Notes personnelles dans une perspective de soins palliatifs "oncologiques" Par : Brizard, André, MD
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La douleur neurogène paroxystique ou "en salves" souvent comprise dans un sens large et erroné comme étant l'équivalent d'une douleur "par désafférentation" peut être due à:
A la différence du contexte des douleurs accompagnées, ces conditions sont, dans l'ensemble, susceptibles d'occasionner une destruction plus massive des neurones nociceptifs (... et aussi des autres neurones tant sensoriels que moteurs). Toujours à la différence des douleurs accompagnées, ces lésions n'entrainent pas d'instabilité électrique en continue au niveau des membranes lésées, l'instabilité électrique se manifeste plutôt en paroxysmes ou en salves.
Cette illustration suggère différentes représentations schématiques des douleurs neurogènes paroxystiques.
Seuls les paramètres de rythmicité, de durée et d'intensité sont illustrés. (Voir: LA DOULEUR NEUROGENE PAROXYSTIQUE OU "EN SALVES": SES CARACTERES CLINIQUES)
Les douleurs neurogènes sont, depuis longtemps, considérées comme difficiles à maîtriser de façon satisfaisante. On les a même qualifiées de résistantes, en partie ou en totalité, aux opiacés. Nous en avons discuté précédemment.
Ces affirmations ne sont qu'en partie fondées. C'est ici que la connaissance des mécanismes pathophysiologiques sous-tendant les divers types de douleur vient jeter un éclairage différent sur ces observations cliniques devenues, avec le temps, des affirmations au ton pessimiste et à l'allure parfois alarmiste.
On ne devrait pas, en effet, se contenter d'affirmer ou de soutenir que certaines douleurs neurogéniques résistent aux opiacés. On doit plutôt se rendre à l'évidence de l'illogisme d'utiliser des opiacés contre des douleurs paroxystiques qui sont des douleurs du "tout ou rien" tel que décrit précédemment. Puisque ces douleurs tirent leur origine d'une équivalence avec les mécanismes épileptiformes, il paraît alors aussi illogique d'utiliser des opiacés pour ce type de douleur qu'il aurait été illogique d'utiliser des opiacés dans le traitement d'une épilepsie motrice.
Le fait que cette douleur soit totalement absente en dehors des épisodes paroxystiques rend difficile, pour ne pas dire impossible, d'en arriver à un ajustement posologique adéquat avec les opiacés. En effet, il est impossible d'élaborer un ajustement posologique quand la douleur est totalement absente en espérant "en prime" que cet ajustement permettra de soulager les accès douloureux imprévisibles. Tenter un tel exercice est totalement futile.
Même plus, une telle démarche est illogique, irrespectueuse des principes de pharmacocinétique et ne cadre pas avec une pharmacothérapie rationnelle, sans compter qu'elle comporte l'emploi de substances ayant des demi-vies de quelques heures contre des accès de douleur ne durant parfois que quelques secondes à quelques minutes. En contre-partie, l'usage d'opiacés à longue action soumet le patient à l'effet d'opiacés de façon soutenue alors que les douleurs ne peuvent se produire qu'à quelques reprises durant la journée.
Enfin, l'emploi de doses élevées d'opiacés nécessaires pour maîtriser l'intensité élevée de ces douleurs paroxystiques entraînera à coup sûr tout un cortège d'effets secondaires sérieux et nettement "inutiles".
Décidément les opiacés n'ont ni les propriétés ni les capacités de s'adresser à la pathophysiologie des douleurs neurogènes paroxystiques. Voilà comment il faut comprendre ce mauvais mariage. Ce n'est donc plus en fait un problème de douleurs qui résistent aux opiacés mais un problème d'emploi non justifié d'une substance pharmacologique en regard d'une pathophysiologie spécifique menant à un type particulier de douleur.
Face à une douleur, il faut donc, à chaque fois, tenter de s'adresser à la pathophysiologie de la douleur en faisant les choix les plus appropriés possible en regard de l'arsenal pharmacologique afin de mener au meilleur traitement possible. Il en est de même dans les choix des différentes modalités d'approche s'adressant à la douleur globale, il faut, autant que faire se peut, viser une composante bien identifiée de la douleur globale. Chaque fois donc, il faut s'adresser à une composante pathophysiologique plutôt que de s'adresser à la douleur comme un symptôme "mal définissable" ou "mal défini".
En fait, dans le but de vouloir simplifier pour la compréhension, des phénomènes forts complexes, on pourrait imaginer que certaines caractéristiques cliniques propres aux douleurs neurogènes puissent découler à la fois de la façon dont le tissu néoplasique évolue et infiltre progressivement le tissu nerveux et à la fois de certaines propriétés anatomophysiologiques propres aux divers types d'axones touchés. Ainsi, la différence entre la douleur neurogène simple, accompagnée (paresthésie / dysesthésie) et paroxystique puisse fort bien tenir essentiellement à la combinaison des quatre facteurs suivants:
A titre d'exemple,
Ainsi, la compression de fibres A delta pourra occasionner dans une région donnée une douleur accompagnée (paresthésie / dysesthésie) de type "engourdissement" alors que cette même compression sur des fibres C pourra occasionner une douleur-brûlure. Le phénomène d'infiltration ne pourra qu'aggraver ces deux types de douleur. Par ailleurs, une compression sévère combinée ou non à de l'infiltration pourra avoir occasionné le sectionnement d'un certain nombre de fibres C ou A delta et avoir ainsi entraîné des douleurs d'un autre type soient des douleurs paroxystiques ressenties comme des "chocs électriques".
Dans ces circonstances, la douleur d'abord ressentie comme douleur simple (douleur "douleur") est susceptible de passer à douleur accompagnée et par la suite à douleurs paroxystiques. C'est le risque d'un processus tumoral en évolution. Ainsi, dans cet enchevêtrement de mécanismes pathophysiologiques complexes à plusieurs niveaux, il semble possible de dégager une certaine rationalité, encore très incomplète et imprécise bien sûr mais plus éclairante quand même et surtout guidante pour la thérapeutique à appliquer.
Il est entendu que les explications qui précèdent concernant le type et le degré d'agression (compression, infiltration, sectionnement) s'appliquent autant aux fibres nociceptives du système somatique qu'à celles du système autonome innervant les viscères.
Certaines caractéristiques cliniques propres aux douleurs neurogènes peuvent découler à la fois de la façon dont le tissu néoplasique évolue et infiltre progressivement le tissu nerveux et à la fois de certaines propriétés anatomophysiologiques propres aux divers types d'axones touchés.
Ainsi, la compression relativement importante de fibres A delta pourra occasionner une douleur accompagnée (paresthésie / dysesthésie) de type "engourdissement" alors que cette même compression sur des fibres C pourra occasionner une douleur-brûlure.
Cette même compression, combinée à de l'infiltration qui aurait déjà produit, dans un secteur voisin, le sectionnement d'un certain nombre de fibres C ou A delta, pourra entraîner des douleurs d'un autre type, par exemple des paroxysmes en "choc électrique".
Il est entendu que les explications qui précèdent concernant le type et le degré d'agression (compression, infiltration, sectionnement) s'appliquent autant aux fibres nociceptives du système somatique qu'à celles du système autonome innervant les viscères.
Compte tenu des différents phénomènes décrits précédemment, on peut alors comprendre que des douleurs décrites comme ténesmoïdes puissent être en fait des douleurs neurogènes paroxystiques. Il est en effet possible de considérer les douleurs "ténesmoïdes" selon deux mécanismes pathophysiologiques fondamentalement différents.
En premier lieu, la définition de base consiste à considérer ces douleurs comme résultant d'une suite de contractions plus ou moins importantes des muscles lisses d'un viscère donné. Ainsi, en présence d'une infection aiguë de la vessie ou en présence d'une infiltration de la paroi vésicale par une masse néoplasique, des douleurs profondes, au niveau du bas ventre, résultant de contractions vésicales, pourraient être ressenties. Ces douleurs seraient qualifiées d'authentique ténesme vésical, puisqu'en fait, elles résultent véritablement de contractions musculaires vésicales.
En deuxième lieu, il est cependant possible qu'une personne puisse ressentir ce même type de douleur profonde au bas ventre, ressemblant en tout point à du ténesme vésical, alors que la vessie a pu être enlevée comme traitement d'un cancer de la vessie. Comment alors expliquer ces douleurs ténesmoïdes alors qu'il n'existe plus de muscle vésical? L'explication en est fort simple. Lors de la cystectomie, les fibres sensitives innervant la vessie ont été sectionnées. La suite de ces sectionnements est maintenant bien connue ... tentative de régénération par des excroissances neuronales, zones de dépolarisations spontanées erratiques imbriquées dans des accumulations plus ou moins importantes de dépôts fibrotiques, apparition de flambées de décharges dans certains bourgeons de régénérescence et finalement, arrivée d'influx douloureux au cerveau. Ces informations "nociceptives", provenant de l'extrémité des fibres nociceptives qui "autrefois" innervaient la vessie offrent véritablement un caractère "ténesmoïde" aux douleurs ressenties. Un tel caractère pourrait être ressenti "dans le rectum" si les fibres lésées se retrouvaient dans la région rectale ou péri-rectale.
On se doit donc de distinguer la douleur ténesmoïde "musculaire" de la douleur ténesmoïde "neurogène" avant de choisir un traitement. Encore une fois, une meilleure compréhension des mécanismes douloureux augmente les chances d'obtenir une meilleure gestion analgésique.
Voilà donc encore un autre exemple de la nécessité
Tout choix thérapeutique éclairé repose d'abord et avant tout sur la reconnaissance des mécanismes pathophysiologiques en cause.
Autrefois appelée dystrophie sympathique réflexe ou causalgie, les douleurs compliquées d'une participation du système nerveux autonome sympathique ou "sympathetically maintained pain" sont des douleurs dans lesquelles l'activité du système nerveux autonome sympathique joue un rôle clé. Cette participation peut cependant se faire à divers degrés. Il arrive souvent que ce ne soit que lorsque le degré de participation sympathique est avancé que l'on reconnaisse cet état de fait, le diagnostic de cette participation demeurant alors insoupçonné pendant relativement longtemps.
En situation physiologique normale, l'activité sympathique ne possède aucun effet sur les nocicepteurs alors que l'activation des nocicepteurs induit pour sa part une accentuation des influx sympathiques dans les dermatomes où les nocicepteurs sont activés. Bien que les douleurs compliquées d'une participation "soutenue" du système nerveux autonome sympathique ("sympathetically maintained pain") ne soient encore qu'incomplètement définies, ce syndrome peut être compris comme une prise de contrôle des nocicepteurs par le système sympathique devenu hyperactif dans certaines régions. En fait, tout se déroule comme si le système nerveux sympathique prenait le contrôle de l'activité algésique dans une région donnée, avec en même temps, des conséquences à deux niveaux:
L'hyperactivité du système nerveux sympathique joue un rôle tellement important dans les mécanismes pathophysiologiques des douleurs compliquées d'une participation du système nerveux autonome sympathique ou "sympathetically maintained pain" qu'une bonne part du traitement visera à tenter de bloquer cette hyperactivité.
Etrange pathophysiologie, s'il en est une. A première vue, on a donc l'impression que le message douloureux AFFERENT (de la périphérie vers la région centrale), transporté par les fibres nociceptives, aurait pu déclencher une réponse réflexe EFFERENTE (de la région centrale vers la périphérie) du système nerveux autonome dans le ou les mêmes dermatomes où la douleur est perçue et "garder le contrôle" de cette réponse réflexe. C'est en fait ce qui se produit pour le déclenchement mais c'est probablement le contraire pour le contrôle. Cette réponse EFFERENTE du système nerveux autonome se comporte un peu comme si elle allait prendre le contrôle de la douleur, le phénomène de douleur sous gouverne du SNAS devenant pratiquement "autosuffisant et autodéclenchant" puisque c'est alors le SNAS qui prend la gouverne des nocicepteurs, causant de cette manière un cercle vicieux qui ne va souvent qu'en s'amplifiant.
Chez les personnes atteintes de cancer, cette hyperactivité "idiopathique", dans un ou des dermatomes où des lésions nerveuses ont déjà été produites, pourrait bien être, à l'occasion, le tout premier signe avant-coureur du subtil processus d'infiltration tumorale y prenant place.
Sur le plan clinique, les douleurs compliquées d'une participation du système nerveux autonome sympathique ou "sympathetically maintained pain" se manifestent par des anomalies autonomiques multiples dans une région où généralement de la douleur est éprouvée. Cette participation et ces manifestations peuvent se faire à des degrés divers comme proposé antérieurement.
Les symptômes suivants peuvent ainsi apparaître sur un fond de douleur modérée ou intense:
Durant l'évolution d'un cancer, le tissu nerveux est souvent touché. Il n'est donc pas surprenant que les patients rapportent des douleurs. Ces douleurs, la plupart du temps en progression, sont souvent présentes depuis longtemps. En fait, la douleur figure même très souvent parmi les premiers symptômes cliniques, bien avant qu'un diagnostic de cancer ne soit établi. Des études cliniques ont démontré que la douleur "DOULEUR" i.e. la douleur neurogénique simple constitue le symptôme de présentation dans 75 à 90 % des cas lors de lésions au tissu nerveux.
Par ordre décroissant, les douleurs accompagnées (paresthésie / dysesthésie) de tous types viennent au deuxième rang tandis que les paresthésies "pures" i.e. les paresthésies sans douleur occupent la troisième place.
Ce n'est souvent que plusieurs semaines à plusieurs mois plus tard qu'une faiblesse apparaît dans une région où de la douleur s'était pourtant manifestée bien avant.
Il est regrettable, pour plusieurs patients, que le cancer ait eu le temps d'évoluer bien au delà de ses premiers stages, quand la douleur n'était que le seul et unique symptôme de présentation, avant qu'il ne devienne possible d'en établir correctement le diagnostic. Les soupçons d'un diagnostic de cancer avec atteinte neurogène ne figure pas parmi les premiers diagnostics différentiels du clinicien oeuvrant en dehors du champ spécifique de l'oncologie ou des soins palliatifs, qu'il soit généraliste ou spécialiste. Par ailleurs, des résultats normaux provenant de l'examen neurologique et de l'imagerie radiologique de base souvent demandée ont tendance à faussement rassurer ce même clinicien. Il faut reconnaître que les cliniciens n'ont pas été habitués à penser en terme de signification particulière pour une douleur nouvelle puisque la douleur ne fait pratiquement partie d'aucun curriculum de formation dans de nombreuses facultés de médecine.
Ceci étant dit, il peut, en effet, être souvent difficile d'établir un diagnostic quand la douleur n'est que le seul symptôme mais si au moins il avait été possible "d'entendre" ce qu'une douleur pouvait signifier. Le délai est d'autant plus regrettable quand c'est carrément la Tomographie par émission de positrons (TEP scan) ou encorre l'autopsie qui viennent finalement confirmer que les douleurs avaient de réelles raisons d'être et que la personne disait bien vrai.
Il faudrait toujours penser la douleur en accord avec le principe suivant: la douleur est telle que les gens la décrivent et non pas telle que "JE" pense qu'elle est.
En somme, le diagnostic d'une douleur comme "nouveau symptôme" ne devrait pas reposer uniquement sur un examen neurologique (le plus souvent rassurant parce que les réflexes sont normaux!) et l'emploi d'appareils d'investigation mais, pour une bonne part, sur