Ces personnes qui ont mal

Notes personnelles dans une perspective de soins palliatifs "oncologiques" Par : Brizard, André, MD

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131 - La douleur nociceptive viscérale: une description schématique

Classiquement, les douleurs nociceptives viscérales sont décrites comme profondes, coliques ou "en torsion" et donc intermittentes mais, comme expliqué précédemment dans la classification, elles peuvent aussi être constantes. Tout dépend des caractéristiques pathophysiologiques sous-jacentes.

Lorsqu'elles sont coliques, elles sont par définition intermittentes puisque le caractère colique aura nécessairement une durée variable. Dans ces cas, le caractère d'intermittence peut se présenter de cinq façons selon les paramètres du début, de la durée et de l'intensité:

  • à son début, la douleur peut survenir subitement,
  • à son début, la douleur peut survenir progressivement,
  • pour chaque épisode, la douleur peut avoir une durée et une intensité semblables,
  • pour chaque épisode, la douleur peut avoir une durée semblable et une intensité différente,
  • pour chaque épisode, la douleur peut avoir une durée différente et une intensité semblable.

Lorsque constantes, les douleurs viscérales sont généralement décrites, par la personne atteinte, comme des douleurs profondes, "envahissantes". A ce moment, le caractère de constance peut se présenter de trois façons:

  • une douleur constante avec une intensité constante,
  • une douleur constante avec certaines variations dans l'intensité,
  • une douleur constante avec beaucoup de variations dans l'intensité.
132 - La douleur nociceptive viscérale: pathophysiologie des nausées / vomissements associés

Il est connu que lors de douleurs viscérales intenses, des nausées et des vomissements peuvent faire partie du tableau clinique.

Ces nausées et vomissements découlent d'une stimulation du centre du vomissement par les influx douloureux. Ces influx douloureux sont acheminés par la portion sensitive du nerf vague (Xe nerf crânien) vers le noyau vague sensitif ( le noyau ou tractus solitaire) au niveau du tronc cérébral. Ce noyau est situé à proximité du centre du vomissement, lui même situé à proximité du noyau moteur du vague. Le centre du vomissement transmet ainsi des influx vers le noyau moteur du vague qui lui, est responsable du déclenchement des mouvements de péristaltisme inversé et donc des vomissements.

133 - La douleur nociceptive viscérale: des exemples

Les douleurs viscérales existent sous deux formes: coliques et constantes.

En ce qui a trait aux douleurs coliques ou spastiques, quelques exemples sont proposés suivant le viscère touché:

  • tube digestif et les douleurs d'occlusion intestinale,
  • canal cholédoque et les douleurs de cholélithiases ou de colique biliaire,
  • uretère et les douleurs de coliques néphrétiques,
  • vessie et les douleurs de cystite aiguë.

Des exemples de douleurs viscérales constantes sont les suivantes:

  • foie et multiples métastases hépatiques causant une hépatomégalie qui finalement devient hépatalgie,
  • vessie et les douleurs causée par la distension d'une rétention urinaire marquée,
  • oeil et le glaucome où les phénomènes de pression dépassent les phénomènes de distension.

D'autres exemples un peu moins évidents de prime abord appartiennent aussi aux douleurs viscérales:

  • les douleurs migraineuses "pulsatiles" sont des douleurs viscérales puisque les vaisseaux ont le même type d'innervation que n'importe quel viscère i.e. une innervation autonome qui dans le réseau vasculaire est à dominance sympathique. Par ailleurs, les fibres nociceptives en provenance des nocicepteurs situés dans la paroi des vaisseaux sont des fibres C.
  • l'otite moyenne aiguë, douleur tellement fréquente durant l'enfance, comporte des douleurs qui sont des deux types exposés précédemment. En effet l'inflammation intense du tympan provoque une douleur somatique, alors que l'accumulation de pus dans l'oreille moyenne finalement responsable de la distension du tympan provoque la composante viscérale. On doit se rappeler, en effet, que le vague (nerf X) innerve les structures de la gorge et de l'oreille interne et que certaines conditions ORL provoque des douleurs référées à l'oreille. La douleur viscérale l'emporte habituellement très nettement sur la douleur somatique présente au début à ce point qu'une rupture du tympan, donc une réduction de la distension, causera un soulagement presque "instantané" de cette douleur.
134 - La douleur neurogène ou neuropathique

Nous avons vu jusqu'à maintenant que la douleur nociceptive provient de la stimulation d'un nocicepteur "intact" et exige une totale intégrité c'est-à-dire une absence complète de toute forme de lésions dans le réseau nerveux qui sert à l'acheminement des influx douloureux, soit le réseau nociceptif et cela à partir du nocicepteur jusqu'au thalamus.

Il en est autrement pour la douleur neurogène qui ne trouve son existence qu'en présence de lésions sur les voies nerveuses nociceptives, ceci incluant les lésions touchant les nocicepteurs bien sûr. Il s'agit de la définition la plus fondamentale de la douleur neurogène ou neuropathique.

La douleur neurogène ne provient pas de la stimulation physiologique usuelle des nocicepteurs soit de l'activation par des substances inflammatoires algogènes ou de l'activation par des situations provoquant de l'étirement. Elle provient plutôt de dommages qui se sont produits "dans le câblage nerveux nociceptif". C'est à partir des régions lésées sur le "câblage nerveux nociceptif" que le cerveau reçoit des influx douloureux anormaux qui souvent se manifestent par d'énormes distorsions dans le signal nociceptif.

Ce message nociceptif "brouillé et distordu" peut prendre deux aspects:

  • être continu et alors des douleurs "qui font mal" sans autre caractère que celui de douleurs "douleurs" ou encore des douleurs cette fois-ci "accompagnées" d'un ou de plusieurs caractères autre que celui de faire mal sont alors ressenties; les qualificatifs de paresthésies ou de dysesthésies donnés à la composante accompagnatrice sont en fait des échelles de degré d'intensité, une paresthésie devenant dysesthésie lorsque son intensité devient dérangeante (Voir: UN LEXIQUE "DOULOUREUX")


    ou
     

  • survenir par intermittence sous forme de décharges ou secousses soudaines et intenses, des douleurs paroxystiques ou "en salves" seront alors ressenties.

Bien que la définition "puriste" s'attarde au réseau nociceptif, la douleur neurogène peut tout aussi bien provenir de dommages qui se sont produits "dans le câblage nerveux sensitif non-nociceptif" soit celui véhiculé par les fibres A bêta. Dans ces cas, c'est toujours à partir des régions lésées mais cette fois-ci sur le "câblage nerveux sensitif non-nociceptif" que sont créées les douleurs neurogènes acheminées vers les neurones centraux qui se chargent alors d'envoyer vers le cerveau des influx douloureux anormaux qui encorre se manifestent par d'énormes distorsions dans le signal nociceptif. (Voir: LA DOULEUR NOCICEPTIVE: LES SUBSTANCES INFLAMMATOIRES, LA SENSIBILISATION)

135 - La douleur neurogène: les constituants anatomiques

La douleur neurogène est donc attribuable à des lésions affectant les voies nerveuses nociceptives, i.e. les fibres conduisant la douleur, et ce, à partir de n'importe quel nocicepteur en périphérie et ce jusqu'au cortex sensitif. La douleur neurogène peut tout aussi bien provenir de dommages dans le réseau sensitif non-nociceptif tel qu'expliqué précédemment. (Voir: LA DOULEUR NEUROGENE (OU NEUROPATHIQUE))

Ces lésions peuvent toucher

  • aussi bien les nocicepteurs
  • que tout élément du circuit nerveux nociceptif dont les composantes sont les structures suivantes:
    • les nerfs périphériques,
    • les plexus somatiques et viscéraux,
    • les racines,
    • les synapses,
    • les faisceaux médullaires transportant les messages douloureux (faisceaux spinothalamiques et autres)
    • le thalamus.
136 - La douleur neurogène: l'anatomie d'un nerf

Un nerf se compose d'un grand nombre de fibres nerveuses qui sont de calibres variables, ces fibres sont appelées neurones (Voir: LES FIBRES NERVEUSES OU NEURONES: LES DIFFERENTS TYPES). Certaines de ces fibres sont motrices, d'autres sont sensitives et parmi les fibres sensitives se trouvent les fibres nociceptives. Les nerfs périphériques sont habituellement mixtes i.e. moteurs et sensitifs, mais il y a des exceptions et cela touche particulièrement la branche postérieure de la racine postérieure qui elle n'est formée que de fibres sensitives dont une bonne part sont des fibres nociceptives (Voir: LE CIRCUIT NERVEUX SOMATIQUE: LA BRANCHE POSTERIEURE DE LA RACINE POSTERIEURE ET LES REFERENCES A DISTANCE).

L'anatomie d'un nerf peut se visualiser de la façon suivante:

  • les fibres ne sont jamais laissées libres à elles-même, elles voyagent "en groupes" et ces groupes sont composés de fibres motrices et sensitives,
  • le plus petit ensemble de fibres nerveuses regroupées ensemble dans un nerf forme un fascicule. Un fascicule est entouré d'une membrane, le périnèvre (perineurium). Ces fascicules peuvent être de diamètre fort variable,
  • chaque neurone à l'intérieur d'un fascicule baigne, de façon isolée des autres, dans une substance conjonctive "lâche". Par ailleurs, toutes les fibres sauf les fibres C possèdent, en plus de cet isolant formé de substance conjonctive "lâche", leur propre isolant formé par de la myéline disposée en couche circulaire autour de la tige axonnale,
  • un ensemble de fascicules regroupé les uns près des autres et entouré d'une membrane forment un nerf. La membrane entourant cet ensemble de fascicules s'appelle l'épinèvre (epineurium),
  • chaque fascicule est enfin à son tour entouré de tissu adipeux, de tissu conjonctif lâche, de vaisseaux sanguins et de vaisseaux lymphatiques.

Le grand ensemble de fascicules formé de milliers et des milliers de fibres de divers types (A, B et C) dont certaines (A et B) se subdivisant en d'autres sous-types forme un nerf qui peut être comparé à un câble de réseau téléphonique contenant des millions de petits filaments électriques de couleurs variées mais dont chaque couleur aurait une fonction.

Chaque type et chaque sous-type de fibres transporte des informations différentes, certaines en provenance du cerveau, on les dit "efférentes", d'autres en direction de celui-ci, on les dit "afférentes". La douleur ou plutôt les divers types de douleur sont acheminés surtout par les fibres (A delta) et les fibres C.

137 - La communication et le transport des nutriments dans le neurone

Toutes les communications et tout le transport des nutriments à l'intérieur du neurone se font au moyen de tubules (microtubules ou neurotubules) disposés à l'intérieur des axones et des dendrites. Ces neurotubules servent donc au transport des protéines, des enzymes, des neurotransmetteurs et de nombreuses autres substances.

Le neurone utilise ces systèmes de transport tubulaires dans les deux sens, soit pour "aller porter" à partir du noyau vers la périphérie du nerf, soit pour "rapporter" de la périphérie vers le corps cellulaire le matériel et les informations impliqués dans le maintien de l'équilibre structural ou affectant l'homéostasie fonctionnelle du neurone. Les messages provenant de la périphérie portent tout autant sur le milieu chimique "intraneuronal" que sur les composantes chimiques baignant les axones.

En tout temps, le corps cellulaire de chaque neurone demeure donc "bien branché" avec les événements environnementaux, qu'ils soient extracellulaires ou intracellulaires. Ce branchement repose sur deux types de messages:

  • des messages chimiques intracellulaires ou "intraneuronaux"
    mais aussi
  • les messages électriques conduits à la surface des membranes neuronales.

Cette double utilisation des neurotubules par les neurones permettra de comprendre en détails les nombreux "remaniements" rencontrés dans la "chimie et l'électronique" de la douleur, lorsque le tissu nerveux subit des lésions. Le projet actuel insistera surtout sur les événements associés au contexte "oncologique" et responsables de lésions sur le tissu nerveux surtout nociceptif. Il sera ainsi fait mention des anomalies rencontrées lorsque du tissu néoplasique se développe au pourtour du tissu nerveux ou lorsque des fibres nerveuses sont agressées et lésées par des traitements que ces derniers soient une chirurgie, de la chimiothérapie ou de la radiothérapie.

Le neurone est ainsi bien muni pour recevoir tout signalement d'agressions sur les structures nerveuses. Par ailleurs, le temps de réaction du neurone en face de toute agression est bref, en dedans d'une heure. Mais il y a un prix à payer, la paroi des neurotubules est constituée de protéines qui sont fragiles aux traumatismes mécaniques et à différentes substances chimiques "nocives".

Lorsqu'un axone est sectionné, la partie qui demeure rattachée au corps cellulaire tente de survivre alors que l'autre partie, la partie distale, complètement coupée de ses nutriments en provenance du corps cellulaire, dégénère et meurt. (Voir: LE PHENOMENE DE DESAFFERENTATION)

Cette tentative de survivre vise la récupération de son intégrité structurelle et fonctionnelle. On verra dans ce premier manuel que, bien que les neurones lésés puissent réussir tant bien que mal à retrouver une certaine intégrité structurelle, les circuits nociceptifs seront bien souvent très loin d'avoir retrouvé leur intégrité fonctionnelle "électrique" d'où la source des messages nociceptifs erratiques qui deviendront sur le plan clinique des douleurs neurogènes.

138 - La douleur neurogène: son origine clinique

Les agressions aux fibres nerveuses et les lésions qui en découlent peuvent résulter de conditions nombreuses et diverses. Dans le contexte des soins palliatifs "oncologiques", ces lésions peuvent résulter:

  • d'une masse tumorale présente dans l'environnement immédiat du tissu nerveux et qui, de par son évolution, peut progressivement
    • comprimer les structures nerveuses (nerf, plexus, racine) tout d'abord,
    • infiltrer ensuite ces mêmes structures nerveuses en raison de la croissance désordonnée des cellules néoplasiques de cette masse qui envahissent l'épinèvre et ensuite plus loin les différents périnèvre (Voir: LA DOULEUR NEUROGENE: L'ANATOMIE D'UN NERF),
    • entraîner par la suite le sectionnement d'un certain nombre de fibres nerveuses axonales, la partie proximale réussissant habituellement à survivre parfois au prix d'une grande instabilité électrique (la douleur neurogène) alors que la partie distale dégénère.
       
  • de certains traitements tels
    • la radiothérapie qui peut entraîner des effets toxiques sur les fibres nerveuses soumises localement à la radiation,
    • la chirurgie qui peut provoquer un sectionnement et donc des dommages aux fibres nerveuses et aux nocicepteurs,
    • la chimiothérapie qui peut aussi exercer à sa façon des effets toxiques sur les fibres nerveuses. Ainsi, certaines substances employées en chimiothérapie sont bien connues pour leur neurotoxicité, telles ...
    • - Cisplatine - Vincristine
      - Vinblastine - Vinorelbine
      - Docetaxel - Paclitaxel
      - Procarbazine - Etoposide.

Le détail de cette toxicité dépasse largement le cadre de ces documents, il ne sera donc pas explicité plus avant.

En dehors du contexte immédiat des soins palliatifs "oncologiques", plusieurs autres conditions peuvent créer des lésions aux fibres nociceptives et ainsi entraîner des douleurs neurogènes:

  • certaines infections, notamment le zona,
  • certaines maladies métaboliques telles le diabète,
  • certaines intoxications telle l'intoxication aux métaux lourds,
  • certaines affections auto-immunes comme la sclérose en plaques comme le plomb
  • certaines affections auto-immunes comme la sclérose en plaques,
    enfin,
  • certains traumatismes comme la compression soutenue d'un nerf, l'étirement violent d'un nerf ou d'un plexus soit par exemple l'avulsion du plexus brachial et certaines blessures par armes blanches ou par balles peuvent entraîner des douleurs neurogènes, via une action directe ou indirecte sur les fibres nociceptives.

Bien que des lésions au tissu nerveux soient souvent la cause de douleurs neurogènes, il faut reconnaître que le tissu nerveux lésé n'est pas toujours synonyme de douleur. L'évolution observée à la suite d'une amputation en est un bon exemple. Les fibres nécessairement sectionnées au moment de l'amputation sont parfois responsables des douleurs dites "fantômes" alors que l'amputation chez d'autres personnes ne laisse aucune séquelle douloureuse à long terme. Le corps a aussi ses raisons que la raison ne sait pas toujours comprendre !!!

 

139 - Douleur neurogène et masse tumorale: la séquence compression - infiltration - sectionnement

En ce qui a trait à la compression tumorale, il importe de signaler que la compression résulte d'abord de l'oedème présent au niveau de la masse tumorale et au pourtour immédiat de celle-ci avant que cette compression ne résulte vraiment de la masse.

Classiquement dans nos enseignements, la notion d'oedème péritumoral est présentée comme s'il s'agissait d'une exclusivité retrouvée au pourtour de masses tumorales cérébrales primaires ou métastatiques. Cependant, il faut lever cette "fausse exclusivité" puisque la présence de cet oedème ne se limite pas exclusivement au pourtour du tissu tumoral présent dans le cerveau. De l'oedème péri-tumoral, avec une intensité variable, se forme en fait au pourtour de tout tissu tumoral, où qu'il se trouve dans l'organisme.

C'est donc l'oedème péri-tumoral au début qui comprime les fibres nerveuses touchées. A cet effet de compression extrinsèque, s'ajoute subséquemment un oedème intraneuronal, signe ou témoin de la souffrance axonale.

Cette compréhension "élargie" d'un phénomène qui semble ne recevoir d'attention qu'au niveau du cerveau trouve une des ses applications dans le chapitre des co-analgésiques, particulièrement à la section portant sur les corticostéroïdes où ces substances seront présentées comme pouvant réduire les douleurs neurogènes dans les contextes d'agressions tumorales actives. Ce thème sera abordé dans le manuel III portant sur les co-analgésiques.

La masse tumorale, si elle a continué de croître, ne fera compression que beaucoup plus tard sur les structures nerveuses d'abord touchées par l'oedème péritumoral alors qu'elle finira par occuper le volume qui, quelques semaines ou quelques mois plus tôt, était occupé par l'oedème péri-tumoral. L'effet analgésique des corticostéroïdes sera alors perdu!

Durant l'évolution du cancer, il importe également de souligner que la croissance anarchique des cellules dans la masse tumorale pourra entrainer des manifestations variées:

  • en certaines régions, se fera une compression directement par l'oedème,
  • dans d'autre zones, c'est la masse tumorale elle-même qui comprimera directement,
  • ailleurs, les cellules tumorales, qui se multiplient de façon "complètement folle", infiltreront les membranes (épinèvre) d'un ou de plusieurs nerfs, par la suite les membranes des fascicules (périnèvre) et pénétreront ainsi jusqu'aux axones,
  • dans d'autres zones finalement, le processus d'infiltration aura déjà entraîné le sectionnement d'un certain nombre d'axones et si le processus a pu prendre de l'ampleur, c'est le sectionnement du nerf, de la branche d'un plexus ou d'une racine dans son entier qui en résultera alors.

C'est à partir du sectionnement d'un certain nombre d'axones dans un nerf, une branche de plexus ou une racine que la désafférentation prend place avec son fardeau de conséquences cliniques. Cette désafférentation peut être:

  • incomplète, lorsqu'un certain nombre d'axones seulement ont été sectionnés alors que le nerf, la branche du plexus ou la racine demeurent
    ou
  • complète lorsque tous les axones composant le nerf, la branche du plexus ou la racine ont été sectionnés (Voir: LA DOULEUR NEUROGENE PAROXYSTIQUE OU "EN SALVES" OU DE DESAFFERENTATION et LE PHENOMENE DE DESAFFERENTATION).

Ces différents phénomènes peuvent se produire autant au niveau d'un nerf, d'un plexus que d'une racine.

Il faut conserver cette vision microscopique de l'envahissement tumoral pour bien comprendre pourquoi plusieurs types de douleurs peuvent se développer dans une même région du corps tout comme pourquoi une douleur peut être ressentie dans une région où la sensibilité tactile est disparue. Cette description "microscopique" de l'invasion tumorale touche l'ensemble des fibres composant un nerf puisque chaque fibre (A, B et C) transportent des informations spécifiques et fort différentes. Ainsi une douleur ressentie dans une région où la sensibilité tactile est disparue s'explique par le simple fait que les neurones nociceptifs ont gardé une activité électrique "erratique" bien sûr alors que la conduction pour la sensibilité tactile a été détruite.

140 - Les lésions nerveuses: les différentes anomalies pathophysiologiques à court terme

Tel qu'expliqué précédemment, la douleur neurogène est attribuable à différents types d'agressions subies par les fibres nociceptives des voies somatiques ou viscérales.

Ces agressions peuvent être de divers types:

  • chimiques,
  • biochimiques,
  • mécaniques.

Diverses anomalies pathophysiologiques découlant des agressions causées par le tissu néoplasique ou par les traitements "antinéoplasiques" appliqués peuvent être observées sur l'étendue du réseau nociceptif, autant à court qu'à moyen et à long terme.

A court terme:

  • en réponse aux dommages de plus en plus sévères exercés sur les membranes axonales, la première réaction d'un neurone est de tenter de régénérer son intégrité structurelle et fonctionnelle. Lorsqu'un dommage est produit, la tentative de régénérescence "axonale" est très rapide. En l'espace d'une heure, le corps cellulaire fournit tous les nutriments pour qu'une membrane neuronale nouvelle vienne "fermer" complètement la brèche pratiquée sur par le processus "agresseur" sur la membrane neuronale originale. Ce rapide mécanisme de réparation vise ainsi à rétablir la continuité membranaire nécessaire à l'intégrité neuronale. Les événements agresseurs avaient déjà induit une assez forte instabilité dans les membranes neuronales des fibres nociceptives lésées. Le processus de réparation amène à son tour des zones d'instabilité électrique puisque les membranes "nouvelles" connaissent beaucoup de zones focales de dépolarisation apparaissant comme spontanément. Ces zones qui sont en fait des mélanges d'agression et de regénération dans des environnement restreints deviennent de plus en plus instables sur le plan électrique, ce qui finit par provoquer des trains d'influx nociceptifs "ectopiques". (Voir: LE PHENOMENE DE DEPOLARISATION "MEMBRANAIRE" ET LE SEUIL D'ACTIVATION)
     
  • en même temps et dans les heures qui suivent, apparaissent à la surface des membranes neuronales nouvelles et "toutes jeunes", des bourgeons de régénérescence qui sont en fait des excroissances qui s'étendent vers les régions distales dans le but que le neurone "lésé" puisse rétablir contact avec la portion de neurone distal dont il a été "séparé" en raison des brèches ou du sectionnement provoqués. Ce faisant, le neurone tente de rétablir la communication avec la structure qu'il avait comme fonction d'innerver. Ces bourgeons de régénérescence, qui sont en fait des repousses axonales, se permettent parfois de longs trajets à travers les nerfs dans le but de retrouver contact avec leur zone d'innervation d'origine.

    On retrouve ainsi des tentatives de régénérescence ou de repousses axonales sous deux types:

    • de courts bourgeons de régénérescence
      et
    • de longs bourgeons ou prolongements parfois même très longs.

Lorsque le sectionnement s'est produit "en périphérie" chez des fibres préalablement myélinisées (A delta, A bêta et A alpha), un certain nombre de ces neurones recherchent à nouveau l'abri des cellules de Schwann, productrices de myéline, afin d'acquérir l'isolement dont ils bénéficiaient auparavant. Lorsque le phénomène se produit "au niveau central", certains de ceux-ci recherchent l'abri de myéline produit par les oligodendrocytes, équivalent central des cellules de Schwann en périphérie.

Ces bourgeons, i.e. leur membrane pour être plus précis, présentent par ailleurs une sensibilité accrue à différents types de stimulation mécanique et chimique, il devient donc plus facile de faire naître des influx douloureux puisqu'ils sont plus facilement irrités à des intensité de stimulation qui normalement seraient sans effet et qu'ils sont irrités par plusieurs variétés de mécanismes.