Ces personnes qui ont mal

Notes personnelles dans une perspective de soins palliatifs "oncologiques" Par : Brizard, André, MD

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151 - La douleur neurogène paroxystique ou "en salves"

La douleur neurogène paroxystique ou "en salves" souvent comprise dans un sens large et erroné comme étant l'équivalent d'une douleur "par désafférentation" peut être due à:

  • une compression nerveuse sévère, responsable d'une instabilité électrique se manifestant par des épisodes soudains et intenses de douleurs,
     
  • une infiltration du tissu nerveux par des cellules néoplasiques dont la progression et la sévérité auront causé d'intenses dommages aux structures neuronales à commencer par les membranes et les microtubules responsables du transport des nutriments intracellulaires. Certains neurones pourront ainsi avoir subi un sectionnement (ils auront été déafférentés) alors que de nombreux autres neurones, malgré l'intensité de l'agression, auront réussi "à survivre" mais au prix de transformations profondes dans leur structure et dans leur stabilité électrique,
     
  • des changements morphologiques variables au niveau des fibres nociceptives, changements cependant non reliés à la compression ou à l'infiltration tumorale mais attribuables à divers autres facteurs (diabète, chimiothérapie, chirurgie, radiothérapie, séquelles post-infection, séquelles post-traumatisme etc.).

A la différence du contexte des douleurs accompagnées, ces conditions sont, dans l'ensemble, susceptibles d'occasionner une destruction plus massive des neurones nociceptifs (... et aussi des autres neurones tant sensoriels que moteurs). Toujours à la différence des douleurs accompagnées, ces lésions n'entrainent pas d'instabilité électrique en continue au niveau des membranes lésées, l'instabilité électrique se manifeste plutôt en paroxysmes ou en salves.

152 - Le phénomène de désafférentation

Le phénomène de désafférentation se produit lorsque l'agression neuronale a été suffisante pour provoquer l'équivalent d'un sectionnement d'un neurone afférent (nociceptif ou de tout autre neurone sensitif) créant de ce fait une dénervation neuronale c'est-à-dire une perte de communication entre la partie distale i.e. celle rattachée aux différents nocicepteurs et la partie proximale qui elle est rattachée à la portion synaptique et qui permet d'assurer la communication avec les neurones nociceptifs centraux. Cette dernière portion (la partie proximale) contient le corps cellulaire ainsi que le noyau logés au niveau du renflement radiculaire appelé "ganglion radiculaire". La désafférentation est un état de fait, elle est la résultante de processus agresseurs sur les neurones.

La désafférentation peut être due à:

  • une compression nerveuse sévère qui a entraîné de la nécrose neuronale
  • une infiltration du tissu nerveux par des cellules néoplasiques dont la progression aura causé le sectionnement de nombreux axones,
  • des changements morphologiques variables attribuables à divers facteurs (diabète, chimiothérapie, chirurgie, radiothérapie, post-infection, traumatisme etc.) dont l'importance aura été telle qu'ils auront entraîné à leur tour de la nécrose neuronale et un sectionnement.

Dans la compréhension conceptuelle du phénomène de désafférentation, il importe de différencier désafférentation au niveau neuronal et désafférentation au niveau d'un nerf, d'un plexus ou d'une racine.

Ainsi, lorsque considérée à l'échelle du neurone,

  • la désafférentation ne peut être qu'entière, le neurone étant sectionné ou non i.e. ayant totalement perdu la communication avec la portion distale.

Cependant, considérée à l'échelle d'un nerf, d'un plexus ou d'une racine,

  • le phénomène de désafférentation peut alors être partiel ou complet, selon le pourcentage d'axones sectionnées dans la structure concernée (Voir: DOULEUR NEUROGENE ET MASSE TUMORALE: LA SEQUENCE COMPRESSION - INFILTRATION - SECTIONNEMENT). La destruction partielle d'un nerf, plexus ou d'une racine mène à de la désafférentation "partielle" alors que la destruction complète, i.e. celle résultant du sectionnement de tous les neurones "nociceptifs" composant un nerf, un plexus ou une racine réfère à une désafférentation "complète"; dans ce cas, les autres axones sont habituellement sectionnés eux aussi. Ainsi, une amputation d'un membre mène à un sectionnement complet c'est-à-dire à une désafférentation complète pour les neurones sensitifs alors que l'envahissement d'un plexus par une masse tumorale mène d'abord à une désafférentation partielle qui peut ultimement évoluer vers une désafférentation complète.

Comme expliqué précédemment, ces agressions focalisées ou disséminées entraînent une importante réaction inflammatoire. Cette importante réaction inflammatoire accompagnera le processus de réparation neuronale dans toutes ses étapes. Il y aura donc toujours production et accumulation progressive de tissu fibreux cicatriciel dans le pourtour des zones de réparation et de regénération. Les zones ainsi touchées sont plus particulièrement les zones où se sont déroulées:

  • des fermetures des brèches

    et

    • des tentatives de régénération membranaire axonale ou dendritique. Dans ces régions apparaissent des repousses appelées projections ou ramifications ou excroissances ou repousses ou bourgeons de regénération dont le nombre variera selon les circonstances.

Le processus de régénération axonale menant à la production de projections multifocales vise au moins deux grands objectifs:

  • redonner une intégrité neuronale à chaque neurone lésé en réparant et en fermant les brèches,
     
  • rétablir la connexion, grâce aux projections ou aux repousses, avec les portions les plus distales des axones lésés afin de reprendre la communication avec la zone d'innervation périphérique "perdue", aussi distante soit elle. Cette zone périphérique "perdue" consiste en fait des champs récepteurs appartenant aux nocicepteurs qui ont été désafférentés. Ces processus de regénération donnent parfois, dans leur cheminement à travers le réseau nerveux lésé (nerf, plexus ou racine), de très longs prolongements "relativement ramifiés" et "passablement erratiques".

Sur le plan physiopathologique, les portions "réparées" des neurones (brèches réparées ou repousses nouvelles) sont des portions qui connaissent la plupart du temps beaucoup d'instabilité sur le plan électrique. Des influx nociceptifs de types autant continus que paroxystiques sont alors susceptibles de prendre naissance dans ces régions, influx qui deviendront des douleurs neurogènes dans la définition la plus pure de ce type de douleur. Par ailleurs, ces portions "réparées" finissent par baigner dans des amas de fibrose à travers lesquels la médication ne pénètre que très difficilement, les zones de fibrose étant en elles-même très peu perméables à tout type de substance. Certaines de ces régions conserveront cette "hyperexcitabilité électrique" en permanence lorsque tous les processus inflammatoires auront été terminés et qu'il ne restera que des "amas neuronaux désorganisés" intégrés dans des "paquets de fibrose" cicatricielle rigide. La gestion pharmacologique des douleurs neurogènes originant de ces conditions sera donc bien souvent malheureusement limitée.

C'est dans de tels contextes qu'on associe souvent "douleurs paroxystiques", "phénomène de désafférentation" et même "douleurs de désafférentation". Cependant, dans les faits, douleurs paroxystiques et phénomène de désafférentation ne sont pas synonymes, la désafférentation étant par définition un phénomène anatomique alors que les douleurs paroxystiques sont des phénomènes électrophysiologiques qui ont plus souvent tendance à se produire en présence de désafférentation.

153 - Lésions nerveuses: processus de régénération neuronale et concept de plasticité neuronale

En rapport avec des situations d'agression sur le réseau nociceptif, il a été dit jusqu'à maintenant que ces agressions entraînaient un processus de réparation et de régénération de la membrane neuronale (brèches, repousses parfois très longues) et que ces zones de réparation possédaient une excitabilité électrique accrue qui est susceptible de mener à la création d'influx nociceptifs "ectopiques". En fait, le processus de réparation et de régénération neuronale avec l'instabilité qui s'ensuit contribue à un des volets des transformations profondes que vivent les neurones face à des agressions, transformations qui sont regroupées sous le concept de plasticité neuronale.

Ces processus s'accompagnent de deux conséquences redoutables qui font toutes les deux parties intégrantes du phénomène de plasticité neuronale:

  • l'activation des NMDA
    et
  • la participation du système nerveux autonome sympathique.

L'hyperexcitabilité électrique dans les fibres périphériques lésées a pour conséquence d'augmenter la production et la libération de neurotransmetteurs nociceptifs, ce qui est susceptible de mener à l'activation des récepteurs NMDA qui, à leur tour, amplifieront le message nociceptif (wind-up) directement au niveau de la membrane neuronale du neurone central (c'est la membrane post-synaptique de la zone d'échanges nociceptifs au niveau de la corne postérieure). A regret parfois, cette amplification s'installera en permanence pour contribuer aux douleurs chroniques (Voir: LES RECEPTEURS NMDA ET ... LES RECEPTEURS NON-NMDA: LEURS ROLES EN SITUATION NORMALE et LES RECEPTEURS NMDA ET ... LES RECEPTEURS NON-NMDA: LEURS ROLES EN SITUATION D'HYPERACTIVITE PERIPHERIQUE).

Par ailleurs, cette même hyperexcitabilité électrique dans les fibres périphériques lésées amène le système nerveux autonome sympathique (SNAS) à participer lui aussi à sa façon à amplifier le message nociceptif en agissant directement sur les nocicepteurs en périphérie. (Voir: LE SYSTEME "SYMPATHIQUE" ... QU'IL NE FALLAIT PAS OUBLIER! / LA MULTI-CONVERGENCE ET SES REPERCUSSIONS: LE DECLENCHEMENT D'UNE REPONSE SYMPATHIQUE REFLEXE HYPERACTIVE / LES DOULEURS COMPLIQUEES D'UNE PARTICIPATION "SOUTENUE" DU SYSTEME NERVEUX AUTONOME SYMPATHIQUE / LE SYSTEME "SYMPATHIQUE" ... QU'IL NE FALLAIT PAS OUBLIER!)

Ces deux participations (NMDA et SNAS) font partie des transformations dites d'adaptations neuronales mieux définies sous le vocable de plasticité neuronale. En fait, de nombreux autres changements à la fois anatomiques, physiologiques, électrophysiologiques et biochimiques sont observables lorsque les événements de plasticité neuronale surviennent. Les pages qui suivent en décrivent un certain nombre.

154 - Processus de régénération: caractéristiques et constituants de la membrane neuronale jeune

Lorsque le processus de régénération axonale multifocale se met en branle, les brèches sont refermées progressivement dans toutes les régions lésées. Au moment où surviennent ces réparations apparaissent "quelques inégalités" au niveau des surfaces membranaires reconstruites, anodines au premier regard de la dimension microscopique. On pourrait être porté à croire que le processus "de guérison" tire déjà à sa fin. Tout sur le plan anatomique paraît être en place pour mener à un processus de maturation sans qu'aucune répercussion électrophysiologique ne se produise. Et pourtant, dans un certain nombre de cas, il n'en est pas ainsi. Il en est même tout autrement.

Ces "quelques inégalités" sont en fait des "irrégularités" anatomiques véritables qui commencent à se manifester sous forme de repousses axonales. Ces repousses axonales qualifiés de "bourgeons de régénération" sont parfois observables en plusieurs endroits où la membrane neuronale a été lésée. Elles constituent le premier stade de la portion "régénération adaptative pathologique" du processus complexe de plasticité neuronale. A ce premier stade de bourgeons de regénération vont bientôt voir se succéder des repousses allongées, ramifiées et erratiques dont l'importance variera selon les circonstances. (Voir: LE PHENOMENE DE DESAFFERENTATION)

Tout ce processus de régénération axonale multifocale produit des membranes neuronales "jeunes" qui, dans le cas des fibres A delta, ne sont pas d'emblée enveloppées de la gaine de myéline qui les recouvre naturellement. Dans le cas des fibes C, cela pourrait paraître ne faire aucune différence à prime abord, pourtant le comportement de ces zones membranaires "nouvelles", autant pour les fibres A delta que C, sera altéré comme il sera présenté ultérieurement. Dans le cas des fibres A delta, celles-ci se retrouvent donc "non protégées" en comparaison avec leur situation habituelle. Il en sera ainsi pour les autres fibres A alpha et A bêta lorsqu'elles vivent des processus de régénération semblables.

Pour expliquer en partie le comportement électrique altéré de ces membranes neuronales "toutes jeunes", il importe de préciser qu'elles contiennent, dès leur reconstruction, plusieurs complexes protéiques que l'on retrouve comme faisant partie intégrante de leur constitution en situation anatomique normale. Ainsi, elles sont munies:

  • des récepteurs alpha-adrénergiques,
  • des canaux sodiques
    de même que
  • des canaux calciques.

C'est ainsi que le début des douleurs "infernales" vient parfois de commencer (le début du commencement, pourrait-on dire!) avec ce qui aurait n'être qu'un processus de guérison de dimension physiologique mais qui en fait devient rapidement un processus de guérison "pathologique".

Lorsque le processus de régénération axonale multifocale se met en branle, les brèches sont refermées progressivement dans toutes les régions lésées. Au moment où surviennent ces réparations apparaissent "quelques inégalités" au niveau des surfaces membranaires reconstruites, anodines au premier regard de la dimension microscopique. On pourrait être porté à croire que le processus "de guérison" tire déjà à sa fin. Tout sur le plan anatomique paraît être en place pour mener à un processus de maturation sans qu'aucune répercussion électrophysiologique ne se produise. Et pourtant, dans un certain nombre de cas, il n'en est pas ainsi. Il en est même tout autrement.

Ces "quelques inégalités" sont en fait des "irrégularités" anatomiques véritables qui commencent à se manifester sous forme de repousses axonales. Ces repousses axonales qualifiés de "bourgeons de régénération" sont parfois observables en plusieurs endroits où la membrane neuronale a été lésée. Elles constituent le premier stade de la portion "régénération adaptative pathologique" du processus complexe de plasticité neuronale. A ce premier stade de bourgeons de regénération vont bientôt voir se succéder des repousses allongées, ramifiées et erratiques dont l'importance variera selon les circonstances. (Voir: LE PHENOMENE DE DESAFFERENTATION)

Tout ce processus de régénération axonale multifocale produit des membranes neuronales "jeunes" qui, dans le cas des fibres A delta, ne sont pas d'emblée enveloppées de la gaine de myéline qui les recouvre naturellement. Dans le cas des fibes C, cela pourrait paraître ne faire aucune différence à prime abord, pourtant le comportement de ces zones membranaires "nouvelles", autant pour les fibres A delta que C, sera altéré comme il sera présenté ultérieurement. Dans le cas des fibres A delta, celles-ci se retrouvent donc "non protégées" en comparaison avec leur situation habituelle. Il en sera ainsi pour les autres fibres A alpha et A bêta lorsqu'elles vivent des processus de régénération semblables.

Pour expliquer en partie le comportement électrique altéré de ces membranes neuronales "toutes jeunes", il importe de préciser qu'elles contiennent, dès leur reconstruction, plusieurs complexes protéiques que l'on retrouve comme faisant partie intégrante de leur constitution en situation anatomique normale. Ainsi, elles sont munies:

  • des récepteurs alpha-adrénergiques,
  • des canaux sodiques
    de même que
  • des canaux calciques.

C'est ainsi que le début des douleurs "infernales" vient parfois de commencer (le début du commencement, pourrait-on dire!) avec ce qui aurait n'être qu'un processus de guérison de dimension physiologique mais qui en fait devient rapidement un processus de guérison "pathologique".

155 - Processus de régénération: propriétés électrophysiologiques des bourgeons axonaux de régénération

Les membranes jeunes "toute nouvellement formées" présentent un comportement d'instabilité électrique considérable sur toute leur étendue. Ainsi, des phénomènes de dépolarisation deviennent observables pratiquement en tous points au niveau des brèches fermées et des bourgeons de régénération. Cette dépolarisation se fait de façon anarchique et mène alors à la création d'influx nociceptifs nombreux qui se présentent de façon tout aussi anarchique et erratique.

Plusieurs propriétés peuvent être observées au niveau des brèches réparées et des excroissances axonales ou bourgeons de regénération. Quatre de celles-ci nous permettent de mieux comprendre la complexité clinique des douleurs neurogènes, en particulier le caractère paroxystique ou "en salves".

Premièrement, témoin de la grande instabilité électrique et donc d'une grande excitabilité, ces bourgeons de régénération en arrivent à se dépolariser "en apparence spontanément", générant ainsi des salves d'influx qui surviennent par paroxysmes.

Ces salves d'influx, ayant pris naissance dans les portions "lésée" et dans les portions nouvellement "réparées" des fibres nociceptives C et A delta acheminent donc vers le cerveau, i.e. en DIRECTION AFFERENTE, des messages douloureux.

Ces événements de dépolarisation spontanée "ectopique" sont en fait analogues à des phénomènes d'épilepsie motrice à la différence qu'ils se produisent dans une fibre sensorielle nociceptive i.e. en direction "afférente". Dans le cas de l'épilepsie motrice classique, les phénomènes de dépolarisation se produisent dans une zone cicatricielle du cortex moteur pour être acheminés, à partir du cerveau, par les fibres motrices vers la périphérie i.e. en DIRECTION EFFERENTE.

Dans le cas de l'épilepsie motrice, le phénomène sous-jacent peut se résumer ainsi:

  • dépolarisation "en apparence spontanée" d'une population de neurones du cortex cérébral moteur ---> influx acheminés le long des neurones moteurs vers la périphérie (EFFERENCES MOTRICES) ---> avalanche d'activités motrices incontrôlables en périphérie.

Dans le cas présent, un phénomène réciproque ou inverse se produit:

  • dépolarisation "en apparence spontanée" trouvant origine dans des portions de membranes nouvellement réparées ou nouvellement formées appartenant à des fibres C ou A delta nociceptives (brèches et bourgeons de régénération) ---> influx acheminés le long des neurones nociceptifs vers le cerveau (AFFERENCES NOCICEPTIVES) ---> avalanche de messages douloureux comparable à une crise "d'épilepsie nociceptive" mais parvenant cette fois-ci au cerveau et non pas provenant de celui-ci.

Cette analogie est si juste que le traitement pharmacologique proposé pour les douleurs neurogènes paroxystiques repose particulièrement sur l'emploi d'anticonvulsivants et de stabilisateurs de membranes, comme on le verra dans le manuel III portant sur la gestion de la douleur avec les co-analgésiques.

Deuxièmement, les zones membranaires récemment réparées et celles en croissance (repousses, bourgeons, projections, ramifications ou excroissances) sont extrêmement sensibles aux stimuli mécaniques. Tout mouvement ou toute variation de tension mécanique dans leur environnement a pour effet d'accentuer considérablement les phénomènes de dépolarisation déjà facilement produisibles au point d'être parfois "d'apparence spontanée". Ainsi peut-on mieux comprendre, à titre d'exemple, pourquoi les personnes porteuses d'une plexopathie brachiale, attribuable à un envahissement néoplasique ou consécutive à une radiothérapie, ont tendance à positionner leur bras dans une attitude antalgique figée. Le bras se trouve habituellement appuyé contre le thorax, l'avant bras est fléchi et accolé à la paroi abdominale. Tout mouvement du bras, spontané ou imposé, déclenche des douleurs très intenses qui tardent souvent à disparaître une fois le déclenchement accompli.

Troisièmement, ces mêmes zones membranaires sont également extrêmement sensibles à toute stimulation adrénergique. Or, il existe toujours une certaine participation autonome sympathique dans toute douleur le moindrement accentuée qu'elle soit nociceptive ou neurogène.

Cette propriété de sensibilité accrue à toute stimulation adrénergique est probablement en cause dans la pathophysiologie de base du quatrième type de douleur neurogène décrit dans la classification simplifiée proposée, le syndrome régional complexe avec participation sympathique "sympathetically maintained pain" autrefois appelé dystrophie sympathique réflexe.

On peut imaginer, dans ces circonstances, que tout phénomène de tension, stress, angoisse, irritabilité voire manque de sommeil puisse avoir pour effet, à cause de la relâche accentuée qu'il entraîne à la fois de catécholamines circulantes et de neurotransmetteurs adrénergiques, d'augmenter l'excitabilité membranaire des membranes nouvellement regénérées et donc de faciliter encore plus les dépolarisations spontanées et la production d'influx nociceptifs ectopiques.

Quatrièmement, les zones membranaires regénérées peuvent être subdivisés en diverses sous-populations selon la valeur de leur seuil d'activation. Ainsi, certains sous-segments membranaires, réparties dans les zones de régénération, se dépolariseront au moindre stimulus alors que d'autres sous-populations vont nécessiter un stimulus un peu plus important pour ce faire. En outre, on observe des variations semblables quant aux seuils d'activation dans les zones de dépolarisations dites spontanées.

Cette dernière propriété contribue pour une certaine part à expliquer les résultats décevants voire même certains échecs thérapeutiques concernant la gestion de certaines douleurs neurogènes avec les co-analgésiques et cela malgré le fait:

  • d'une bonne connaissance des bases pathophysiologiques des douleurs,
  • d'une évaluation fondée sur cette connaissance
    et
  • d'un choix thérapeutique éclairé concernant les co-analgésiques.

Une part de ces échecs pourrait s'expliquer par le fait

  • que l'abaissement du seuil d'activation soit devenu tellement marqué que toute dépolarisation même très légère permette déjà d'atteindre le seuil d'activation nécessaire à la création d'un influx et cela même en présence de médicaments sensés réduire l'instabilité électrique,
     
  • que certaines sous-populations de bourgeons soient tellement isolées dans un environnement "imperméable" de tissu fibreux cicatriciel qu'aucune concentration plasmatique, même lorsque suffisamment élevés pour créer des effets secondaires systémiques, ne puisse amener une concentration locale "thérapeutique" suffisante pour bloquer la dépolarisation spontanée.

Le Manuel III de cette série, portant sur la gestion de la douleur avec les co-analgésiques, discutera plus en détail de ces phénomènes.

156 - Les canaux sodiques et calciques: pourquoi tant d'insistance ?

Pourquoi, en parlant du processus de régénération et des caractéristiques et constituants de la membrane neuronale jeune autant d'insistance sur les canaux sodiques et calciques? Pour une raison fort simple: ils jouent un rôle prépondérant dans l'ensemble des phénomènes de dépolarisation cellulaire et de production des influx nociceptifs dans le cas présent.

À l'état normal, toute cellule vivante est polarisée, c'est-à-dire qu'elle possède une charge positive à l'extérieur parce que la concentration en ions sodiques, Na+, est plus élevée à l'extérieur de la cellule que celle des ions potassiques, K+, qui se retrouvent pour leur part en plus grande concentration à l'intérieur de la cellule.

Quand survient une stimulation sur la membrane neuronale, certains canaux ioniques, les canaux sodiques en l'occurence, commencent à s'ouvrir pour laisser entrer le Na+ à l'intérieur de la cellule, ce qui change lentement le potentiel trans-membranaire vers des valeurs "moins" négatives. A partir d'un certain niveau de dépolarisation correspondant au seuil d'activation, par exemple après être passé de - 70 mV à - 40 mV, d'autres canaux sodiques, calciques et potassiques, ceux-ci "voltage-dépendant", s'ouvrent "soudainement" tout grand. Cette ouverture "soudaine" a pour effet de laisser entrer une abondance de nouveaux ions Na+ mais surtout une très grande abondance d'ions Ca++. Une dépolarisation massive et soudaine responsable d'un changement "instantané" de polarisation se produit. Cette dépolarisation massive et soudaine occasionne la production d'un influx électrique qui se propage alors dans la fibre. L'influx ou le courant électrique ainsi créé dans une fibre nociceptive transporte une information nociceptive qui sera interprétée par le cerveau comme un message douloureux puisqu'il aboutira dans des régions du tronc cérébral et du cerveau responsables de la réception et de l'interprétation des messages nociceptifs. On appelle ces influx nociceptifs des "afférences nociceptives".

Dans les microsecondes qui ont suivi la création d'un influx, la polarisation i.e. le potentiel trans-membranaire de la cellule s'est retrouvé fortement inversée: l'intérieur de la cellule est devenu chargé positivement, l'extérieur négativement. Il faudra par la suite un retour à la polarisation "normale" i.e. une repolarisation avant que de nouveaux influx puisssent être créés. Cette repolarisation se fera par l'ouverture d'autres canaux qui permettront aux différents ions impliqués (surtout Na+, Ca++ et K+) de retourner à leur position de départ. C'est ainsi que vont s'ouvrir tout particulièrement des canaux potassiques pour faire sortir le surplus d'ions potassiques, K+, de la cellule afin de rétablir le potentiel transmembranaire de repos. Durant un bref moment, le potentiel transmembranaire deviendra même trop "négatif" avant de retourner à ses valeurs de potentiel de repos, ce sera la courte phase d'hyperpolarisation.

Plus le phénomène de dépolarisation spontanée est intense et répété, plus le cerveau reçoit de messages douloureux c'est-à-dire "d'afférences nociceptives" et plus l'intensité des douleurs s'accentue.

(Voir: LE PHENOMENE DE DEPOLARISATION "MEMBRANAIRE" ET LE SEUIL D'ACTIVATION / LES DIFFERENTS "CANAUX IONIQUES" / LE PHENOMENE D'HYPERPOLARISATION "MEMBRANAIRE")

157 - Plasticité: les conséquences structurelles

Les changements rapportés jusqu'à maintenant se sont attardés surtout à décrire les événements survenant au niveau membranaire suite à des situations d'agression sur le réseau nociceptif périphérique. Les conséquences attribuables aux lésions subies par les fibres nerveuses nociceptives sont loin de se limiter aux changements décrits jusqu'à maintenant. En fait, les changements regroupés sous le concept de plasticité touchent de nombreuses facettes autant structurelles, biochimiques qu'électrophysiologiques. Différentes structures cellulaires participent aux phénomènes "d'adaptation pathologique", plus élégamment appelé "phénomènes de plasticité neuronale", menant aux douleurs difficiles à contrôler et responsables pour une part de la chronicisation des douleurs.

Ainsi, plusieurs cellules contribuent de façon déterminante aux processus de plasticité. Parmi ces cellules on retrouve:

  • des cellules neuronales non nociceptives telles les cellules gliales normalement présentes au niveau du tissu nerveux et en l'occurence au niveau de la corne postérieure, soient
    • les astrocytes,
    • les oligodendrocytes
    • les cellules microgliales immunocompétentes
    • des cellules non neuronales telles les cellules T immunocompétentes (lymphocytes T) reconnues pour infiltrer la corne postérieure suite à des agressions tissulaires loco-régionales exercées directement au niveau de la moelle ou sur les neurones sensoriels et donc nociceptifs périphériques.
158 - Plasticité: les conséquences biochimiques

Ces différentes cellules participent toutes à leur façon aux processus inflammatoires menant à la mise en branle de phénomène de reconstruction et aux processus de sécrétions de substances inflammatoires qui viennent perturber l'homéostasie des échanges nociceptifs.

Les changements regroupés sous le concept de plasticité neuronale et découlant de lésions subies par les fibres nerveuses touchent aussi la facette "environnement biochimique" en raison des nombreuses substances retrouvées lors des événements de plasticité survenant au niveau de la corne postérieure. Ces substances participent à leur tour aux phénomènes d'adaptation "pathologique" menant aux douleurs difficiles à contrôler et responsables pour une part de la chronicisation des douleurs tel que suggéré plus avant.

La contribution des cellules gliales à l'homéostasie au niveau de la corne postérieure est étonnante. Elle repose sur une modulation exercée sur différents neurotransmetteurs tant nociceptifs qu'antinociceptifs tels:

  • le glutamate,
  • la sP,
  • l'acétylcholine,
  • l'acide gamma-amino-butyrique (GABA),
  • le 5-HT (sérotonine),
  • la norépinéphrine
    et
  • l'adénosine.

Ces substances originent soit des neurones nociceptifs périphériques, soit des faisceaux inhibiteurs descendants ou soit des interneurones habitant la corne postérieure. Dans leur rôle de modulation, les cellules gliales peuvent, selon les cironnstances,

  • autant faciliter les échanges nociceptifs donc augmenter les douleurs
    que
  • faciliter les influx inhibiteurs descendants et donc réduire les douleurs.

Les cellules gliales sont particulièrement reconnues pour accumuler en intra-cellulaire d'importantes quantités de glutamate, de GABA et de glycine. Elles peuvent de cette façon exercer leur contribution à la régulation des échanges nociceptifs (inhibition vs facilitation) au niveau de la corne postérieure. A titre d'exemple, les cellules gliales contribuent à la régulation des échanges synaptiques impliquant l'acétylcholine (ACh) en sécrétant une protéine se liant à l'ACh alors qu'elles contribuent à celles impliquant le glutamate en modifiant une sous-unité protéique composant le récepteur NMDA ce qui altère alors la réponse du récepteur NMDA aux stimulations exercées par le glutamate.

En présence d'agressions de divers types, ces différentes cellules sont alors activées de sorte que leur fonction physiologique devient perturbée. Ainsi, la corne postérieure devient infiltrée par des cellules T immunocompétentes (lymphocytes T), un des effet connu de cette infiltration sera de provoquer une perte d'intégrité dans la barrière hémo-encéphalique dans l'environnement loco-régional.

Par ailleurs, tant les cellules gliales que les lymphocytes T vont alors produire une panoplie de substances qui auront comme effet de perturber la modulation physiologique des échanges nociceptifs au niveau de la corne postérieure. Parmi les substances ainsi produites et qui se retrouvent dans l'environnement extra-cellulaire figurent:

  • certaines cytokines dont des interleukines, des neurotrophines et du TNF (tissue necrosis factor),
  • du monoxyde d'azote (NO),
  • des prostaglandines,
  • de l'histamine,
  • de l'adenosine triphosphate (ATP),
  • de la glycine
    et
  • du glutamate.

Parmi les changements observables au niveau de la corne postérieure en présence d'agression sur les fibres nociceptives, on réalise finalement que "l'entrée en activité" de certains récepteurs biochimiques situés au niveau des membranes post-synaptiques, notamment les récepteurs N-méthyl-D-aspartate (NMDA) ne représente qu'une portion seulement des "adaptations pathologiques" beaucoup plus complexes qui se déroulent à ce niveau (Voir LES RECEPTEURS NOCICEPTIFS-CLE: LES RECEPTEURS NMDA).

En fait, il se déroule de profondes perturbations biochimiques particulièrement au niveau du corps cellulaire du neurone nociceptif central (le début des faisceaux spinothalamiques et les autres) qui seront discutées ultérieurement.

159 - Plasticité: les conséquences "électrophysiologiques" centrales

À partir du moment où des foyers de dépolarisation ectopiques, provoqués ou spontanées, se manifestent au niveau des fibres nociceptives périphériques et au niveau des structures membranaires post-synaptiques apparaît le phénomène d'hyperstimulation nociceptive.

En présence d'un tel phénomène, il devient possible d'observer des changements "électrophysiologiques" de plusieurs ordres. Des activités "électriques" anormales sont non seulement observables au niveau de la corne postérieure mais ils peuvent aussi être observés à plusieurs niveaux des relais ascendants, notamment dans: (MZ 214 D P3)

  • les faisceaux ascendants nociceptifs (spinothalamiques et autres),
  • le thalamus,
  • le cortex sensitif (pariétal).

Ces activités électriques anormales peuvent s'exprimer de diverses manières:

  • des influx commencent à se propager dans les neurones centraux avec une fréquence anormalement élevée, souvent sous forme de longues traînées d'influx qui conservent leur régularité,
     
  • ailleurs, des salves de décharges paroxystiques spontanées de durée variable s'entremêlent à ces traînées d'influx anormalement élevées en fréquence.

Plus les lésions sont sévères et importantes, plus ces anomalies prennent de l'importance car les phénomènes "d'hyperexcitation et d'hyperexcitabilité" jouent un rôle de plus en plus marqué.

Un des éléments-clé pouvant être observé à cet égard concerne l'apparition d'activités ectopiques "spontanées" avec des fréquences anormalement élevées dans les fibres des faisceaux néo-spinothalamiques et des différentes composantes du faisceau paléo-spinothalamique particulièrement lors de leur passage au niveau des relais centraux médullaires (bulbe).

De telles décharges électriques spontanées paroxystiques avec fréquences anormalement élevées s'observent aussi au niveau du thalamus qui est le plus important relais pour les circuits nociceptifs et les autres circuits sensitifs.

Le fossé se creuse ainsi de plus en plus entre ce qui était au point de départ une stimulation soutenue d'un ensemble de nocicepteurs ou d'une zone neuronale lésée (par un processus tumoral ou par un autre type d'agression) et les douleurs qui sont maintenant éprouvée.

Plus les lésions en périphérie sont sévères, plus ces anomalies prennent de l'ampleur reflétant le fait que les changements dits de plasticité deviennent de plus en plus importants. Ces cascades de changements accompagnent les changements électrophysiologiques "d'hyperexcitation et d'hyperexcitabilité" qui ont d'abord débuté au niveau de la membrane postsynaptique et qui jouent par la suite un rôle de plus en plus marqué. Ici et toujours, les changements se produisent comme "à l'envers du bon sens". Plus les douleurs sont importantes, plus les phénomènes de plasticité contribuent à l'amplification de ces mêmes douleurs et plus elles s'intensifient. Etrange phénomène que l'inflation nociceptive dans la nature! Une pharmacologie "dédiée et rationnelle" deviendra donc ultimement nécessaire.

De tels changements électrophysiologiques sont aussi observés dans le cas où les neurones centraux deviennent le siège d'agressions mais, à ce moment, ces anomalies électrophysiologiques prendront beaucoup plus de temps, plusieurs semaines voire plusieurs mois, avant de se développer alors qu'il ne faut que quelques heures à quelques jours pour les voir apparaître dans le cas d'hyperstimulation d'origine périphérique.

Ces observations permettent de comprendre certaines réserves au sujet des blocs nerveux lytiques et des interventions neurochirurgicales quand l'espérance de vie d'une personne en phase palliative dépasse 6 à 9 mois. Après une période de trêve de quelques mois dans les douleurs, trêve découlant de ces interventions ayant eu pour effet de créer une désafférentation, pourraient apparaître de nouvelles douleurs alors pires que celles pour lesquelles ces interventions avaient été offertes (Voir Manuel V de cette série portant sur les approches non-médicamenteuses). Choix déchirants bien sûr face à des douleurs redoutables que celui de désafférenter ou non mais combien regretté lorsque les douleurs post désafférentation sont installées.

Aussi profonds puissent être les changements de plasticité découlant, à leur départ, de lésions organiques structurelles sur le réseau nociceptif, il n'en demeure pas moins qu'il ne faut cependant jamais interpréter ces explications comme une tentative de réduire le problème complexe des douleurs chroniques, sans bases organiques identifiées, à une telle simplification. D'autres mécanismes pathophysiologiques extrêmement complexes et encore mal connus se déroulent dans les méandres du réseau limbique pour faire en sorte d'amplifier les aspects "désagréments" des douleurs chroniques pour lesquels l'arsenal pharmacologique est encore réduit à presque rien. Les approches non-pharmacologiques demeurent encore les préférées dans ces circonstances.

160 - Plasticité et douleurs "mystérieuses": les répercussions cliniques des différents changements

Il se pourrait bien que plusieurs de ces altérations, à la fois nombreuses et importantes, expliquent en partie certains types de douleurs qui semblent un peu mystérieuses de prime abord:

  • les douleurs d'un "membre fantôme",
  • les douleurs consécutives à une cordotomie, une lyse (phénolisation) neuronale,
  • ainsi que de nombreuses autres douleurs nous paraissant difficiles à expliquer et même à accepter, pour certains cliniciens, comme étant véritable!

Même dans les contextes oncologiques, certaines de ces douleurs paraissaient encore douteuses à certains cliniciens jusqu'à l'arrivée d'une technique d'investigation tout à fait impressionnante qu'est la tomographie par émission de positrons ( TEP ou PET scan). Il faut avoir vu, en contexte oncologique, certains cas où le TEP montrent un imposant fardeau tumoral disséminé totalement ou presque totalement ignoré par d'autres modalités modernes d'investigation par imageries telles la Résonnance magnétique et la Scintigraphie osseuse pour croire que les douleurs signalées par les patients ... étaient bien vraies.