Les étapes en soins palliatifs

L'ANNONCE DE LA FIN PROCHAINE

Pour bien saisir toute la portée des soins palliatifs, je propose ce petit exercice : mettez-vous dans la peau d'une personne qui a lutté et qui continue encore de lutter contre une maladie très pénible et difficile, en ayant constamment en tête que cette maladie est fatale et que la science ne pourra peut-être pas vous sauver. 

Entre l'espoir et le désespoir, votre cœur et votre courage vacillent et finalement, le coup de massue : le verdict : «On ne peut plus rien faire pour vous!»; «Vous avez peut-être encore quelques mois à vivre!»; «Restez chez-vous et profitez du temps qu'il vous reste!».

Souvent, la personne qui doit annoncer la mauvaise nouvelle donnera le diagnostic d'une façon vague et imprécise ou pire encore, elle annoncera sans émotion une mort proche et s'empressera de quitter rapidement la pièce pour ne pas être témoin de la première réaction de son patient. Je ne veux en aucun cas débattre ni faire le procès de qui que ce soit, mais notre société considère encore trop souvent la mort comme un échec et conséquemment, tout est mis en place pour faire taire les personnes et masquer la souffrance : «Attention! Ici c'est un hôpital. Silence!»; «Les cris, les gémissements et les hurlements sont des choses qui ne se font pas... c'est de l'hystérie!». 

LES ÉTAPES POUR ACCEPTER L'ANNONCE 1

L'annonce devrait toujours être faite par des professionnels en mesure de comprendre ce que pourrait vivre le patient, le soutenir dans sa détresse tout en le rassurant sur la suite des événements et les possibilités de recevoir de l'aide. Ce n'est pas parce que la science ne peut plus rien faire que le malade est déjà mort Il faut simplement se dire qu'à partir d'ici, tout reste à faire. 

Les pleurs sont le premier moyen que notre corps possède pour exorciser la souffrance et la douleur. Pleurer peut permettre une amorce de soulagement et le fait de pleurer constitue une réaction normale, mais pas la seule, à l'annonce d'une mort prochaine. D'autres réactions sont toutes aussi normales. 

Le corps réagit physiquement et émotionnellement en paliers dif­férents, lors de l'annonce d'une très mauvaise nouvelle. C'est en quelque sorte un réflexe automatique, une protection naturelle pour ne pas craquer sous l'impact du choc provoqué par l'annonce de cette nouvelle. Ces «paliers» de réactions sont essentiellement : 

Le choc émotif :

La première réaction après l'annonce, c'est le choc. La capacité émotionnelle de la personne ne peut en prendre plus. C'est comme recevoir une gifle ou un énorme coup de masse sur la tête. 

Cet état de choc peut durer de quelques secondes à quelques heures, selon l'intensité de l'effet surprise et aussi de la personnalité de chaque individu. 

En état de choc émotif, tout le système nerveux est ébranlé : le pouls s'accélère au point de donner l'impres­sion que le cœur va sortir de la poitrine, le visage devient visiblement pâle, les membres deviennent mous et certains individus vont jusqu'à la perte de conscience. Ce choc émotif peut même entraîner un malaise cardiaque dans des cas extrêmes. La personne peut aussi devenir «hystérique» ou «figée». Dans presque tous les cas, elle agit comme si elle avait perdu tout contrôle sur ses réactions et ses émotions. 

Exemple :
Après avoir encaissé un grand choc émotif, la per­sonne retourne à la maison. Une fois rendue à desti­nation, elle ne se souvient plus du tout où elle a garé sa voiture quelques instants plus tôt. 

Autre exemple :
Toujours après un grand choc émotif, la personne n'a aucun souvenir de ce qui s'est passé durant son trajet de retour. 

Il est très important de ne jamais laisser seule une personne en état de choc et le rôle de l'aidant est de l'accompagner en la rassurant et d'attendre qu'elle sorte d'elle-même de son état de stupeur. 

La négation (refus d'accepter) :

Le choc n'étant pas encore totalement absorbé, le refus d'accepter la mauvaise nouvelle joue un rôle de «soupape» pour évacuer la pression en trop. La per­sonne tentera alors de nier la réalité. 

Elle est incapable d'affronter la réalité en face et elle assimilera le choc à un affreux cauchemar qui prendra fin dès son réveil au son d'une voix lui disant que ce n'était qu'un mauvais rêve. Cette réaction est tout à fait normale et permet à la personne de reprendre ses esprits tout en tentant de faire face à la réalité d'une autre façon. 

Exemple :
Certaines personnes vont se comporter comme si rien n'était arrivé. D'autres diront que les médecins se sont trompés. D'autres encore, se retrancheront dans un mutisme complet et il sera interdit d'aborder ou de discuter de cette question avec elles ou en leur présence. Le sujet sera dorénavant tabou, car trop souffrant! 

Certains malades resteront dans cette phase jusqu'à leur mort. Des membres de la famille sont eux aussi susceptibles de garder cet état d'esprit jusqu'à la mort du malade. 

Le rôle de l'aidant dans cette étape de négation, sera d'écouter avec patience, de respecter la personne sans toutefois entretenir cette négation. De plus, ce sera également à lui, sans confronter ni affronter le malade, de le ramener à la réalité, de replacer les choses dans leur contexte réel. Il ne devra pas non plus forcer un dialogue; il laissera plutôt le temps agir pour que ce dialogue s'installe par lui-même entre lui et le malade. 

La colère ou la révolte :

La personne se rend peu à peu à l'évidence de sa mort prochaine et cessera graduellement de nier la réalité. Elle se sentira envahie par un sentiment de colère et/ou de révolte. Cette agressivité pourrait se retourner contre les professionnels de la santé, les proches ou d'autres personnes. Cette étape est nor­male : l'extériorisation de la colère doit absolument se manifester pour d'abord évacuer cette colère et ainsi, progresser vers une acceptation du verdict. 

Exemple :
Le malade vous dira : «Pourquoi moi? Qu'ai-je donc fait pour mériter cela?» Il sera en colère, et pourrait refuser de revoir le médecin ou tout autre professionnel de la santé (ou une personne en particulier) qu'il juge responsable de sa maladie. Certains vont même reprocher à leurs familles de ne pas les comprendre car eux, ils ne sont pas malades. 

Pendant cette étape, l'aidant évitera toute action visant à réprimer cette colère. Au contraire, il devra faire en sorte que le malade l'exprime. Dès lors, l'aidant devra s'armer d'une patience à toute épreuve et démontrer beaucoup d'amour envers le malade. Généralement, c'est durant cette étape que les aidants commencent à prendre leurs distances et s'éloignent progressivement du malade: ils encaissent très difficilement cette agressivité à leur endroit. 

L'espoir ou le marchandage : 

Après les émotions difficiles des précédentes étapes, la personne cesse de nier la réalité et entre dans une «phase de négociations» afin de gagner du temps. Elle reprend espoir, n'accepte pas la fin imminente et tente par divers moyens de se raccrocher à la vie. C'est une période d'ambivalence et de marchandage. 

Exemples :
Certaines personnes tenteront des cures miracles, voudront recevoir des traitements expérimentaux ou «essaieront» des potions d'herbes naturelles réputées pour lutter contre le cancer. D'autres iront de promesses comme d'assister à la messe chaque dimanche si Dieu les guérit! Ou encore, elles fonderont de grands espoirs dans une éventuelle découverte scientifique qui les guérira ou dans la mise au point d'un nouveau traitement aboutissant au même résultat. 

Encore une fois, cette étape est humaine et nécessaire. Qui peut prédire avec certitude la date et l'heure de sa mort? L'espoir c'est vivre et l'être humain a été programmé pour vivre et survivre. C'est une réalité fortement ancrée chez certains individus. 

L'aidant accompagnera le malade dans ses démarches, le respectera dans ses choix et ses décisions. 

L'espoir réaliste doit être soutenu et même encouragé, mais il faudra éviter le piège facile d'entretenir des mensonges ou de faux espoirs. L'aidant honnête gardera les deux pieds sur terre lorsqu'il constatera que l'espoir entretenu par le malade est irréaliste. Un moyen efficace pour «ramener» le malade à des espoirs moins utopiques, c'est de lui rappeler certains signes et symptômes de sa maladie. Il réalisera ainsi lui-même ainsi le non-sens de cet espoir. 

Le désespoir ou la dépression :

Lorsque le malade réalise que sa maladie continue de progresser et que ni le déni, ni la colère ou ni les marchandages vont y changer quelque chose, il aura alors tendance à se sentir déprimé. Il ne peut plus esquiver la réalité d'une mort certaine et il doit s'y préparer. La tristesse et l'isolement s'installent et dans certains cas, la dépression aussi. La peur de souffrir, de mourir seul ou la crainte d'être un fardeau pour les proches se fait de plus en plus présente. 

Exemple :
Le malade pleure souvent et exprime sa volonté d'en finir au plus vite. Il argumentera le plus souvent sur sa situation inhumaine et pourrait même aller Jusqu'à réclamer l'euthanasie. Il avouera à des proches qu'il sait qu'il ne s'en sortira pas et qu'il pense mourir bientôt.

Le rôle de l'aidant à ce niveau sera de l'écouter, de le laisser pleurer et même de pleurer avec lui s'il en a envie. Les pleurs sont l'expression de la tristesse et de l'impuissance à changer les choses. Dans la mesure de ses moyens, l'aidant rassurera le malade et l'aidera à traverser cette douloureuse épreuve. Lui témoigner toute l'affection et l'assurer d'un support constant (... être là!). Rester honnête et répondre aux questions avec délicatesse. Discuter avec des profes­sionnels de la santé le plus tôt possible si les symptômes dépressifs s'amplifient ou pire, si le malade manifeste des tendances suicidaires.

La résignation ou l'acceptation :

Après la pluie, le beau temps! Sortie de sa déprime, le malade accepte maintenant l'issue sans souhaiter mourir tout de suite pour autant. Il est calme, en paix avec lui-même et envers les autres. Il parle de sa mort sereinement et peut même donner un sens à sa vie versus sa mort. Pour certains malades, cette même étape se vit différemment : ils communiquent peu ou pas du tout et s'isolent dans leur «bulle» de silence. 

Exemple :
Le malade dira : «Je suis prêt à partir, tous mes papiers sont en règle», ou encore : «Je suis content de la vie que j'ai eu et je pars en paix», ou même : «La mort ne me fait plus peur et je souhaite mourir à la maison avec mes enfants à mes côtés».

Même à ce stade, en apparence plus facile, le malade pourrait encore se décourager ou trouver que la vie est injuste. Le rôle de l'aidant sera d'écouter et de ras­surer. Il devra réaliser qu'il faudra, à lui aussi, respecter la décision du malade et le laisser partir. L'aidant prendra conscience par le fait même de ses propres émotions et les acceptera. 

Accepter de laisser partir, c'est ne plus se battre contre la mort mais la laisser venir, de la laisser prendre notre être aimé. Ce sont des mots si faciles à dire... 

Il est possible qu'une personne malade vive toutes les étapes évoquées jusqu'ici. Il est également possible qu'elle «bloque» à une étape en parti­culier et ne jamais vivre les autres. Il arrive même que des individus meurent en pleine période de déni de leur maladie ou en colère. 

L'acceptation est le but idéalement souhaité :
«Sommes-nous dans les souliers de celui qui meurt?»

La vraie question que l'aidant doit se poser avant tout est : 
«Suis-je prêt, comme aidant, à accepter la mort de mon être cher (ou de mon proche) comme lui le désire?» ou «Est-ce que je souhaite lui faire vivre mon idéal de mort?»

Il est important de noter que le malade et son aidant vivront ensemble ces mêmes étapes. Le soignant vivra lui aussi ces étapes de détachement progressif, à son propre rythme, en tenant compte de ses limites. Ce rythme sera bien souvent différent de celui du malade lui-même. 

Certains aidants cheminent très bien et lors du décès de leur proche, ils ressentent une paix bienfaisante et un sentiment de sérénité apaisant. Peu de pleurs et de tristesse au point de s'en sentir coupables : «Suis-je normal? Je ne ressens que peu de peine!». En fait, leur deuil est déjà à moitié fait, car leurs émotions face à la perte ont déjà été vécues au fil des semaines, mais il restera toujours l'absence concrète et réelle à apprivoiser. 

  • 1. Ces étapes sont inspirées du modèle des étapes du deuil de la personne mourante, selon le Dr Élizabeth Kübler-Ross.
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