ces circonstances.

160 - Plasticité et douleurs "mystérieuses": les répercussions cliniques des différents changements

Il se pourrait bien que plusieurs de ces altérations, à la fois nombreuses et importantes, expliquent en partie certains types de douleurs qui semblent un peu mystérieuses de prime abord:

  • les douleurs d'un "membre fantôme",
  • les douleurs consécutives à une cordotomie, une lyse (phénolisation) neuronale,
  • ainsi que de nombreuses autres douleurs nous paraissant difficiles à expliquer et même à accepter, pour certains cliniciens, comme étant véritable!

161 - La douleur neurogène paroxystique ou "en salves": ses caractères cliniques

Même dans les contextes oncologiques, certaines de ces douleurs paraissaient encore douteuses à certains cliniciens jusqu'à l'arrivée d'une technique d'investigation tout à fait impressionnante qu'est la tomographie par émission de positrons ( TEP ou PET scan). Il faut avoir vu, en contexte oncologique, certains cas où le TEP montrent un imposant fardeau tumoral disséminé totalement ou presque totalement ignoré par d'autres modalités modernes d'investigation par imageries telles la Résonnance magnétique et la Scintigraphie osseuse pour croire que les douleurs signalées par les patients ... étaient bien vraies.
 

La douleur neurogène paroxystique ou "en salves" souvent comprise dans un sens large et erroné comme étant l'équivalent d'une douleur "par désafférentation" peut être due à:

  • une compression nerveuse sévère, responsable d'une instabilité électrique se manifestant par des épisodes soudains et intenses de douleurs,
     
  • une infiltration du tissu nerveux par des cellules néoplasiques dont la progression et la sévérité auront causé d'intenses dommages aux structures neuronales à commencer par les membranes et les microtubules responsables du transport des nutriments intracellulaires. Certains neurones pourront ainsi avoir subi un sectionnement (ils auront été déafférentés) alors que de nombreux autres neurones, malgré l'intensité de l'agression, auront réussi "à survivre" mais au prix de transformations profondes dans leur structure et dans leur stabilité électrique,
     
  • des changements morphologiques variables au niveau des fibres nociceptives, changements cependant non reliés à la compression ou à l'infiltration tumorale mais attribuables à divers autres facteurs (diabète, chimiothérapie, chirurgie, radiothérapie, séquelles post-infection, séquelles post-traumatisme etc.).

162 - La douleur neurogène paroxystique ou "en salves": représentation schématique

A la différence du contexte des douleurs accompagnées, ces conditions sont, dans l'ensemble, susceptibles d'occasionner une destruction plus massive des neurones nociceptifs (... et aussi des autres neurones tant sensoriels que moteurs). Toujours à la différence des douleurs accompagnées, ces lésions n'entrainent pas d'instabilité électrique en continue au niveau des membranes lésées, l'instabilité électrique se manifeste plutôt en paroxysmes ou en salves.

Cette illustration suggère différentes représentations schématiques des douleurs neurogènes paroxystiques.

Seuls les paramètres de rythmicité, de durée et d'intensité sont illustrés. (Voir: LA DOULEUR NEUROGENE PAROXYSTIQUE OU "EN SALVES": SES CARACTERES CLINIQUES)

163 - La douleur neurogène paroxystique ou "en salves": résistance aux opiacés ???!!!

Les douleurs neurogènes sont, depuis longtemps, considérées comme difficiles à maîtriser de façon satisfaisante. On les a même qualifiées de résistantes, en partie ou en totalité, aux opiacés. Nous en avons discuté précédemment.

Ces affirmations ne sont qu'en partie fondées. C'est ici que la connaissance des mécanismes pathophysiologiques sous-tendant les divers types de douleur vient jeter un éclairage différent sur ces observations cliniques devenues, avec le temps, des affirmations au ton pessimiste et à l'allure parfois alarmiste.

On ne devrait pas, en effet, se contenter d'affirmer ou de soutenir que certaines douleurs neurogéniques résistent aux opiacés. On doit plutôt se rendre à l'évidence de l'illogisme d'utiliser des opiacés contre des douleurs paroxystiques qui sont des douleurs du "tout ou rien" tel que décrit précédemment. Puisque ces douleurs tirent leur origine d'une équivalence avec les mécanismes épileptiformes, il paraît alors aussi illogique d'utiliser des opiacés pour ce type de douleur qu'il aurait été illogique d'utiliser des opiacés dans le traitement d'une épilepsie motrice.

Le fait que cette douleur soit totalement absente en dehors des épisodes paroxystiques rend difficile, pour ne pas dire impossible, d'en arriver à un ajustement posologique adéquat avec les opiacés. En effet, il est impossible d'élaborer un ajustement posologique quand la douleur est totalement absente en espérant "en prime" que cet ajustement permettra de soulager les accès douloureux imprévisibles. Tenter un tel exercice est totalement futile.

Même plus, une telle démarche est illogique, irrespectueuse des principes de pharmacocinétique et ne cadre pas avec une pharmacothérapie rationnelle, sans compter qu'elle comporte l'emploi de substances ayant des demi-vies de quelques heures contre des accès de douleur ne durant parfois que quelques secondes à quelques minutes. En contre-partie, l'usage d'opiacés à longue action soumet le patient à l'effet d'opiacés de façon soutenue alors que les douleurs ne peuvent se produire qu'à quelques reprises durant la journée.

Enfin, l'emploi de doses élevées d'opiacés nécessaires pour maîtriser l'intensité élevée de ces douleurs paroxystiques entraînera à coup sûr tout un cortège d'effets secondaires sérieux et nettement "inutiles".

Décidément les opiacés n'ont ni les propriétés ni les capacités de s'adresser à la pathophysiologie des douleurs neurogènes paroxystiques. Voilà comment il faut comprendre ce mauvais mariage. Ce n'est donc plus en fait un problème de douleurs qui résistent aux opiacés mais un problème d'emploi non justifié d'une substance pharmacologique en regard d'une pathophysiologie spécifique menant à un type particulier de douleur.

Face à une douleur, il faut donc, à chaque fois, tenter de s'adresser à la pathophysiologie de la douleur en faisant les choix les plus appropriés possible en regard de l'arsenal pharmacologique afin de mener au meilleur traitement possible. Il en est de même dans les choix des différentes modalités d'approche s'adressant à la douleur globale, il faut, autant que faire se peut, viser une composante bien identifiée de la douleur globale. Chaque fois donc, il faut s'adresser à une composante pathophysiologique plutôt que de s'adresser à la douleur comme un symptôme "mal définissable" ou "mal défini".

164 - Les douleurs neurogènes ultra simplifiées: quatre facteurs pour une certaine logique séquentielle

En fait, dans le but de vouloir simplifier pour la compréhension, des phénomènes forts complexes, on pourrait imaginer que certaines caractéristiques cliniques propres aux douleurs neurogènes puissent découler à la fois de la façon dont le tissu néoplasique évolue et infiltre progressivement le tissu nerveux et à la fois de certaines propriétés anatomophysiologiques propres aux divers types d'axones touchés. Ainsi, la différence entre la douleur neurogène simple, accompagnée (paresthésie / dysesthésie) et paroxystique puisse fort bien tenir essentiellement à la combinaison des quatre facteurs suivants:

  • le type de fibre et/ou de nocicepteur touchés
  • le degré d'atteinte
  • le phénomène de multi-convergence
    et
  • l'activation des récepteurs NMDA.

A titre d'exemple,

  • la qualité des douleurs ressenties au niveau cutané inclut deux grands types de sensations: un engourdissement / fourmillement et une brûlure. Les enregistrements microneurographiques démontrent que la stimulation des fibres A delta se traduit préférentiellement par une douleur -"engourdissement" alors que celle des fibres C provoque une douleur -"brûlure".
     
  • le degré d'atteinte des fibres nerveuses, dans le contexte d'une masse tumorale en évolution, peut découler d'une compression pouvant varier de légère à sévère ou encore d'une infiltration qui est un degré comme plus avancé de l'agression tumorale. Lorsque suffisamment sévère, cette agression (compression sévère ou infiltration marquée) peut aboutir à de la nécrose neuronale et donc au sectionnement d'un certain nombre de fibres nociceptives en divers endroits du champ tumoral.

    Ainsi, la compression de fibres A delta pourra occasionner dans une région donnée une douleur accompagnée (paresthésie / dysesthésie) de type "engourdissement" alors que cette même compression sur des fibres C pourra occasionner une douleur-brûlure. Le phénomène d'infiltration ne pourra qu'aggraver ces deux types de douleur. Par ailleurs, une compression sévère combinée ou non à de l'infiltration pourra avoir occasionné le sectionnement d'un certain nombre de fibres C ou A delta et avoir ainsi entraîné des douleurs d'un autre type soient des douleurs paroxystiques ressenties comme des "chocs électriques".

  • par ailleurs, plus les lésions sur le réseau nerveux sont sévères, plus il y a de fibres périphériques de touchées (C, A delta, A bêta), plus les neurones centraux sont soumis à des stimulations inhabituelles et exagérées de la part des fibres nociceptives et en contrepartie inhabituelles et de plus en plus inopérantes de la part des fibres modulatrices A bêta, plus le phénomène de multi-convergence s'exerce dans la déroute avec des influx principalement anormaux de toute part.
     
  • enfin, plus les fibres nociceptives émettent de stimulations inhabituelles et exagérées, plus les récepteurs NMDA deviennent activés et plus importantes deviennent les douleurs.

Dans ces circonstances, la douleur d'abord ressentie comme douleur simple (douleur "douleur") est susceptible de passer à douleur accompagnée et par la suite à douleurs paroxystiques. C'est le risque d'un processus tumoral en évolution. Ainsi, dans cet enchevêtrement de mécanismes pathophysiologiques complexes à plusieurs niveaux, il semble possible de dégager une certaine rationalité, encore très incomplète et imprécise bien sûr mais plus éclairante quand même et surtout guidante pour la thérapeutique à appliquer.

Il est entendu que les explications qui précèdent concernant le type et le degré d'agression (compression, infiltration, sectionnement) s'appliquent autant aux fibres nociceptives du système somatique qu'à celles du système autonome innervant les viscères.

165 - Les douleurs neurogènes ultra simplifiées: une certaine logique séquentielle avec l'évolution néoplasique

Certaines caractéristiques cliniques propres aux douleurs neurogènes peuvent découler à la fois de la façon dont le tissu néoplasique évolue et infiltre progressivement le tissu nerveux et à la fois de certaines propriétés anatomophysiologiques propres aux divers types d'axones touchés.

Ainsi, la compression relativement importante de fibres A delta pourra occasionner une douleur accompagnée (paresthésie / dysesthésie) de type "engourdissement" alors que cette même compression sur des fibres C pourra occasionner une douleur-brûlure.

Cette même compression, combinée à de l'infiltration qui aurait déjà produit, dans un secteur voisin, le sectionnement d'un certain nombre de fibres C ou A delta, pourra entraîner des douleurs d'un autre type, par exemple des paroxysmes en "choc électrique".

166 - Une certaine logique séquentielle avec l'évolution néoplasique: applicable au réseau somatique et autonome

Il est entendu que les explications qui précèdent concernant le type et le degré d'agression (compression, infiltration, sectionnement) s'appliquent autant aux fibres nociceptives du système somatique qu'à celles du système autonome innervant les viscères.

167 - Les douleurs ténesmoïdes: deux types

Compte tenu des différents phénomènes décrits précédemment, on peut alors comprendre que des douleurs décrites comme ténesmoïdes puissent être en fait des douleurs neurogènes paroxystiques. Il est en effet possible de considérer les douleurs "ténesmoïdes" selon deux mécanismes pathophysiologiques fondamentalement différents.

En premier lieu, la définition de base consiste à considérer ces douleurs comme résultant d'une suite de contractions plus ou moins importantes des muscles lisses d'un viscère donné. Ainsi, en présence d'une infection aiguë de la vessie ou en présence d'une infiltration de la paroi vésicale par une masse néoplasique, des douleurs profondes, au niveau du bas ventre, résultant de contractions vésicales, pourraient être ressenties. Ces douleurs seraient qualifiées d'authentique ténesme vésical, puisqu'en fait, elles résultent véritablement de contractions musculaires vésicales.

En deuxième lieu, il est cependant possible qu'une personne puisse ressentir ce même type de douleur profonde au bas ventre, ressemblant en tout point à du ténesme vésical, alors que la vessie a pu être enlevée comme traitement d'un cancer de la vessie. Comment alors expliquer ces douleurs ténesmoïdes alors qu'il n'existe plus de muscle vésical? L'explication en est fort simple. Lors de la cystectomie, les fibres sensitives innervant la vessie ont été sectionnées. La suite de ces sectionnements est maintenant bien connue ... tentative de régénération par des excroissances neuronales, zones de dépolarisations spontanées erratiques imbriquées dans des accumulations plus ou moins importantes de dépôts fibrotiques, apparition de flambées de décharges dans certains bourgeons de régénérescence et finalement, arrivée d'influx douloureux au cerveau. Ces informations "nociceptives", provenant de l'extrémité des fibres nociceptives qui "autrefois" innervaient la vessie offrent véritablement un caractère "ténesmoïde" aux douleurs ressenties. Un tel caractère pourrait être ressenti "dans le rectum" si les fibres lésées se retrouvaient dans la région rectale ou péri-rectale.

On se doit donc de distinguer la douleur ténesmoïde "musculaire" de la douleur ténesmoïde "neurogène" avant de choisir un traitement. Encore une fois, une meilleure compréhension des mécanismes douloureux augmente les chances d'obtenir une meilleure gestion analgésique.

Voilà donc encore un autre exemple de la nécessité

  • de comprendre les mécanismes pathophysiologiques avant d'évaluer les douleurs,
  • de s'adresser, par le traitement, aux mécanismes pathophysiologiques plutôt qu'à la douleur elle-même.

Tout choix thérapeutique éclairé repose d'abord et avant tout sur la reconnaissance des mécanismes pathophysiologiques en cause.

168 - Les douleurs compliquées d'une participation "soutenue" du système nerveux autonome sympathique

Autrefois appelée dystrophie sympathique réflexe ou causalgie, les douleurs compliquées d'une participation du système nerveux autonome sympathique ou "sympathetically maintained pain" sont des douleurs dans lesquelles l'activité du système nerveux autonome sympathique joue un rôle clé. Cette participation peut cependant se faire à divers degrés. Il arrive souvent que ce ne soit que lorsque le degré de participation sympathique est avancé que l'on reconnaisse cet état de fait, le diagnostic de cette participation demeurant alors insoupçonné pendant relativement longtemps.

En situation physiologique normale, l'activité sympathique ne possède aucun effet sur les nocicepteurs alors que l'activation des nocicepteurs induit pour sa part une accentuation des influx sympathiques dans les dermatomes où les nocicepteurs sont activés. Bien que les douleurs compliquées d'une participation "soutenue" du système nerveux autonome sympathique ("sympathetically maintained pain") ne soient encore qu'incomplètement définies, ce syndrome peut être compris comme une prise de contrôle des nocicepteurs par le système sympathique devenu hyperactif dans certaines régions. En fait, tout se déroule comme si le système nerveux sympathique prenait le contrôle de l'activité algésique dans une région donnée, avec en même temps, des conséquences à deux niveaux:

  • au niveau des régions synaptiques de la corne postérieure, l'hyperstimulation sympathique augmente le nombre d'influx nociceptifs y arrivant avec des conséquences déroutantes sur la multi-convergence puisque les fibres centrales (les WDR) voient leurs stimulations devenir erratiques et s'amplifier de façon extrêmement importante et tout aussi déroutantes sur les NMDA puisque l'augmentation du nombre d'influx arrivant sur les fibres centrales entraîne le "réveil" i.e. l'activation des récepteurs NMDA.
     
  • au niveau vasculaire, l'hyperactivité adrénergique produit de l'ischémie locale avec ses conséquences ultérieures soit inflammation et plus tard fibrose tissulaire. Cette ischémie locale provient de l'alternance répétée de vasoconstriction soutenue commandée par l'hyperactivité sympathique à laquelle fait suite une vasodilatation secondaire découlant de l'ischémie focale devenu tellement importante que les différentes structures sous gouverne du SNAS ne peuvent plus répondre à l'hyperstimulation sympathique. Ces alternances répétées de vasonconstriction/vasodilatation sont responsables de l'apparition de nombreuses substances inflammatoires et algogènes qui entraînent à leur tour la sensibilisation de milliers, voire de millions de nocicepteurs présents dans la région ischémique.

L'hyperactivité du système nerveux sympathique joue un rôle tellement important dans les mécanismes pathophysiologiques des douleurs compliquées d'une participation du système nerveux autonome sympathique ou "sympathetically maintained pain" qu'une bonne part du traitement visera à tenter de bloquer cette hyperactivité.

Etrange pathophysiologie, s'il en est une. A première vue, on a donc l'impression que le message douloureux AFFERENT (de la périphérie vers la région centrale), transporté par les fibres nociceptives, aurait pu déclencher une réponse réflexe EFFERENTE (de la région centrale vers la périphérie) du système nerveux autonome dans le ou les mêmes dermatomes où la douleur est perçue et "garder le contrôle" de cette réponse réflexe. C'est en fait ce qui se produit pour le déclenchement mais c'est probablement le contraire pour le contrôle. Cette réponse EFFERENTE du système nerveux autonome se comporte un peu comme si elle allait prendre le contrôle de la douleur, le phénomène de douleur sous gouverne du SNAS devenant pratiquement "autosuffisant et autodéclenchant" puisque c'est alors le SNAS qui prend la gouverne des nocicepteurs, causant de cette manière un cercle vicieux qui ne va souvent qu'en s'amplifiant.

Chez les personnes atteintes de cancer, cette hyperactivité "idiopathique", dans un ou des dermatomes où des lésions nerveuses ont déjà été produites, pourrait bien être, à l'occasion, le tout premier signe avant-coureur du subtil processus d'infiltration tumorale y prenant place.

169 - Les douleurs compliquèes d'une participation "soutenue" du système autonome sympathique: les manifestations cliniques

Sur le plan clinique, les douleurs compliquées d'une participation du système nerveux autonome sympathique ou "sympathetically maintained pain" se manifestent par des anomalies autonomiques multiples dans une région où généralement de la douleur est éprouvée. Cette participation et ces manifestations peuvent se faire à des degrés divers comme proposé antérieurement.

Les symptômes suivants peuvent ainsi apparaître sur un fond de douleur modérée ou intense:

  • des changements vasomoteurs s'étalant d'une pâleur excessive à une hyperémie marquée. La pâleur excessive provient de régions de vasoconstriction intense, l'hyperémie marquée, parfois accompagnée de zones violacées, témoigne de l'ischémie intense provoquée par les alternances de vasoconstriction et de vasodilatation ischémique réflexe;
     
  • de l'oedème traduisant l'importante réaction inflammatoire "cutanée" déclenchée par les changements séquentiels fluctuants de vasoconstriction soutenue et de vasodilatation ischémique réflexe;
     
  • des anomalies de la transpiration aussi reliées à l'hyperactivité du système sympathique et à la vasoconstriction qui en découle;
     
  • enfin, des changements trophiques tels que la perte de pilosité et l'apparition de plaques cutanées indurées qualifiées de "peau cartonnée" et même la chute des ongles quand l'hyperactivité sympathique touche la matrice de l'ongle au niveau des extrémités.

170 - La douleur neurogène: symptôme de présentation

Durant l'évolution d'un cancer, le tissu nerveux est souvent touché. Il n'est donc pas surprenant que les patients rapportent des douleurs. Ces douleurs, la plupart du temps en progression, sont souvent présentes depuis longtemps. En fait, la douleur figure même très souvent parmi les premiers symptômes cliniques, bien avant qu'un diagnostic de cancer ne soit établi. Des études cliniques ont démontré que la douleur "DOULEUR" i.e. la douleur neurogénique simple constitue le symptôme de présentation dans 75 à 90 % des cas lors de lésions au tissu nerveux.

Par ordre décroissant, les douleurs accompagnées (paresthésie / dysesthésie) de tous types viennent au deuxième rang tandis que les paresthésies "pures" i.e. les paresthésies sans douleur occupent la troisième place.

Ce n'est souvent que plusieurs semaines à plusieurs mois plus tard qu'une faiblesse apparaît dans une région où de la douleur s'était pourtant manifestée bien avant.

Il est regrettable, pour plusieurs patients, que le cancer ait eu le temps d'évoluer bien au delà de ses premiers stages, quand la douleur n'était que le seul et unique symptôme de présentation, avant qu'il ne devienne possible d'en établir correctement le diagnostic. Les soupçons d'un diagnostic de cancer avec atteinte neurogène ne figure pas parmi les premiers diagnostics différentiels du clinicien oeuvrant en dehors du champ spécifique de l'oncologie ou des soins palliatifs, qu'il soit généraliste ou spécialiste. Par ailleurs, des résultats normaux provenant de l'examen neurologique et de l'imagerie radiologique de base souvent demandée ont tendance à faussement rassurer ce même clinicien. Il faut reconnaître que les cliniciens n'ont pas été habitués à penser en terme de signification particulière pour une douleur nouvelle puisque la douleur ne fait pratiquement partie d'aucun curriculum de formation dans de nombreuses facultés de médecine.

Ceci étant dit, il peut, en effet, être souvent difficile d'établir un diagnostic quand la douleur n'est que le seul symptôme mais si au moins il avait été possible "d'entendre" ce qu'une douleur pouvait signifier. Le délai est d'autant plus regrettable quand c'est carrément la Tomographie par émission de positrons (TEP scan) ou encorre l'autopsie qui viennent finalement confirmer que les douleurs avaient de réelles raisons d'être et que la personne disait bien vrai.

Il faudrait toujours penser la douleur en accord avec le principe suivant: la douleur est telle que les gens la décrivent et non pas telle que "JE" pense qu'elle est.

En somme, le diagnostic d'une douleur comme "nouveau symptôme" ne devrait pas reposer uniquement sur un examen neurologique (le plus souvent rassurant parce que les réflexes sont normaux!) et l'emploi d'appareils d'investigation mais, pour une bonne part, sur

  • un questionnaire "éclairé",
  • un haut niveau de suspicion
    et
  • un suivi très serré.

171 - La douleur neurogène: diagnostic différentiel anatomique

Le diagnostic des douleurs neurogènes, non pas pour le type de douleur mais pour la localisation des lésions, pose souvent problème. Cela est dû au fait que les repères anatomiques, d'où ces douleurs pourraient trouver origine, sont souvent confondants, si bien que le diagnostic différentiel entre plexopathie, radiculopathie et lésions touchant le rachis, c'est-à-dire les vertèbres, les lames, les articulations inter-apophysaires et les ligaments ou lésions extra-rachidiennes mais péri plexus ou racine n'est pas toujours facile à établir.

La première question qui devrait alors se poser est la suivante:

Quelle structure atteinte peut expliquer la douleur de ce patient?

    • un nerf?
    • une partie d'un plexus?
      ou
    • une racine?

La deuxième question étant la suivante:

Où le tissu tumoral se trouve-t-il pour expliquer les douleurs, s'agit-il d'un envahissement?

    • rachidien (ou vertébral)?
      ou
    • non rachidien?

La troisième question se posant comme suit:

S'agit-il d'une douleur?
    • irradiée?
      ou
    • référée?

(Voir: EPARPILLEMENT MULTI-ETAGE, MULTI-CONVERGENCE, DOULEUR IRRADIEE ET DOULEUR REFEREE)

172 - Les neuropathies

Dans le cas des personnes atteintes de cancer, il est généralement assez facile de soupçonner un diagnostic de douleur neurogène par neuropathie, étant donné la zone de distribution assez bien circonscrite de la douleur, moins souvent évocatrice d'une plexopathie, d'une monoradiculopathie ou d'une polyradiculopathie.

Le défi diagnostique se présente lorsque des douleurs sont ressenties dans plusieurs régions d'une même zone de distribution anatomique, par exemple, des douleurs dans différentes régions d'un membre. Le diagnostic différentiel qui se pose alors est le suivant:

  • polyneuropathie?
  • plexopathie?
  • mono ou polyradiculopathie?
  • et même ... métastases osseuses qui n'ont pourtant rien à voir avec les douleurs neurogènes mais qui peuvent quand même être ressentie en divers endroits d'une même zone de distribution anatomique.

Ici, l'EMG peut s'avérer utile pour aider à répondre à ces questions.

On doit aussi se rappeler qu'il est possible, même en présence de cancer, que les douleurs soient attribuables à des causes non-néoplasiques comme le diabète, les effets post-chimiothérapie, une hernie discale. Les douleurs pourraient aussi découler d'un phénomène para-néoplasique et non pas d'un phénomène direct causé par une compression, une infiltration ou un sectionnement.

173 - Les plexopathies

La douleur neurogène par plexopathie est plus difficile à diagnostiquer que la précédente. Cependant, la présence de tissu tumoral à proximité du plexus, lorsqu'elle est connue, peut grandement aider au diagnostic, surtout lorsqu'on réussit à combiner cette information avec la ou les localisations des douleurs ressenties. En fait, ces informations anatomiques pouvant provenir d'images radiologiques ou d'une chirurgie sont loin d'être toujours disponibles, dans le cas des personnes évaluées pour douleur avant que le diagnostic de cancer ne soit posé.

A titre d'exemple, la douleur disséminée en zones éparses dans un membre peut difficilement être attribuable à une mononeuropathie, voire à une polyneuropathie qui ne toucherait qu'un seul membre. Elle peut, par contre, être plus logiquement attribuée à une plexopathie surtout quand la présence de tissu tumoral dans le voisinage immédiat du plexus est connue.

Si le diagnostic de plexopathie est écarté, on doit sérieusement songer à une radiculopathie (mono ou poly) imputable à un envahissement tumoral extra-rachidien (masse néoplasique para-rachidienne ou para-vertébrale envahissant ou non les trous de conjugaisons) ou intra-rachidien (masse néoplasique dans le canal dural envahissant ou non le canal dural).

Là encore, l'EMG peut aider, si disponible.

174 - Les différents plexus: deux grandes familles

De toute évidence, le diagnostic de plexopathie suppose que l'on connaisse adéquatement les différents plexus car il s'agit probablement du diagnostic le plus difficile à établir dans le cas des douleurs neurogènes en contexte de soins palliatifs "oncologiques".

Les plexus se divisent en deux grandes familles:

  • les PLEXUS SOMATIQUES
    et
  • les PLEXUS VISCERAUX.

175 - Les différents plexus: les plexus somatiques

Les principaux plexus somatiques comprennent les plexus

  • cervical, C2 à C4,
  • brachial, C5 à D1,
  • lombaire, L2 à L4,
  • lombo-sacré, L4 à S5.

Le plexus brachial donne principalement naissance aux nerfs radial, médian et cubital ou ulnaire.

Le plexus lombaire donne principalement naissance au nerf fémoral.

Le plexus lombo-sacré donne principalement naissance au nerf sciatique.

Il existe, par ailleurs, un très grand nombre de nerfs tributaires de ces plexus dont nous ne parlerons pas dans le présent texte.

176 - Le plexus cervical et ses dermatomes

Le plexus cervical reçoit, par les racines C2 à C4, les fibres en provenance des dermatomes s'étalant de C2 à C4.

Des douleurs dont l'étendue ne correspond pas à l'entièreté des dermatomes décrits sont souvent observées et peuvent survenir, par exemple, à la suite de chirurgies O.R.L. oncologiques.

177 - Le plexus brachial et ses dermatomes

Le plexus brachial reçoit, par les racines C5 à D1, les fibres en provenance des dermatomes s'étalant de C5 à D1.

Des douleurs dont l'étendue ne correspond pas à l'entièreté des dermatomes décrits peuvent survenir en présence de plexopathie brachiale.

178 - Le plexus lombaire et ses dermatomes

Le plexus lombaire reçoit, par les racines L2 à L4, les fibres en provenance des dermatomes s'étalant de L2 à L4.

Là encore, des douleurs dont l'étendue ne correspond pas à l'entièreté des dermatomes décrits peuvent survenir en présence de plexopathie lombaire.

179 - Le plexus lombo-sacré et ses dermatomes

Le plexus lombo-sacré reçoit, par les racines L4 à S5, les fibres en provenance des dermatomes s'étalant de L4 à S5.

En présence d'une atteinte lombo-sacrée, la distribution des douleurs peut, à première vue, paraître déroutante. On peut ainsi observer un syndrome douloureux comportant une douleur péri-anale gauche (S3) et une douleur au talon gauche (S1).

Il faut se rappeler qu'une des particularités des douleurs neurogènes par plexopathie néoplasique est de présenter un tableau de douleurs éparses ne respectant pas totalement l'ensemble de chacun des dermatomes. Cette distribution est pourtant logique, même si l'examen neurologique ne permet pas de dépister d'anomalie motrice. En effet, on doit se rappeler que l'atteinte motrice peut mettre plusieurs mois à se manifester.

180 - Les différents plexus: les plexus viscéraux

Les principaux plexus viscéraux comprennent les plexus

  • coeliaque,
  • mésentérique supérieur,
  • mésentérique inférieur,
  • hypogastrique,
  • pelvien ou pré-sacré.

181 - Les plexus viscéraux et leurs afférences nociceptives

  1. Le plexus coeliaque reçoit ses afférences nociceptives de l'estomac, du grêle, du caecum, de l'appendice, du colon ascendant et transverse aussi bien que du colon descendant, du sigmoïde, du rectum, du foie, de la vésicule biliaire, des canaux biliaires, du pancréas et des surrénales.

    Il reçoit aussi une part d'afférences nociceptives des reins, des uretères, des testicules, des canaux déférents, des ovaires et des trompes.

    Le plexus mésentérique supérieur reçoit ses afférences nociceptives principalement du colon transverse.

    Le plexus mésentérique inférieur reçoit ses afférences nociceptives principalement du colon descendant, du sigmoïde et du rectum.

    Le plexus hypogastrique reçoit ses afférences nociceptives du colon descendant, du sigmoïde et du rectum, de la vessie, de la prostate, des vésicules séminales, de l'urètre, des testicules, de l'utérus, des ovaires et du dôme vaginal.

    Le plexus pré-sacré ou pelvien reçoit ses afférences nociceptives du colon descendant, du sigmoïde et du rectum, de la vessie, de la prostate, des vésicules séminales, de l'urètre, de l'utérus et des organes génitaux externes.

182 - La proximité du plexus somatique lombo-sacré et du plexus viscéral pré-sacré

La représentation anatomique du plexus pré-sacré ou pelvien permet de particulièrement bien illustrer l'extrême proximité du plexus somatique lombo-sacré et du plexus viscéral pré-sacré. On comprend alors plus facilement les ravages que des masses néoplasiques peuvent entraîner quand elles se développent dans le petit bassin, à proximité de ces plexus.

Plusieurs types de cancers peuvent être mis en cause dans cette région, notamment les cancers de la prostate, de la vessie, du col utérin, de l'utérus et du rectum sans compter les métastases d'un cancer du sein ou du poumon.

Ainsi, lorsqu'une tumeur se développe dans le petit bassin, il peut être possible d'observer un tableau composé des signes et symptômes suivants:

  • des douleurs au périnée, uni ou bilatérales,
  • des douleurs dans une ou dans les deux jambes,
  • des parésies variables touchant divers groupes musculaires dans une ou dans les deux jambes,
  • une incontinence urinaire.

Une telle distribution de signes et de symptômes est possible parce que les masses néoplasiques s'étendent de façon anarchique et souvent extensive vers toutes les structures du petit bassin. L'espace étant relativement étroit, il est ainsi facile d'envahir le plexus somatique lombo-sacré et le plexus viscéral pré-sacré pour donner un tableau clinique d'une relative complexité, à première vue.

183 - Les radiculopathies et la double intrigue

Une telle présentation clinique pourrait tout aussi bien résulter non pas d'un envahissement du petit bassin touchant le plexus somatique lombo-sacré et le plexus viscéral pré-sacré mais d'une extension néoplasique para-rachidienne (ou para-vertébrale) envahissant le pourtour des racines nerveuses. La douleur neurogène par radiculopathie peut ainsi offrir un tableau clinique ressemblant à une plexopathie. L'envahissement néoplasique périradiculaire soulève cependant une double intrigue lors du diagnostic.

184 - Radiculopathies et la double intrigue: la première intrigue

La première intrigue concerne la possibilité d'une monoradiculopathie ou d'une polyradiculopathie.

Pourquoi cette question ?

Parce qu'il existe de nombreux chevauchements des afférences sensorielles dans chaque racine. Ainsi par exemple, le dermatome L5 envoie des afférences par L4, L5 et S1. Il ne faut pas confondre cette donnée anatomique d'un dermatome qui envoie ses afférences par sa racine préférentielle en utilisant en plus la racine qui lui est supérieure et inférieure avec le multiétagement faisant transit par le faisceau de Lissauer et qui prend place à l'intérieur de la moelle i.e bien après que les fibres aient fait leur entrée par les différentes racines.

Encore là, une bonne connaissance de la disposition des dermatomes vient aider grandement à situer le diagnostic. Là n'est pas la plus grande intrigue cependant. Une plus complexe reste à dénouer.

185 - Radiculopathies et la double intrigue: la seconde intrigue

La seconde intrigue, dans le cas d'une radiculopathie par atteinte néoplasique, peu importe qu'il s'agisse d'une mono ou poly radiculopathie, consiste à déterminer si l'envahissement se situe à l'extérieur du canal rachidien, c'est-à-dire en para-rachidien ou para-vertébral ou à l'intérieur de ce canal.

Dans les deux cas, la présentation clinique sera la même. Cependant, les conséquences, à court ou à moyen terme, risquent d'être considérablement différentes. La présence de tissu néoplasique dans le canal médullaire risque d'entraîner rapidement une compression médullaire dont les conséquences motrices s'ajouteront aux douleurs lorsque l'envahissement se produit en-dessus du cône médullaire (étage médullaire L1 inférieure - L2 supérieure)

ou risquent d'entraîner une compression de la queue de cheval, lorsque l'envahissement se produit en-dessous du cône médullaire.

Préciser la localisation, à l'intérieur ou à l'extérieur du canal rachidien devient d'une importance capitale. Plus de 60 % des patients atteints de cancer et qui présentent en même temps:

  • une douleur rachidienne,
  • des radiographies anormales de la colonne
    et
  • un examen neurologique normal

ont pourtant un envahissement épidural à la tomographie axiale ou à la résonance magnétique, selon les études. Cet envahissement risque de mener à brève échéance à des complications majeures motrices et sensorielles si non reconnu. Par ailleurs, cet envahissement fait partie des urgences radio-oncologiques absolues.

186 - Douleurs neurogènes: souvent une superposition de plusieurs différentes douleurs

En raison des différents mécanismes pathophysiologiques élaborés plus avant, les douleurs neurogènes se présentent souvent comme une superposition de plusieurs types de douleurs.

Ainsi, qu'il s'agisse d'une plexopathie avec atteinte plexonale multifocale, d'une monoradiculopathie ou d'une polyradiculopathie, que l'agression sur le tissu nerveux provienne d'une compression causé par l'oedème péritumoral ou par la masse tumorale elle-même, que cette agression associe compression et infiltration ou encore l'ensemble de la séquence compression-infiltration-sectionnement (Voir: DOULEUR NEUROGENE ET MASSE TUMORALE: LA SEQUENCE COMPRESSION - INFILTRATION - SECTIONNEMENT) ou que cette agression découle d'un autre contexte que le présence de cellules tumorales au pourtour du tissu nerveux, la résultante est souvent celle d'une présentation clinique où plusieurs types de douleurs se superposent. Or, cette superposition de douleurs différentes est très souvent ignorée par la personne qui a mal.

C'est l'application d'une thérapeutique adéquate qui rendra évident cet état de fait qui se révélera à l'occasion comme une surprise décevante puisqu'en traitant la douleur dans une région donnée, il sera possible d'observer à l'occasion l'apparition

  • d'une autre sorte de douleur dans la même région
    et même
  • d'une nouvelle douleur dans une nouvelle région.

Il faudra alors savoir discerner et surtour reconnaître, par une évaluation "éclairée" basée sur de bonnes connaissances physiopathologiques, la ou les différences entre les douleurs "antérieures au traitement" et les "nouvelles" douleurs ressenties depuis l'application de la thérapeutique adéquate. Les douleurs dites "nouvelles" à l'évaluation seront nécessairement différentes des douleurs "antérieures au traitement", elles étaient déjà présentes auparavant mais "cachées" par les premières qui étaient plus intenses, plus dérangeantes. Tout se déroule comme si le cerveau ne savait ou ne pouvait interpréter toutes les sortes de douleurs en même temps. De là vient peut-être cette impression décevante qu'à une douleur "réglée ou atténuée" succède une autre douleur.

187 - Douleurs neurogènes: les surprises d'un traitement adéquat !

Ainsi, en traitant adéquatement la douleur dans une région donnée, il n'est pas rare d'observer l'apparition

  • d'une autre sorte de douleur dans la même région
    et même
  • d'une nouvelle douleur dans une nouvelle région.

188 - Douleurs neurogènes: un jeu d'ombrages superposés

Les discussions autour de la classification des différentes douleurs offerte plus avant ont permis d'exposer différents mécanismes pathophysiologiques par lesquels la douleur peut se manifester. Tous sont associés à une agression sur le réseau nociceptif. Ainsi, certains processus reposent sur une activation de nocicepteurs par des substances algogènes (Voir: LE CARACTERE "AGRESSANT" DES DIFFERENTS STIMULI "DOULOUREUX" ET LA PRODUCTION DE SUBSTANCES INFLAMMATOIRES / L'ACTIVATION "PRIMAIRE" / L'ACTIVATION "PRIMAIRE": ACTIVATION ET SENSIBILISATION DES NOCICEPTEURS / L'ACTIVATION "SECONDAIRE") alors que d'autres processus découlent d'une portion ou de l'ensemble de la séquence compression-infiltration-sectionnement (Voir: DOULEUR NEUROGENE ET MASSE TUMORALE: LA SEQUENCE COMPRESSION - INFILTRATION - SECTIONNEMENT) ou encore d'un autre contexte que le présence de cellules tumorales au pourtour du tissu nerveux.

A titre d'exemple, une même personne peut donc se trouver porteuse des différentes douleurs suivantes:

  • douleurs osseuses par métastases osseuses en différents sites dont certaines côtes, l'humérus droit, la région lombaire basse et le fémur gauche,
  • hépatalgie par métastases hépatiques causant une hépatomégalie,
  • douleurs neurogènes simples au bras gauche par compression du plexus brachial,
  • douleurs accompagnées au bras gauche par envahissement du même plexus,
  • douleurs paroxystiques toujours au bras gauche pour la même raison.

En fait, que les douleurs soient provoquées par un envahissement osseux métastatique, par un étirement de capsule, qu'elles proviennent d'une plexopathie avec atteinte plexonale multifocale, d'une monoradiculopathie ou d'une polyradiculopathie, elles se présentent dans leur ensemble comme une superposition de plusieurs types de douleurs.

C'est ainsi que la douleur peut être comparée à un jeu d'ombrages superposés.

Pour illustrer ce concept d'ombrages superposés, supposons trois personnes de taille différente alignées en ordre décroissant de grandeur de sorte que la première cache la deuxième qui cache à son tour la troisième et un observateur placé à une certaine distance devant la plus grande de trois personnes. Il sera impossible à l'observateur de voir les deux personnes de plus petite taille placées derrière la personne la plus grande tant et aussi longtemps que la plus personne de plus grande taille maintiendra sa position. Ce n'est que lorsque la plus grande des trois personnes se sera déplacée que l'observateur pourra voir apparaître la personne de taille moyenne qui cachera encore celle de plus petite taille et ce n'est que lorsque la personne de taille moyenne se sera enfin déplacée que celle de plus petite taille apparaîtra enfin.

Il en va de même pour les douleurs qui peuvent se superposer dans une région donnée. La douleur la plus intense masque les autres et ce n'est qu'en la traitant avec un choix thérapeutique approprié que les autres douleurs peuvent se manifester, celles-ci provenant de mécanismes pathophysiologiques différents de ceux déjà traités. Ainsi, le fait d'éteindre ou d'atténuer le mécanisme dominant permet aux autres mécanismes pathophysiologiques de s'exprimer.

Il est même possible d'extensionner ce concept à des douleurs localisées en des endroits différents et n'ayant aucun lien pathophysiologique avec la douleur dominante la plus intense. Ce n'est qu'après avoir traité adéquatement cette douleur la plus intense, celle qui occupe toute la place, que d'autres douleurs, siégeant ailleurs, seront ressenties. Auparavant ces douleurs étaient présentes mais ignorées parce que les douleurs les plus intenses prenaient toute la place.

En fait, tel que suggéré plus avant, la raison de ces "nouvelles" douleurs qui semblent s'être révélées après un traitement analgésique "efficace" trouve probablement une partie de son explication dans les zones d'interprétation et de conscientisation des douleurs au niveau du cerveau. Le cerveau ne saurait ou ne pourrait interpréter toutes les sortes de douleurs en même temps. Il faut avoir été parent de plusieurs adolescents pour comprendre que le cerveau ne peut traiter toutes les informations en même temps!!!

189 - Les composantes non-physiques

Nous n'avons discuté, jusqu'à maintenant, que des bases pathophysiologiques des douleurs organiques et que des circuits "électroniques" sur lesquels ces mêmes douleurs reposent. Il existe pourtant un autre visage aux douleurs en contrepartie des composantes physiques: le volet des douleurs non-physiques ou encore le volet non-physique des douleurs ou encore mieux dit la douleur globale ou douleur totale.

C'est à l'ouverture vers le monde des émotions et à l'intégration des différentes composantes de ce monde avec les douleurs physiques que cette dernière portion du premier manuel sur les différentes sortes de douleurs s'attarde.

Un effort sera fait pour rattacher le volet affectif ou émotionnel, avec ses composantes psycho-socio-spirituelles classiques, à un substrat anatomique et physiologique. Ceci peut ainsi permettre d'illustrer la justesse de la vision analytique, connue depuis longtemps, reliant les nombreux phénomènes physiques et non-physiques, vécus à l'intérieur d'une même personne, et qui sont mis en branle dans le processus des douleurs qui se prolongent.

La résultante de l'intégration de deux volets affectifs ou émotionnels avec les substrats anatomiques et physiologiques doit être comprise comme une entité différente des douleurs dites "psychogènes" qui elles, ne possèdent pas de substrat anatomo-physiologique comme point de départ alors que les douleurs non-physiques ont débuté avec des substrats anatomo-physiologiques véritables.

190 - Les composantes non-physiques: leur substrat anatomo-physiologique

C'est tout l'ensemble des circuits complexes et hautement intégrés comprenant

  • le faisceau paléo-spinothalamique mais aussi les faisceaux
    • spino-réticulaires
    • spino-mésencéphaliques
    • les autres faisceaux qui leur sont reliés (spino-solitaires et autres)

qui nous offre un tel renforcement anatomo-physiologique du concept de douleur globale ou douleur totale. En fait, on attribue à ces circuits, la fonction de véhiculer, les influx nociceptifs dans les régions du cerveau gérant la composante affective de la douleur. (Voir: LE POINT D'ARRIVEE DES INFLUX NOCICEPTIFS: LES ETAGES SUPERIEURS "MODE SENSORIEL" ET "MODE AFFECTIF")

De toute évidence, le concept de douleur globale ou douleur totale en soi n'a pas besoin d'un tel renforcement. Pourtant, il est étonnant de constater comment ces très vieux circuits peuvent jouer le rôle de substratum physique au concept de "douleur globale ou totale".

En fait, le faisceau paléo-spinothalamique et les autres (spino-réticulaires, spino-mésencéphaliques, spino-solitaires) ont traversé toutes les étapes nécessaires de l'évolution des espèces, pour arriver au modèle de l'homo sapiens sapiens . Ces circuits intégrés, formés des vieilles fibres C, représentent un des héritages les plus anciens des différents circuits nerveux véhiculant les messages nociceptifs depuis nos ancêtres les poissons. Ces circuits, comme le cerveau et l'ensemble du système nerveux central, ont continué d'évoluer à travers le temps et ont connu des adaptations nombreuses et variées avant d'en arriver à l'extrême complexité que nous leur connaissons aujourd'hui.

Pendant cette évolution, les fibres du réseau paléo-spinothalamique et des autres réseaux nociceptifs se sont interconnectées avec de multiples régions ou structures du cerveau, chacune de ces régions ou structures exerçant une fonction bien précise. Parmi ces régions ou structures, on peut mentionner:

  • le système limbique, responsable de nos humeurs et de nos émotions;
  • le cortex frontal, responsable de nos normes comportementales en société;
  • la formation réticulée, responsable des mécanismes de vigilance et de la régulation du cycle d'éveil-sommeil ainsi que des circuits réglant nos fonctions vitales comme la respiration et même ceux intimement liée au contrôle "autonomique" ou involontaire de nos viscères.

Le faisceau paléo-spinothalamique est encore relié à de nombreuses autres structures. La pertinence d'en discuter plus longuement dépasse cependant le cadre de ce manuel.

Il va sans dire que, lors de stimulations douloureuses, toutes et chacune des régions et structures reliées aux faisceaux paléo-spinothalamiques et autres faisceaux nociceptifs (Voir: LE SYSTEME DE TRANSPORT DES INFLUX NOCICEPTIFS: LA PORTION CENTRALE D'ORIGINE MEDULLAIRE) deviennent "inondées" d'influx nociceptifs. Ces influx nociceptifs arrivent au cerveau, à partir de la zone douloureuse, partout et en même temps dans toutes les structures impliquées. Ce n'est qu'après cette "intense inondation" que débutent les complexes processus tels les nombreux relais de l'information, les jeux de rétroaction et de mobilisation des circuits activateurs et inhibiteurs dans les nombreuses régions cérébrales et médullaires impliquées qualifiés dans leur ensemble de mécanismes modulateurs.

Le cortex pariétal, chargé d'interpréter finalement les influx douloureux en provenance des faisceaux nociceptifs médullaires et des différentes structures cérébrales impliquées, intègre ces informations pour les traduire en perception de la douleur. Deux régions du cortex pariétal (S1 et S2) apparaissent comme étant les principaux centres corticaux impliqués dans la réception et la perception des stimuli douloureux. (Voir: LE SYSTEME DE TRANSPORT DES INFLUX NOCICEPTIFS: LA PORTION CENTRALE D'ORIGINE MEDULLAIRE / LE POINT D'ARRIVEE DES INFLUX NOCICEPTIFS: LES ETAGES SUPERIEURS "MODE SENSORIEL" ET "MODE AFFECTIF")

De tels processus, plus complexes les uns que les autres, permettent finalement que l'ensemble des informations physiques et psychoaffectives soient intégrées les unes aux autres, dans chaque personne qui souffre.

Mais le processus ne s'arrête pas là.

191 - Maladie plus douleurs: trois groupes cibles

Dès le moment du diagnostic ... (de cancer), la maladie et les douleurs qui accompagnent très souvent le cancer de façon très précoce entraînent, elles aussi, leurs fardeaux de réactions et de charges émotives.

En fait, qu'on en soit au moment du diagnostic, durant la phase de traitement et la phase de rémission tant espérée, durant la phase palliative, lors de la phase terminale ou pendant les derniers jours de vie, on peut concevoir que ces différentes phases ou étapes constituent une rude épreuve

  • pour la personne atteinte,
  • pour sa famille ou son entourage immédiat,
  • aussi bien que pour les ressources soignantes.

Il n'est pas abusif de concevoir, pendant ces périodes, que le monde des émotions soit considérablement secoué et mis à l'épreuve pour tous et chacun.

192 - Maladie plus douleurs: des impacts chez la personne atteinte

Du diagnostic à la phase terminale, des maladies telles le cancer, le SIDA ou d'autres maladies à haut potentiel de débilitation de même que les douleurs qui accompagnent ces dites maladies, entraînent chez la personne atteinte des impacts multiples. Aucun doute n'est permis à cet effet.

193 - Les douleurs: place centrale chez la personne atteinte

Du diagnostic à la phase terminale, la douleur, malheureusement, occupe souvent une place centrale chez la personne atteinte.

194 - Maladie plus douleurs: des impacts physiques et non-physiques

Ces impacts sont non seulement multiples, mais ils touchent toujours les deux dimensions de la vie: la dimension physique et la dimension non-physique.

Chaque humain étant intégralement composé de ces deux dimensions, voilà un excellent aperçu de ce que le concept de globalité sous-entend.

195 - Les impacts physiques: les différents systèmes

Du diagnostic à la phase terminale, les impacts physiques peuvent se faire sentir sur les systèmes suivants:

  • nerveux,
  • oto-rhino-laryngologique,
  • cardiovasculaire,
  • endocrinien,
  • urologique,
  • locomoteur,
  • dermatologique,
  • pulmonaire,
  • digestif
  • reproducteur.

En fait, ces impacts sont ressentis, d'une façon ou d'une autre, à travers les nombreux symptômes physiques d'inconfort témoignant d'une atteinte organique (nausées, détresse respiratoire, écoulements malodorants, fistules entéro-cutanées etc.).

S'il n'y avait que la douleur, les turbulences dans le monde des émotions seraient déjà énormes. La présence d'un ou plusieurs symptômes physiques accompagnant, s'ajoutant ou "rappelant" cette affreuse maladie qu'est le cancer vient alors grandement accentuer toutes les perturbations déjà vécues sur le plan psychoaffectif.

196 - Les impacts non-physiques: les différentes sphères de vie

Du diagnostic à la phase terminale, les impacts non-physiques, ce sont les impacts qui peuvent être ressentis par la personne atteinte dans une ou plusieurs sphères de sa vie.

Les impacts non-physiques peuvent ainsi toucher les domaines de la vie:

  • personnelle,
  • conjugale,
  • familiale,
  • professionnelle,
  • économique,
  • sociale,
  • spirituelle
  • ethno-culturelle.

197 - Maladie plus douleurs: des impacts chez la famille

Tout comme si ces impacts personnels ne suffisaient pas, on se doit d'ajouter les impacts familiaux. En effet, la maladie n'a pas de répercussions uniquement que sur la personne atteinte, elle affecte également la famille.

Ces impacts, par un retour malheureux, viennent encore ajouter au fardeau des impacts physiques et non-physiques provoqués par la maladie chez la personne atteinte. Car il faut bien le voir ainsi, les bouleversements provoqués par la maladie sur la famille sont susceptibles d'entraîner, à leur tour, des impacts chez la personne malade qui en subissait déjà un certain nombre en rapport direct avec sa maladie.

198 - Les impacts familiaux: trois sous-groupes cibles

Les impacts familiaux, ce sont à leur tour les impacts qui sont ressentis chez

  • le conjoint ou la conjointe,
  • la famille immédiate, c'est-à-dire les enfants,
  • la famille proche, c'est -à-dire les parents directs de la personne atteinte et la fratrie (père, mère, frères et soeurs),
  • la parenté plus éloignée c'est-à-dire les oncles, tantes, cousins, etc.

Ces impacts peuvent se manifester de façons extrêmement diverses chez tous et chacun des membres de la famille.

199 - Maladie plus douleurs et les impacts multiples: un premier exemple

Les deux exemples qui suivent permettent d'illustrer chacun de ces aspects.

Premier exemple

Une femme de 38 ans, atteinte d'un cancer du sein depuis l'âge de 27 ans, mariée et mère de deux adolescents, a présenté jusqu'à maintenant deux récidives qui ont, chaque fois, bien répondu à la chimiothérapie offerte, avec de longues périodes de rémission.

Depuis quelques mois, elle présente une troisième récidive qui, cette fois, n'a pas répondu totalement à l'essai de deux différents protocoles de chimiothérapie. Les réponses, toutefois, sont assez bonnes et le tableau tumoral ne semble pas en progression ces derniers mois.

Il est possible et même probable que le changement de cap dans l'évolution de sa maladie lui amène de nombreux impacts dans plusieurs domaines de sa vie.

Ainsi, elle est maintenant beaucoup plus préoccupée, inquiète, tendue. Toute sa vie personnelle s'en ressent, mais aussi sa vie conjugale et familiale.

Le mari quant à lui a recommencé à boire et un des deux adolescents a vu ses notes scolaires dégringoler et il a commencé à ne pas se présenter au domicile familial certains soirs et ce au grand désarroi des parents.

Cette personne avait une implication sociale immensément gratifiante pour elle, elle était responsable d'un groupe de jeunes au niveau du mouvement Scout et Janette de sa petite ville. Ces activités lui avaient toujours procuré beaucoup de plaisir. Or, l'évolution de son cancer depuis les derniers mois l'a empêchée de participer à cette activité et son groupe lui manque beaucoup. Elle en est grandement chagrinée.

Elle avait toujours été une bonne croyante, mais elle vit maintenant une certaine révolte intérieure vis-à-vis son Dieu qu'elle trouve injuste. Or elle se trouve incapable de témoigner ouvertement de cette révolte, elle qui est considérée comme tellement courageuse et tellement bonne croyante par son entourage.

200 - Maladie plus douleurs et les impacts multiples: un deuxième exemple

Deuxième exemple

Un homme de 44 ans, marié, père de deux enfants encore à la maison assume, à lui seul, le gagne-pain de la famille. Il a immigré au pays il y a 2 1/2 ans et a dû attendre 1 1/2 an avant de faire venir son épouse et ses enfants. Son épouse se débrouille à peine en français et en anglais.

Au cours de la dernière année, il a présenté une baisse de son état de santé et un diagnostic de cancer du poumon a été établi il y a deux mois. Le cancer n'était pas opérable au moment du diagnostic.

Il vit le diagnostic avec beaucoup de bouleversements émotifs et vit en même temps son atteinte systémique avec une certaine colère. Son épouse dit qu'il n'est plus reconnaissable.

Il appréciait son emploi mais l'emploi qu'il occupait ne lui assure pas un régime adéquat de couverture d'assurance.

Au cours des derniers mois il a dû ralentir beaucoup ses activités de travail et les entrées d'argent sont de moins en moins importantes. Il se fait beaucoup de souci à cause de cette réduction du revenu disponible pour les dépenses familiales et se culpabilise pour cette situation qu'il n'accepte pas.

Son patron, devenu de plus en plus intolérant face à ses absences répétées, exige une présence à plein temps ou rien du tout, tellement la productivité de sa petite entreprise se trouve affectée par ses absences répétées.

Le patient devra bientôt quitter son emploi, la rage au coeur.

Peu de personnes de son pays vivent dans la ville où il habite et il se sent relativement isolé et seul dans ce qu'il vit en n'ayant personne d'autre que son épouse à qui il pourrait dire dans sa langue comment il a mal et comment il souffre.

Ces deux exemples ne sont pas tirés de téléromans. Ils sont le reflet des mille et une facettes d'horreur que le cancer impose aux personnes atteintes. De tels exemples pourraient tout aussi bien être vécus avec un diagnostic de SIDA.

201 - La douleur chronique: un cercle très vicieux!

En somme, ces différents impacts vécus par voie directe ou indirecte entraînent de profonds courants de turbulence dans tout le réseau gérant l'intégration de la vie affective et comportementale.

Les conséquences en sont multiples à commencer souvent par un dérèglement du cycle d'éveil et de sommeil. Il en va ainsi pour ce qui est du seuil de la douleur qui, en présence de turbulences émotionnelles, s'abaisse considérablement, facilitant ainsi la perception des douleurs physiques beaucoup plus précocement.

La personne qui avait déjà mal connaît ainsi une accentuation de ses douleurs, même de faibles stimuli douloureux sont mal reçus dans un cerveau troublés, préoccupés, peinés, en manque de sommeil réparateur. Et pourtant, les influx nociceptifs en provenance des faisceaux paléo-spinothalamiques et autres faisceaux nociceptifs continuent d'envahir, d'inonder toutes les zones impliquées dans la perception et la gestion des influx douloureux.

En peu de temps, la douleur, de purement physique qu'elle était au début, sera ressentie comme une douleur dans le corps, doublée de multiples inconforts dans l'être.

La maladie aura pour ainsi dire recouru à un néfaste allié, la douleur, pour entraîner une cascade de bouleversements qui, bien souvent, emprisonne la personne dans le cercle vicieux de la douleur chronique.

L'ensemble de ces impacts, surajouté à une ou des douleurs présentes, entraîne une atténuation de la quantité et de la qualité du sommeil.

Les différents impacts tant physiques que non-physiques, surajoutés l'un à l'autre, éveillent, chez la personne qui a mal, de vieux sentiments qui ont accompagné la nature humaine depuis ses origines.

La fatigue s'installant, les vieux sentiments surgissent:

  • l'angoisse,
  • la détresse,
  • le désespoir,

avec comme conséquence un isolement social de plus en plus grand.

En même temps, apparaît une réduction de la capacité d'éprouver du plaisir tellement la ou les douleurs sont omniprésentes, dérangeantes et totalement envahissantes.

Toutes ces turbulences confondues entraînent un abaissement encore plus important du seuil de la douleur et la personne s'enfonce progressivement dans un gouffre, prisonnière qu'elle est d'un cercle vicieux qui ne fait que s'accentuer jour après jour.

202 - La douleur globale ou douleur totale ou la souffrance: un mal redoutable

Décidément, la douleur globale ou douleur totale ou la souffrance "tout court" est un mal redoutable à éprouver.

Il sera particulièrement important, comme nous le verrons dans le manuel II portant sur l'évaluation de la ou des douleurs, d'en identifier toutes les composantes, sans quoi toute gestion analgésique risque de devenir, en partie, vide de sens, n'apportant alors qu'une portion des bénéfices qu'elle aurait dû produire.

203 - Fin

FIN DU MANUEL I