Notes personnelles dans une perspective de soins palliatifs "oncologiques" Par : Brizard, André, MD
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Les atteintes physiques découlant des atteintes néoplasiques sont souvent multisites, ces atteintes touchent un ensemble de systèmes ou d'organes dans lesquels différents symptômes physiques, dont la douleur, peuvent se manifester. Les symptômes découlant des atteintes au niveau physique sont alors mis en évidence au moment de la revue des systèmes.
Il est ainsi classique de faire référence aux différents systèmes suivants lors de toute évaluation:
Cet exercice de revue des systèmes permet d'identifier des problèmes physiques dans l'ensemble des sphères de la composante somatique. Cette façon de percevoir l'étendu des impacts physiques permet par ailleurs d'en faire un parallèle avec l'autre monde, celui du psyché, où se déroule, dans le contexte des douleurs sévère et prolongée, une intense activité dont les répercussions sur chaque personne qui a mal risque parfois d'être marquante pour de longues périodes de vie. L'exercice de revue des systèmes peut être élargi afin de s'adresser aux impacts non-physiques. Il devient alors possible d'avoir une certaine assurance que l'ensemble des impacts à la fois dans le corps (impacts physiques) et dans l'être (impacts non-physiques) a été adéquatement identifié.
Tout comme il existe un ensemble de systèmes organiques dont il a été fait mention précédemment, il existe aussi différentes dimensions de la vie où peuvent être ressentis et vécus les multiples impacts en rapport avec la douleur et la maladie.
De tels impacts peuvent ainsi être vécus dans chacune des dimensions suivantes de la vie:
C'est à ces différentes dimensions que l'on s'adressera lors de l'évaluation des personnes qui ont mal. La recherche des impacts non-physiques devrait se faire idéalement en parallèle avec la revue des systèmes physiques. On l'appellera la revue des domaines de vie pour faire le pendant avec la revue des systèmes physiques.
Le "comment" sera explicité dans le Manuel II portant sur l'évaluation des douleurs.
La douleur, la maladie et les impacts qui en découlent, tant physiques que non-physiques, touchent directement le monde des émotions. Ce monde porte en chacun de nous trois vieux sentiments qui accompagnent la nature humaine depuis très longtemps dans l'histoire de l'humanité. Ces trois vieux sentiments sont de plus très intimement reliés l'un à l'autre.
Ils sont:
De nombreux contextes de vie risquent de venir alimenter et même accentuer très nettement ces vieux sentiments quand une personne qui a mal se trouve au prise avec le cancer, le SIDA ou encore une maladie débilitante organique.
Parmi ces contextes se trouvent des peurs, souvent nombreuses, et des pertes, tout autant nombreuses, parfois cruellement imposées par les douleurs et la maladie. Peurs et pertes guettent malheureusement tous et chacun au prise avec ces conditions. Ainsi commence donc, avec un tel duo, le bal infernal des sentiments négatifs. Un risque très net existe cependant de voir ces sentiments négatifs prendre de plus en plus de place chez la personne qui souffre. Un bal donc qui risque de se terminer en cauchemar pour plusieurs qui ont mal.
L'effet net de ces trois "vieux" sentiments, combien encore actuels, sera de venir rehausser, parfois très considérablement, l'intensité des douleurs physiques ressenties par la personne qui a mal, intensité à laquelle on réfère souvent en terme d'échelle de douleur mais qui en fait véhicule aussi les dimensions désagréables de la douleur.
Le monde des émotions joue donc un rôle-clé modulateur dans l'échelle de la douleur. Bien plus, il est aussi responsable de l'autre échelle, celle de la souffrance devrait-on dire plus précisément. Et ce rehaussement de l'échelle des douleurs causé par une telle influence "négative" modulatrice des vieux sentiments humains ne répondra que très peu aux approches pharmacololgiques antalgiques usuelles qui incluent très souvent des opiacés. En fait, les opiacés n'ont jamais été des anxiolytiques, ils ne le sont pas encore et ne le seront jamais.
Il faudra donc se tenir toujours très loin de l'association malsaine et regrettable à laquelle la méconnaissance des différentes sortes de douleur et de la gestion analgésique peut mener, soit DOULEUR EGALE OPIACES ou encore de cette autre association tout aussi malsaine et regrettable soit LA DOULEUR AURAIT DÛ DIMINUER AVEC LES OPIACÉS. La douleur est un phénomène beaucoup trop complexe pour des associations aussi réductrices. Il y a beaucoup plus à considérer et à faire.
Douleurs et maladie sont de mauvais amalgames. Douleurs et cancer sont probablement pires encore. Au niveau cognitif, les impacts sont souvent nombreux. La concentration, la mémoire, la capacité d'apprentissage, de conceptualisation, d'élaboration sont souvent mis à rudes épreuves. C'est en fait toute la manière de penser et de fonctionner de la personne atteinte qui se trouve "ébranlée".
A lui seul, le rehaussement de la douleur physique découlant de l'ensemble des répercussions associées à la douleur et à la maladie (cancer, SIDA, maladie organique débilitante) vient déjà affecter les processus cognitifs, mais il y a plus. Ces répercussions affectent souvent en profondeur le monde des émotions qui devient comme "baigné" dans un univers de courants négatifs. A tout cela s'ajoute, enfin, l'effet amplificateur néfaste des trois vieux sentiments sur la personne: voilà de quoi entraîner, de toute évidence, d'assez fortes perturbations dans la manière de penser et de fonctionner de la personne atteinte et même dans le processus de la pensée lui-même.
Ces perturbations sont à ce point observables qu'il arrive très souvent que la personne atteinte:
angoisse,
colère,
tristesse,
désarroi,
peur,
qu'elle est en train de vivre ou "plutôt" de subir dans les nombreuses dimensions de sa vie
En somme, l'expression de la souffrance énoncée dans le: "J'ai tellement mal que je suis mal", est à ce point vrai qu'il est difficile d'imaginer de la/des douleurs sans qu'il existe des conséquences sur la vie affective et intellectuelle de toute personne soumise à une ou des douleurs qui se prolongent le moindrement.
Et plus la douleur se prolonge, plus la personne qui a mal s'engouffre progressivement dans un cercle vicieux dont il devient à peu près impossible de sortir sans une aide quelconque extérieure.
Ainsi, plus la douleur physique augmente, plus le sommeil se trouve affecté et réduit tant en qualité qu'en quantité. Plus le sommeil se trouve perturbé, plus les vieux sentiments deviennent prédominants. Plus les vieux sentiments deviennent prédominants, plus l'anxiété augmente, plus la tristesse et le désespoir, mêlés ou non à de la colère, prennent de la place dans la vie affective de la personne. Plus les vieux sentiments deviennent prédominants, plus la personne a tendance alors à réduire ses activités de vie quotidienne et sa vie sociale. Plus les activités de vie quotidienne et de vie sociale sont réduites, plus la personne s'isole. Plus la solitude devient grande, plus l'isolement devient lourd et plus s'additionnent les facteurs d'une grande souffrance.
Cette alchimie néfaste qui se déroule dans la composante affective ou émotionnelle de la vie a pour conséquence, parmi d'autres, d'entraîner un abaissement du seuil de la douleur. L'abaissement du seuil de douleur signifie alors une plus forte perception de la douleur physique, c'est ainsi que la spirale inflationniste de la douleur et de la souffrance s'accélère et se creuse de plus en plus avec le temps.
La personne qui a mal s'en trouve prisonnière. Décidément, la douleur chronique est un mal redoutable et une fort mauvaise compagne de tous les jours.
Plus la douleur se prolonge, plus la douleur se conforme à une des définitions de la douleur chronique.
La douleur chronique, au sens de la définition propre, telle qu'on peut la retrouver dans la littérature, est une douleur qui répond à un ou plusieurs des trois critères suivants. Elle est une douleur qui:
On devrait facilement accepter qu'il ne soit pas nécessaire d'atteindre cette définition "à la lettre" pour en imaginer tous les impacts particulièrement celui de l'emprisonnement dans un cercle vicieux des plus néfastes.
En fait, dès que la douleur se prolonge le moindrement, elle commence déjà à faire subir ses contrecoups. Personne, absolument personne d'entre-nous n'est à l'abri de ces contrecoups.
Afin d'en arriver à avoir une vue d'ensemble des différentes douleurs, il importe d'en fournir un mode de classification. Il existe plusieurs façons de classifier les douleurs selon l'angle sous lequel on examine celles-ci. L'IASP en offre le standard depuis des années.
La classification proposée dans la présente série "Ces personnes qui ont mal" concerne les douleurs physiques rencontrées dans un contexte de soins palliatifs oncologiques. Elle repose sur une combinaison entre les bases anatomo-patho-physiologique et clinique et se veut un résumé fort simple en même temps qu'un aide-mémoire des classifications souvent plus complexes que l'on retrouve dans la littérature médicale. Elle ne se retrouve nulle part dans la littérature classique puisqu'elle est un hybride de plusieurs sous-formats de classification. Cette classification telle que proposée dans le projet actuel n'a jamais été publiée jusqu'à maintenant bien qu'elle ait été présenté des centaines de fois dans des conférences et qu'elle soit l'outil de tous les jours dans le milieu universitaire où l'auteur oeuvre.
Cette façon de voir ou de comprendre les douleurs se veut en même temps un outil facile à mémoriser et à utiliser au chevet de chaque personne qui a mal.
Malgré son extrême simplicité, cette classification regroupe la très très grande majorité des entités douloureuses rencontrées en cliniques de soins palliatifs oncologiques, elle permet ainsi de poser des diagnostics chez la grande majorité des personnes évaluées dans de tels contextes.
Ses bases anatomo-patho-physiologique et clinique font en sorte que son utilisation peut s'étendre à d'autres contextes d'atteinte organique (diabète, post-chimiothérapie, SIDA etc.).
Cette classification "simplifiée" ne représente bien sûr qu'une partie du tableau "douloureux". Elle représente la douleur ressentie "dans le corps" i.e. la douleur physique alors qu'il existe deux contreparties pour la douleur non-physique:
Le chapitre des douleurs chroniques psychogènes i.e. sans aucune pathologie organique "décelable" ne fait pas l'objet de ce manuel ni de la présente série. Ce chapitre mérite une perspective d'analyse et une approche relativement plus élaborée que celle présentée dans les six manuels de la présente série "Ces personnes qui ont mal". La perspective de cette série concerne les douleurs rencontrées en soins palliatifs oncologiques et ne prétend pas s'étendre aux perspectives que les cliniques de douleur chronique doivent rencontrer.
Le chapitre des douleurs chroniques psychogènes i.e. sans aucune pathologie organique "décelable" ne fait pas l'objet de ce manuel ni de la présente série. Ce chapitre mérite une perspective d'analyse et une approche relativement plus élaborée que celle présentée dans les six manuels de la présente série "Ces personnes qui ont mal". La perspective de cette série concerne les douleurs rencontrées en soins palliatifs oncologiques et ne prétend pas s'étendre aux perspectives que les cliniques de douleur doivent rencontrer.
L'explication de l'entité non-physique "ressentie dans l'âme" avec ses bases psycho-socio-spirituelles figure dans le deuxième volet de ce manuel. La première partie se limite aux bases anatomo-patho-physiologiques et cliniques de la douleur.
Une bonne connaissance des deux entités complémentaires (douleurs physiques et souffrance) permet de mieux saisir
Les expressions "douleur globale", "douleur totale" et "approche globale" ne devraient ainsi être utilisée qu'après
Lorsque ces conditions ne sont pas respectées, de telles expressions deviennent rapidement vides de sens. Il ne sert pas à grand chose non plus d'en disserter longuement "pour le plaisir de disserter" si on n'a pas exploré avec la personne qui a mal toutes les dimensions de vie "heurtéés" par les douleurs et si la personne qui a mal ne bénéficie pas d'interventions qui témoignent d'un souci de ces différentes dimensions.
La classification proposée, regroupant quatre entités, anatomiques, physiologiques, pathologiques et cliniques représente une classification hybride puisqu'elle contient des portions provenant de ces différentes entités. Avant d'en arriver à cette classification "simplifiée", trois modes de classification sont revus succinctement afin d'illustrer le recoupement que la classification "hybride" offre. Ces trois classifications concernent les trois angles suivants:
Une classification plus "uniforme" des douleurs se limitant par exemple au volet "anatomo-physiologique" pourrait offrir la vision suivante.
Il existe deux grandes familles de douleur:
Chacune de ces deux grandes familles de douleurs se subdivise à son tour.
La douleur NOCICEPTIVE comprend deux sous-types anatomiques:
La douleur NEUROGENE, quant à elle, comprend deux différents sous-types anatomiques
Pour chacune des douleurs NEUROGENES TANT SOMATIQUES QU'AUTONOMIQUES, l'atteinte peut se situer dans deux sous-portions anatomiques:
Cette façon de classifier n'offre aucune information "clinique", à savoir par exemple sur les façons dont les douleurs peuvent être ressenties (constance, intensité, caractère ressenti ... ). Cette classification ne permet pas non plus d'orienter la gestion analgésique particulièrement en regard du choix parmi l'arsenal des analgésiques et des co-analgésiques.
Une classification purement clinique permet de dégager les différents caractères par lesquels les douleurs peuvent se manifester. Cette classification plus "uniforme" des douleurs se limitant cette fois-ci au volet "clinique" pourrait offrir la vision suivante.
Les douleurs possèdent trois grands caractères cliniques:
Le caractère "TEMPOREL" des douleurs peut se définir selon deux modes de présentation:
• constance avec intensité constante
• constance avec intensité un peu variable
• constance avec intensité très variable mais sans jamais disparaître complètement sinon cette dernière deviendrait intermittente.
La douleur INTERMITTENTE peut se présenter sous deux modes:
• un début progressif
• un début extrêmement soudain.
La douleur INTERMITTENTE, peu importe son mode de présentation repose sur deux paramètres:
• la durée
• l'intensité
L'INTENSITE DE LA DOULEUR INTERMITTENTE peut manifester les deux types suivants:
• une intensité identique pour chaque survenue de douleur
• des intensités variables à chaque survenue de douleur.
LA DUREE DE LA DOULEUR INTERMITTENTE peut manifester les deux types suivants:
• une durée identique pour chaque survenue de douleur
• des durées variables à chaque survenue de douleur.
Le caractère "QUALITE OU SENSATION PARTICULIERE" peut être ressenti "cliniquement' selon divers modes:
ou encore
• une douleur
• "BRULURE",
• "PICOTEMENT",
• "ENGOURDISSEMENT",
ou encore
• une douleur avec sensation
• D'ECRASEMENT,
• DE PRESSION,
• DE QUELQUE CHOSE QUI SERRE
CONSTAMMENT / PAR EPISODES BREFS
• DE QUELQUE CHOSE QUI POUSSE
CONSTAMMENT / PAR EPISODES BREFS
ou encore
• une douleur avec sensation
• D'ELANCEMENT
• DE TORSIONS,
• DE COLIQUES,
• DE CRAMPES,
• DE DECHIREMENTS,
• DE TIRAILLEMENTS,
• DE PINCEMENTS.
Aucune information "anatomo-physiologique" ni "pathophysiologique" n'est cette fois disponible à partir de cette façon de classifier. Cette classification ne permet pas plus que la précédente d'orienter la gestion analgésique particulièrement en regard du choix parmi l'arsenal des analgésiques et des co-analgésiques.