Notes personnelles dans une perspective de soins palliatifs "oncologiques" Par : Brizard, André, MD
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Classiquement, les douleurs nociceptives viscérales sont décrites comme profondes, coliques ou "en torsion" et donc intermittentes mais, comme expliqué précédemment dans la classification, elles peuvent aussi être constantes. Tout dépend des caractéristiques pathophysiologiques sous-jacentes.
Lorsqu'elles sont coliques, elles sont par définition intermittentes puisque le caractère colique aura nécessairement une durée variable. Dans ces cas, le caractère d'intermittence peut se présenter de cinq façons selon les paramètres du début, de la durée et de l'intensité:
Lorsque constantes, les douleurs viscérales sont généralement décrites, par la personne atteinte, comme des douleurs profondes, "envahissantes". A ce moment, le caractère de constance peut se présenter de trois façons:
Il est connu que lors de douleurs viscérales intenses, des nausées et des vomissements peuvent faire partie du tableau clinique.
Ces nausées et vomissements découlent d'une stimulation du centre du vomissement par les influx douloureux. Ces influx douloureux sont acheminés par la portion sensitive du nerf vague (Xe nerf crânien) vers le noyau vague sensitif ( le noyau ou tractus solitaire) au niveau du tronc cérébral. Ce noyau est situé à proximité du centre du vomissement, lui même situé à proximité du noyau moteur du vague. Le centre du vomissement transmet ainsi des influx vers le noyau moteur du vague qui lui, est responsable du déclenchement des mouvements de péristaltisme inversé et donc des vomissements.
Les douleurs viscérales existent sous deux formes: coliques et constantes.
En ce qui a trait aux douleurs coliques ou spastiques, quelques exemples sont proposés suivant le viscère touché:
Des exemples de douleurs viscérales constantes sont les suivantes:
D'autres exemples un peu moins évidents de prime abord appartiennent aussi aux douleurs viscérales:
Nous avons vu jusqu'à maintenant que la douleur nociceptive provient de la stimulation d'un nocicepteur "intact" et exige une totale intégrité c'est-à-dire une absence complète de toute forme de lésions dans le réseau nerveux qui sert à l'acheminement des influx douloureux, soit le réseau nociceptif et cela à partir du nocicepteur jusqu'au thalamus.
Il en est autrement pour la douleur neurogène qui ne trouve son existence qu'en présence de lésions sur les voies nerveuses nociceptives, ceci incluant les lésions touchant les nocicepteurs bien sûr. Il s'agit de la définition la plus fondamentale de la douleur neurogène ou neuropathique.
La douleur neurogène ne provient pas de la stimulation physiologique usuelle des nocicepteurs soit de l'activation par des substances inflammatoires algogènes ou de l'activation par des situations provoquant de l'étirement. Elle provient plutôt de dommages qui se sont produits "dans le câblage nerveux nociceptif". C'est à partir des régions lésées sur le "câblage nerveux nociceptif" que le cerveau reçoit des influx douloureux anormaux qui souvent se manifestent par d'énormes distorsions dans le signal nociceptif.
Ce message nociceptif "brouillé et distordu" peut prendre deux aspects:
ou
Bien que la définition "puriste" s'attarde au réseau nociceptif, la douleur neurogène peut tout aussi bien provenir de dommages qui se sont produits "dans le câblage nerveux sensitif non-nociceptif" soit celui véhiculé par les fibres A bêta. Dans ces cas, c'est toujours à partir des régions lésées mais cette fois-ci sur le "câblage nerveux sensitif non-nociceptif" que sont créées les douleurs neurogènes acheminées vers les neurones centraux qui se chargent alors d'envoyer vers le cerveau des influx douloureux anormaux qui encorre se manifestent par d'énormes distorsions dans le signal nociceptif. (Voir: LA DOULEUR NOCICEPTIVE: LES SUBSTANCES INFLAMMATOIRES, LA SENSIBILISATION)
La douleur neurogène est donc attribuable à des lésions affectant les voies nerveuses nociceptives, i.e. les fibres conduisant la douleur, et ce, à partir de n'importe quel nocicepteur en périphérie et ce jusqu'au cortex sensitif. La douleur neurogène peut tout aussi bien provenir de dommages dans le réseau sensitif non-nociceptif tel qu'expliqué précédemment. (Voir: LA DOULEUR NEUROGENE (OU NEUROPATHIQUE))
Ces lésions peuvent toucher
Un nerf se compose d'un grand nombre de fibres nerveuses qui sont de calibres variables, ces fibres sont appelées neurones (Voir: LES FIBRES NERVEUSES OU NEURONES: LES DIFFERENTS TYPES). Certaines de ces fibres sont motrices, d'autres sont sensitives et parmi les fibres sensitives se trouvent les fibres nociceptives. Les nerfs périphériques sont habituellement mixtes i.e. moteurs et sensitifs, mais il y a des exceptions et cela touche particulièrement la branche postérieure de la racine postérieure qui elle n'est formée que de fibres sensitives dont une bonne part sont des fibres nociceptives (Voir: LE CIRCUIT NERVEUX SOMATIQUE: LA BRANCHE POSTERIEURE DE LA RACINE POSTERIEURE ET LES REFERENCES A DISTANCE).
L'anatomie d'un nerf peut se visualiser de la façon suivante:
Le grand ensemble de fascicules formé de milliers et des milliers de fibres de divers types (A, B et C) dont certaines (A et B) se subdivisant en d'autres sous-types forme un nerf qui peut être comparé à un câble de réseau téléphonique contenant des millions de petits filaments électriques de couleurs variées mais dont chaque couleur aurait une fonction.
Chaque type et chaque sous-type de fibres transporte des informations différentes, certaines en provenance du cerveau, on les dit "efférentes", d'autres en direction de celui-ci, on les dit "afférentes". La douleur ou plutôt les divers types de douleur sont acheminés surtout par les fibres (A delta) et les fibres C.
Toutes les communications et tout le transport des nutriments à l'intérieur du neurone se font au moyen de tubules (microtubules ou neurotubules) disposés à l'intérieur des axones et des dendrites. Ces neurotubules servent donc au transport des protéines, des enzymes, des neurotransmetteurs et de nombreuses autres substances.
Le neurone utilise ces systèmes de transport tubulaires dans les deux sens, soit pour "aller porter" à partir du noyau vers la périphérie du nerf, soit pour "rapporter" de la périphérie vers le corps cellulaire le matériel et les informations impliqués dans le maintien de l'équilibre structural ou affectant l'homéostasie fonctionnelle du neurone. Les messages provenant de la périphérie portent tout autant sur le milieu chimique "intraneuronal" que sur les composantes chimiques baignant les axones.
En tout temps, le corps cellulaire de chaque neurone demeure donc "bien branché" avec les événements environnementaux, qu'ils soient extracellulaires ou intracellulaires. Ce branchement repose sur deux types de messages:
Cette double utilisation des neurotubules par les neurones permettra de comprendre en détails les nombreux "remaniements" rencontrés dans la "chimie et l'électronique" de la douleur, lorsque le tissu nerveux subit des lésions. Le projet actuel insistera surtout sur les événements associés au contexte "oncologique" et responsables de lésions sur le tissu nerveux surtout nociceptif. Il sera ainsi fait mention des anomalies rencontrées lorsque du tissu néoplasique se développe au pourtour du tissu nerveux ou lorsque des fibres nerveuses sont agressées et lésées par des traitements que ces derniers soient une chirurgie, de la chimiothérapie ou de la radiothérapie.
Le neurone est ainsi bien muni pour recevoir tout signalement d'agressions sur les structures nerveuses. Par ailleurs, le temps de réaction du neurone en face de toute agression est bref, en dedans d'une heure. Mais il y a un prix à payer, la paroi des neurotubules est constituée de protéines qui sont fragiles aux traumatismes mécaniques et à différentes substances chimiques "nocives".
Lorsqu'un axone est sectionné, la partie qui demeure rattachée au corps cellulaire tente de survivre alors que l'autre partie, la partie distale, complètement coupée de ses nutriments en provenance du corps cellulaire, dégénère et meurt. (Voir: LE PHENOMENE DE DESAFFERENTATION)
Cette tentative de survivre vise la récupération de son intégrité structurelle et fonctionnelle. On verra dans ce premier manuel que, bien que les neurones lésés puissent réussir tant bien que mal à retrouver une certaine intégrité structurelle, les circuits nociceptifs seront bien souvent très loin d'avoir retrouvé leur intégrité fonctionnelle "électrique" d'où la source des messages nociceptifs erratiques qui deviendront sur le plan clinique des douleurs neurogènes.
Les agressions aux fibres nerveuses et les lésions qui en découlent peuvent résulter de conditions nombreuses et diverses. Dans le contexte des soins palliatifs "oncologiques", ces lésions peuvent résulter:
- Cisplatine | - Vincristine |
- Vinblastine | - Vinorelbine |
- Docetaxel | - Paclitaxel |
- Procarbazine | - Etoposide. |
Le détail de cette toxicité dépasse largement le cadre de ces documents, il ne sera donc pas explicité plus avant.
En dehors du contexte immédiat des soins palliatifs "oncologiques", plusieurs autres conditions peuvent créer des lésions aux fibres nociceptives et ainsi entraîner des douleurs neurogènes:
Bien que des lésions au tissu nerveux soient souvent la cause de douleurs neurogènes, il faut reconnaître que le tissu nerveux lésé n'est pas toujours synonyme de douleur. L'évolution observée à la suite d'une amputation en est un bon exemple. Les fibres nécessairement sectionnées au moment de l'amputation sont parfois responsables des douleurs dites "fantômes" alors que l'amputation chez d'autres personnes ne laisse aucune séquelle douloureuse à long terme. Le corps a aussi ses raisons que la raison ne sait pas toujours comprendre !!!
En ce qui a trait à la compression tumorale, il importe de signaler que la compression résulte d'abord de l'oedème présent au niveau de la masse tumorale et au pourtour immédiat de celle-ci avant que cette compression ne résulte vraiment de la masse.
Classiquement dans nos enseignements, la notion d'oedème péritumoral est présentée comme s'il s'agissait d'une exclusivité retrouvée au pourtour de masses tumorales cérébrales primaires ou métastatiques. Cependant, il faut lever cette "fausse exclusivité" puisque la présence de cet oedème ne se limite pas exclusivement au pourtour du tissu tumoral présent dans le cerveau. De l'oedème péri-tumoral, avec une intensité variable, se forme en fait au pourtour de tout tissu tumoral, où qu'il se trouve dans l'organisme.
C'est donc l'oedème péri-tumoral au début qui comprime les fibres nerveuses touchées. A cet effet de compression extrinsèque, s'ajoute subséquemment un oedème intraneuronal, signe ou témoin de la souffrance axonale.
Cette compréhension "élargie" d'un phénomène qui semble ne recevoir d'attention qu'au niveau du cerveau trouve une des ses applications dans le chapitre des co-analgésiques, particulièrement à la section portant sur les corticostéroïdes où ces substances seront présentées comme pouvant réduire les douleurs neurogènes dans les contextes d'agressions tumorales actives. Ce thème sera abordé dans le manuel III portant sur les co-analgésiques.
La masse tumorale, si elle a continué de croître, ne fera compression que beaucoup plus tard sur les structures nerveuses d'abord touchées par l'oedème péritumoral alors qu'elle finira par occuper le volume qui, quelques semaines ou quelques mois plus tôt, était occupé par l'oedème péri-tumoral. L'effet analgésique des corticostéroïdes sera alors perdu!
Durant l'évolution du cancer, il importe également de souligner que la croissance anarchique des cellules dans la masse tumorale pourra entrainer des manifestations variées:
C'est à partir du sectionnement d'un certain nombre d'axones dans un nerf, une branche de plexus ou une racine que la désafférentation prend place avec son fardeau de conséquences cliniques. Cette désafférentation peut être:
Ces différents phénomènes peuvent se produire autant au niveau d'un nerf, d'un plexus que d'une racine.
Il faut conserver cette vision microscopique de l'envahissement tumoral pour bien comprendre pourquoi plusieurs types de douleurs peuvent se développer dans une même région du corps tout comme pourquoi une douleur peut être ressentie dans une région où la sensibilité tactile est disparue. Cette description "microscopique" de l'invasion tumorale touche l'ensemble des fibres composant un nerf puisque chaque fibre (A, B et C) transportent des informations spécifiques et fort différentes. Ainsi une douleur ressentie dans une région où la sensibilité tactile est disparue s'explique par le simple fait que les neurones nociceptifs ont gardé une activité électrique "erratique" bien sûr alors que la conduction pour la sensibilité tactile a été détruite.
Tel qu'expliqué précédemment, la douleur neurogène est attribuable à différents types d'agressions subies par les fibres nociceptives des voies somatiques ou viscérales.
Ces agressions peuvent être de divers types:
Diverses anomalies pathophysiologiques découlant des agressions causées par le tissu néoplasique ou par les traitements "antinéoplasiques" appliqués peuvent être observées sur l'étendue du réseau nociceptif, autant à court qu'à moyen et à long terme.
A court terme:
On retrouve ainsi des tentatives de régénérescence ou de repousses axonales sous deux types:
Lorsque le sectionnement s'est produit "en périphérie" chez des fibres préalablement myélinisées (A delta, A bêta et A alpha), un certain nombre de ces neurones recherchent à nouveau l'abri des cellules de Schwann, productrices de myéline, afin d'acquérir l'isolement dont ils bénéficiaient auparavant. Lorsque le phénomène se produit "au niveau central", certains de ceux-ci recherchent l'abri de myéline produit par les oligodendrocytes, équivalent central des cellules de Schwann en périphérie.
Ces bourgeons, i.e. leur membrane pour être plus précis, présentent par ailleurs une sensibilité accrue à différents types de stimulation mécanique et chimique, il devient donc plus facile de faire naître des influx douloureux puisqu'ils sont plus facilement irrités à des intensité de stimulation qui normalement seraient sans effet et qu'ils sont irrités par plusieurs variétés de mécanismes.